mercredi 30 novembre 2011

Une journée particulière

01h00 (du matin) : je me lève. J'allume la télévision par satellite. Il est 12h00 en Nouvelle-Zélande. Je regarde les informations sportives de la mi-journée pour prendre connaissance des rumeurs au sujet du futur sélectionneur des All Blacks.
07h00 (du matin) : je me (re)lève. J'allume la télévision par satellite. Il est 18h00 en Nouvelle-Zélande. Je regarde les informations sportives de la fin d'après-midi pour prendre connaissance des rumeurs au sujet du futur sélectionneur des All Blacks
07h30 : coup de fil à la NZRU. La secrétaire filtre mes appels. Note pour plus tard : penser à choisir l'option : "numéro caché".
08h00 : j'arrive au stade. Je consulte mes mails. Rien en ".nz". Je consulte mon courrier indésirable. Un mail des ravisseurs somaliens de John Senio qui demandent une rançon de 200 000 $. 270 spam à la suite d'un hoax d'Olivier Magne qui cherche à se venger en faisant croire que l'ASM distribue des abonnements gratuits à ceux qui forwardent dix mails vers l'adresse du club.
08h02 : je décroche mon téléphone. La tonalité fonctionne.
08h03 : je vérifie que mon portable a du réseau.
08h07 : j'actualise ma boîte de réception.
08h09 : j'appelle les "dérangements" pour vérifier que les câbles sous marins entre l'Europe et la Nouvelle Zélande n'ont pas été endommagés par une éruption volcanique.
09h05 : j'actualise ma boîte de réception. Je reçois une blague de Jean-Marc. Jean-Pierre m'invite au cent cinquantième anniversaire du club. Il me demande de répondre avant 2050.
09h14 : je fais le point avec le tueur à gages que j'ai engagé pour éliminer Steve Hansen.
09h22 : je rédige la compo de l'équipe du week end prochain.
09h40 : décrochage téléphone. Tonalité. Vérification portable. Envoyer - recevoir. Appel "dérangements" : check list OK. Il est 20h40 en Nouvelle Zélande. Toujours rien aux infos.
10h05 : je mets un sac en plastique sur le combiné du téléphone et j'appelle La Montagne, rubrique "Sports". Je prends l'accent d'Auckland :
- Allo ? Allo ? Vern Cotter ? Ici John Key. Yes ! Prime Minister. New Zealand needs you. J'ai parlé de vous au président de la NZRU. C'est en bonne voie. Comment ? Faux numéro ? Désolé.
Je raccroche et me connecte au fil info de "La Montagne".
10h34 : la rumeur prend. La Montagne sort l'info.
10h34 et 30s : Jacques Delmas m'appelle pour me demander à quelle date je libère le poste.
10h35 : décrochage téléphone. Tonalité. Vérification portable. Envoyer - recevoir. Appel "dérangements" : toujours rien (enfin si : la huitième blague de la journée de Jean-Marc...).
10h36 : Simon Mannix m'appelle pour me demander à quelle date je libère le poste. Je perds l'audition du côté du combiné.
10h37 : René propose de doubler mon salaire si je décide de rester.
10h40 : j'appelle le sorcier vaudou à qui j'ai demandé de marabouter Steve Hansen.
10h47 : j'appelle l'oyabun des yakuza de Tokyo et je mets un contrat sur la tête de John Kirwan.
11h00 : je fais un tour à l'entraînement. Je demande à Richie McCaw ce qu'il fait là alors qu'il est blessé. Brad Thorn me répond que c'est Julien Bardy. Je réplique :
- Impossible, Brad, il est Portugais !
Brad a l'air surpris et dit :
- Non mais moi c'est Nathan.
Comme tout le monde se fout de ma gueule, je remonte dans mon bureau.
11h10 : j'actualise ma boîte de réception. Un nouveau message dans courrier indésirable ! Les ravisseurs de John Senio proposent 5 000 $.
11h18 : Phil Greening m'appelle. Il se plaint d'avoir été agressé par Jacques Rougerie.
11h30 : Jean-Marc entre dans mon bureau avec la compo. Il me dit :
- Vern, c'est quoi cette première ligne Woodcock - Mealamu - Francks ?
11h31 : René propose de quintupler mon salaire si je décide de rester.
12h00 : j'appelle l'ambassade. Aucune catastrophe naturelle n'a ravagé le pays. Je ne comprends pas : toutes les télécommunications fonctionnent là-bas.
12h30 : je déjeune avec Regan King et Kevin Senio. Tout d'un coup, je respire mieux.
13h30 : le mieux ne dure pas. Je fais une crise d'angoisse en apprenant qu'il n'y a aucune lettre pour moi au courrier postal. Le médecin du club me fait visionner France - Nouvelle Zélande 1987 pour me calmer.
15h00 : Check list. Courrier indésirable : les ravisseurs de John Senio proposent de payer pour qu'on le reprenne.
15h01 : René me propose d'entrer dans le capital de Michelin si je décide de rester.
15h05 : Henry Tuilagi m'appelle. Il se plaint d'avoir été attaqué par Jacques Rougerie.
15h08 : décrochage téléphone. Tonalité. Vérification portable. Envoyer - recevoir. Appel "dérangements" : toujours rien.
15h15 : Jean-Marc me dit qu'il vient d'organiser une conférence de presse pour démentir les rumeurs de mon départ. Il me donne le papier que j'aurai à lire.
15h16 : René propose de me céder le stade Marcel Michelin si je décide de rester.
16h00 : Conférence de presse. "Je suis Clermontois ! Je ne me fais aucune illusion, Steve Hansen a une bonne longueur d'avance. Cela fait 8 ans qu'il travaille avec l'équipe et il ne devrait pas y avoir de surprises".
16h18 : je rappelle les yakuza. Ça traîne tout ça !
16h20 : je rappelle le tueur à gages. Ça traîne tout ça !
16h22 : je rappelle le sorcier vaudou. Ça traîne tout ça !
16h24 : ma souris explose.
16h26 : la touche F5 de mon clavier est inutilisable.
16h28 : l'administrateur réseau envoie un mail pour prévenir que le club fait l'objet d'une attaque en déni de service sur son serveur de messagerie.
16h30 : mon écran implose.
16h32 : mon portable s'éteint définitivement.
16h34 : le téléphone sonne !
16h35 : c'était Jean-Pierre Romeu qui vérifiait que j'avais bien reçu l'invitation.
16h37 : le maire de Clermont me propose de se désister en ma faveur si je décide de rester.
17h00 : je quitte le stade.
18h00 : j'arrive chez moi. J'allume la télévision par satellite. Il est 05h00 du matin en Nouvelle Zélande. Je regarde Good Morning Auckland. Il paraît qu'il y a un sujet sur le futur entraîneur des Blacks...

L'ASM en 26 lettres (2)

F comme Fight
A Clermont, on aime bien le fight. On pourra toujours nous dire qu'à côté des Vincent Moscato, Alain Carminati ou Marc Cecillon, l'ASM, avec ses Cudmore, Privat ou Ménieu, pour ne citer que les plus récents, est encore loin des sommets, il est rare, cependant, que l'on s'enlève dans les regroupements en Auvergne. Et ce n'est pas un certain Olivier Mallaret, qui fut le premier challenger de Moscato, non pas sur un ring, mais sur une pelouse au cours d'un corps à corps épique qui s'est longtemps poursuivi alors que le ballon avait eu le temps de parcourir une bonne soixantaine de mètres à l'autre bout du terrain, et à côté duquel le face à face Cudmore - O'Connell à Limerick en 2008 fait figure de je-te-tiens-tu-me-tiens-par-la-barbichette, qui démentira. Et puis n'est-ce pas le grand Bernard "Dada" Chevallier qui a déclaré : "Un coup de poing, c'est pas salaud, c'est nerveux" ?

G comme Gaétan Hery
"J’ai posé la balle, regardé rapidement où étaient les poteaux et j’ai tapé aussi fort que possible." C'est ainsi que L'ASM, dans l'élite depuis 1925, a sauvé sa tête le 16 avril 1995, dans un match de la tristement célèbre "Coupe Dédé Moga" (élégante traduction française de "play down"), contre le SBUC de Bernard Laporte, à l'issue d'un match dont seul le rugby est capable de nous gratifier (un arrière-goût de ce que cela à dû être ici). L'ASM doit certainement à Gaétan Héry, auteur du coup de pied de la gagne, qui entraîne aujourd'hui les Réchappés, un bout de son bouclier de Brennus, car sans lui, nul ne sait ce qu'il serait advenu du club après une rétrogradation en division inférieure dès les débuts du professionnalisme...

H comme HCUP
La HCUP est une belle femme qui semble chaque saison (du moins depuis que Vern est là...) promise à l'ASM mais qu'un plus beau parti (en général irlandais) nous ravit invariablement. Le système est tel que, les mauvais résultats entraînants des poules compliquées et réciproquement, le speed dating se termine souvent avant la fin du premier tour... Toutefois, la coupe aux grandes oreilles (et à la gueule de pilier) permet chaque année aux supporters de l'ASM (et d'un autre club qui, après avoir terrassé la bête, va souvent au bout) de profiter au Michelin de l'un des plus beaux matches de l'année et de trouver un prétexte pour aller picoler loin de Maman en Irlande...

I comme Image
L'image de l'ASM est très particulière dans le monde de l'ovalie. Si la structuration, la politique d'investissement à long terme, les résultats du centre de formation et la régularité suscitent l'admiration, le club souffre indéniablement d'un déficit d'image, en comparaison d'autres écuries du top 14 qui n'ont pourtant pas la même constance au plus haut niveau mais dont les avanies remplissent régulièrement les colonnes des gazettes. A l'ASM, il ne se passe jamais rien. Pas de caprices de star. Pas de transferts pharaoniques. Il faut dire qu'à l'ASM, il n'y a pas de star. Non que l'on ne pourrait s'en payer, ni qu'aucun joueur ne pourrait accéder à ce statut. Non, ce n'est tout simplement pas dans l'ADN du club. De même, les intrigues y sont peut être moins passionnées, et surtout plus dissimulées qu'ailleurs. Le pire ennemi du club, c'est Olivier Magne, c'est dire... Pas de déclarations fracassantes du président, et lorsque le manager ose faire une sortie un peu provocante, les ténors de la réaction à l'emporte pièce le mouchent aussitôt. D'ailleurs, comment voulez-vous qu'un club aussi sérieux, à l'électroencéphalogramme médiatique d'une vache Salers, porte drapeau d'une ville aussi people que Davit Zirakachvili et aussi humble et discret dans la victoire que dans la défaite puisse intéresser quelqu'un désireux que faire de l'audience sur du spectaculaire à bon compte ?..

J comme Joueur issu de la formation française
La formation est l'une des marques de fabrique du club, en fait depuis 1995, date des débuts de ce qui ne s'appelait pas encore "centre de formation". Sous la houlette de Alain Gaillard et de Jean-Marc Lhermet, puis de Bertrand Rioux, elle a donné des résultats exceptionnels (Domingo, Buttin...), mais aussi certainement d'autres joueurs moins talentueux qu'on ne connaît pas, justement parce qu'ils sont moins talentueux, ou dont on ne veut pas se rappeler parce qu'ils sont partis jouer ailleurs. Pourtant, les "joueurs issus du centre de formation" sont, par essence, extraordinaires, car, avec leur tatouage de l'ASM au fer rouge sur le front, ils sont les cache-sexe modernes du professionalisme qui permettent d'avoir l'illusion qu'un rugby du terroir existe encore. Et qu'importe qu'ils viennent de Dunkerque ou des Fidji... Quant à ceux qui ne sortent pas des centres de formation, on se doute bien qu'ils ont appris la passe sur un pas quelque part, mais où ? Sont-ils les produits d'une autogénèse, d'une formation spontanée ? Ont-ils appris le rugby sur le tas, jouaient-ils sur un terrain vague de la banlieue parisienne, préférentiellement du côté de Massy, lorsqu'ils ont été repérés par la BAC qui leur a dit : "Le rugby ou la prison ?" Ont-ils vu Pascal Papé leur apparaître dans une grotte et leur dire, leur montrant un ballon : "Tolle, Lude !" ? En définitive, ces joueurs-là seront peut être les derniers à avoir été éduqués plutôt que formés...

La suite à la prochaine lettre !

De A à E ici.

mardi 29 novembre 2011

La photo du jour : Nuit du rugby

Et le Marius d'Or est attribué à Thierry Dusautoir pour sa tentative manquée d'imitation de Fabien Galthié...

lundi 28 novembre 2011

Solstice d'automne (2)

La nuit dernière, s'est déroulée la huitième nuit de la cruaut... du rugby. Cette année, c'est moi qui ai supplié René de ne pas y aller. On n'a rien a y gagner, sinon des coups bas et la moquerie de nos adversaires.
Ça a très mal commencé : lorsque j'ai vu le menu, j'ai interdit aux joueurs de toucher à leur assiette. On n'allait pas gâcher le régime de cosmonaute que je leur impose depuis cinq ans en une soirée. De toute façon, je ne sais même pas ce que ça veut dire "Paleron de Boeuf". M'étonnerait pas qu'il y ait du clambutérol là-dedans. Ensuite, le dessert était une véritable provocation pour Morgan : Mont-Blanc aux Châtaignes « Souvenir de Nouvelle-Zélande ». Bref, j'étais très énervé avant même que cela ne commence.
René était plutôt content. Le pavillon d'Armenonville lui rappelait le pavillon Gabriel et il l'a encore ramené sur Eygalières et Michel Drucker. Jusqu'au moment où on a croisé Olivier Magne. Celui-ci a pris l'expression de Missoup lorsqu'il rencontre Remy Martin en soirée et a délicatement et leeeeeeeentement fait glisser son pouce en travers de sa gorge. René s'est réfugié entre Julien Pierre et Roro, n'a plus levé les yeux de son assiette de la soirée et a refusé que ses deux gardes du corps le quittent, même pour aller aux toilettes...
Après, le long calvaire s'est poursuivi. Ce genre de soirée me rappelle les mariages : tous les célibataires espèrent "pécho", mais finissent bourrés. Tout le monde aimerait être assis à une autre table et s'emmerde cordialement, en espérant que le prochain spectacle soit moins nul que le précédent. Alors ça se baguenaude d'un groupe à l'autre en serrant des paluches et en prenant des photos avec son téléphone ou en envoyant des textos. Ça occupe et ça évite d'avoir à entretenir une conversation dont on se fout avec son voisin de table qui doit être le technico-commercial en chef d'un des partenaires de la soirée et qui se fait des souvenirs pour une décennie...
La remise des prix a été nominale : on a tout paumé, comme d'habitude, sauf les Marius, où Jubon a été distingué pour son unique faiblesse de la World Cup. Même notre essai du bout du monde, le seul truc qu'on a fait à peu près correctement l'année dernière est passé à l'as... Et j'ai failli rendre tout mon quatre heures lorsque le demi d'ouverture remplaçant du XV de France a été élu meilleur joueur. J'avais déjà eu un hoquet lorsque j'avais entendu les noms des sélectionnés...
Masoe, Boutati, Vosloo, Chavancy, Ouedraogo, Bonnaire, Tekori, Servat, Dupuy, Lauaki, Gorgodze, Wilko, Papé, Harinordoquy, Qovu, Clerc... On a bien pensé à vous les gars...

Nota : Pour revivre mon précédent épisode de VDM, ici.

L'ASM en 26 lettres

Pour bien écrire (sur) l'ASM, il faut un lexique.



A comme Association
Au départ et jusqu'à aujourd'hui, l'ASM est un club omnisports, dont l'un des objectifs est "d'encourager pour tous les âges la pratique la plus large et la plus longue possible" (Marcel Michelin). Les sections sont nombreuses, mettant à l'honneur sports individuels (tennis, natation...), collectifs (basket, football) et de combat (boxe, judo...). Signalons au passage que l'ASM figure parmi les plus grands clubs de lutte en France, avec un âge d'or qui débute dès la création de la section en 1920 et se poursuit jusqu'au début des années 80 (période pendant laquelle une moisson de plusieurs dizaines (!) de titres de champions de France seniors est récoltée...). Et remarquons que si nous étions Géorgiens, Tchétchènes ou Arméniens, on ne nous bassinerait pas à longueurs de saisons avec les dix finales perdues de la section rugby et le bi-hebdomadaire de référence, "Centre Olympique, le journal de la lutte", aurait son siège à Clermont-Ferrand...

B comme Bourgeois
Selon les déclarations d'un dénommé Mourad B., de Toulon, l'ASM est un "club bourgeois". Pour Flaubert, est "bourgeois quiconque pense bassement" (rapporté par Guy de Maupassant, La Revue Bleue, 19-26 janvier 1884). Pour Émile Zola, la bourgeoisie est "l'acte d'accusation le plus violent que l'on peut faire contre la société française" (citation). Quant au "Grand Jacques", il n'en pense pas moins. Bref, on s'aperçoit que le bourgeois n'est pas à la mode. Ça tombe bien, parce qu'à Clermont, la mode, on s'en fout (il suffit d'aller à la boutique pour s'en rendre compte)... Rappelons cependant que sous l'ancien régime, les bourgeois jouissaient de droits civils et politiques, en tant qu'habitants d'une ville affranchie de la justice féodale. La bourgeoisie, qui fut en grande partie à l'origine des Lumières et de la Révolution française, peut donc compter légitimement parmi les précurseurs du citoyen de nos sociétés démocratiques. Enfin, la famille Michelin, bourgeoise s'il en est, n'est pas sans incarner l'identité humble, discrète, laborieuse mais riche de talent (et riche tout court), dont les Auvergnats peuvent être fiers.

C comme Cette année c'est la bonne !
Combien de fois n'a-t-on entendu cette antienne dans les travées du Michelin, dans les comptes rendus élogieux des journalistes ou au bar des supporters ? Si bien que l'expression la plus juste aurait du être "Ce mois-ci, c'est le bon", voire "Ce match-ci, c'est le bon", tant les promesses du dimanche précédent contrastaient avec le marasme du dimanche suivant. L'ASM fut longtemps la meilleure équipe de tous les temps a n'avoir jamais gagné un championnat. Et encore aujourd'hui, l'Auvergnat, qui s'y connaît en élevage de bovidés, et qui, de ce fait, est par nature pessimiste et méfiant, a toujours des doutes, alors que le club n'a jamais semblé aussi fort, sur sa capacité à enchaîner les résultats au plus haut niveau...
Nota : on aurait pu avoir "C comme Cotter", mais à bien y penser, pour les explications, ce qui est écrit ci-dessus marche encore...

D comme Derby
On ne sait pas trop pourquoi, mais les Clermontois n'aiment pas les Brivistes, à moins que ce ne soient les Brivistes qui n'aiment pas les Clermontois. En résulte une rivalité bon-enfant entre les supporters des deux équipes phares du Massif Central, qui tient certainement plus au besoin atavique de se trouver un ennemi proche pour s'assurer de sa virilité que d'une réelle concurrence. En effet, la Corrèze (c'est où, ça, la Corrèze ?), n'a rien à voir avec l'Auvergne, l'histoire récente des rencontres entre les deux clubs est pour le moins apaisée, les joueurs passent d'une équipe à l'autre sans soulever la vindicte de la tribune Auvergne, qui n'hésite d'ailleurs pas à reprendre l'hymne du CAB... De nos jours, notre seul vrai derby, en définitive, c'est le match contre l'USAP, dans lequel le rugby sort, il faut le reconnaître, rarement vainqueur (argument massue prouvant que c'est bien un derby)...

Addendum :
Un certain "Aurillacois Masqué" me fait justement remarquer que le derby, dans le Massif Central, est une pratique trioliste, je cite :
"Hé oui car il s'agit bien d'un derby à trois équipes, sûrement le seul. La troisième équipe ne joue plus en Top 14 depuis... Elle s'entend plutôt bien avec l'ASM, et fait front avec elle face à l'adversité Limousine. Elle fournit volontiers et régulièrement, joueurs voire entraineur. Les Brivistes EUX, viennent kidnapper des joueurs presque innocents, des traitres aussi.
Cette équipe, fit il y a quelque temps déjà, une nouvelle apparition "en 1ère division" (dixit les vieux sages du pays assis dans la tribune populaire). Mais cette année là elle fut (tenez-vous bien) Championne du monde de France d'Auvergne et du Limousin. Cette équipe vous l'aurez deviné est le Stade... (le seul l'unique) Aurillacois.
Ces matches Brive - Aurillac, étaient très souvent ponctués par un rite, qui consistait à s'offrir les fruits d'un arbre que l'on trouve dans une région du Cantal : la Châtaigneraie. Cette région est, comme par hasard, limitrophe de la Corrèze. Tandis que les supporters, eux, comparaient les qualités respectives de leur charcuterie, le spectacle était plus dans les tribunes que sur la pelouse."

E comme Espoirs
N'est-il pas symbolique que les meilleurs résultats du club soient obtenus, chaque année, par les équipes de jeunes ? Oui, l'ASM est le club de tous les espoirs. A ce titre (pas celui de champion, bien sûr), l'ASM fait se poser de graves questions métaphysiques : Vaut-il mieux être un très grand club du futur ou aurait-il mieux valu avoir été un très grand club du passé, comme Béziers par exemple ? Les plus logiques répondront que cette question est absurde, d'autant que, si nous devenons un jour un très grand club du passé, c'est que nous sommes d'ores et déjà un très grand club du futur. Les Toulousains, quant à eux, répondent : "Facile, les deux." On est libre de penser que c'est cet état d'esprit qui nous différencie d'eux...
Mais je préfère laisser le dernier mot à un autre Auvergnat :

Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé, pour l'arrêter comme trop prompt : si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient : et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent, d'ordinaire, nous, blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu'il nous afflige et s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver. (Blaise Pascal - Pensées - Pensée XVII, Chapitre deuxième, section 3, La Volonté).

Profitons donc de ce présent pas si mal qui est offert au supporter : le passé, c'est le passé et le futur n'existe pas...

La suite à la prochaine lettre !

samedi 26 novembre 2011

Si loin, si proches...

Bon on a pris l'eau pendant une semaine (ou presque...) chez les Catalans et on a failli faire de même chez les Montpellierains. A chaque fois qu'on va en stage, c'est la même histoire. On rentre avec un point qui fait notre affaire, finalement : comme Toulouse a eu la mansuétude de s'abaisser au niveau du jeu de Brive et que Castres et Toulon sont adeptes du partage, au plan comptable, on n'est pas si mal : deuxièmes, en embuscade derrière le Stade, qui préfère avoir un horizon dégagé (Maître Guy aime bien sentir le souffle chaud des poursuivants sur sa nuque, ça lui permet de conserver un bon niveau de stress et d'angoisse). De notre côté, c'est la position d'outsider qui nous convient le mieux, avec ce qu'il faut d'avance sur la meute pour ne pas non plus tomber dans la panique.
Il faut dire que derrière, c'est la WWE : après les coups de théâtre, en backstage, des limogeages de Simon "The Killer-Screamer" Mannix et de Jack "Double-Tricard" Delmas, le Top 14 ressemble à des Survivor Series totalement déjantées, où les lowcards se refont la cerise aux dépens d'anciennes gloires devenues midcards, où des mega-push sur le retour ayant perdu une grande part de leur ring-cred repointent le bout de leur nez... Bref, ça feud dans tous les sens, on ne sait plus qui est heel et qui est face, mais c'est ce qui fait la beauté de ce Smackdown Fourteen.
A part ça, quelques nouvelles du groupe :
- On a attendu Elvis une demi-heure dans le bus à la fin du match. Il faut dire qu'il marche comme si il traînait une chaîne et des boulets, alors il a un mis un peu de temps à venir des vestiaires jusqu'au parking...
- Dans le même ordre d'idée, Daniel Kotze, le boute en train, a offert à Kevin Senio "L'Eloge de la Lenteur"...
- Bonnaire a préféré se télétransporter pour rentrer à Clermont. Il prétend qu'il pourrait le faire avec le bus, mais que nous n'avons pas encore franchi assez de chambres du Shao-Lin.
- Brock avait l'air particulièrement détendu à la fin du match, au contraire de David qui n'était vraiment pas dans son assiette cette après-midi. J'ai fouillé dans ses affaires (quoi ? Je suis son père, j'ai le droit !) et j'ai trouvé une poupée vaudoue à l'effigie de David avec un clou rouillé planté dans le pied...

mercredi 23 novembre 2011

Indignons-nous !

Toujours pendant le stage au Canet, alors que je passais par le vestiaire après l'entraînement et que je croyais être seul, j'ai entendu des soupirs dans un coin. Je me suis rapproché et j'ai vu une masse informe dans la pénombre. Me rapprochant encore, j'ai surpris Julien Bonnaire, assis sur un banc, coudes sur les genoux, avec une moue dubitative. Il tenait quelque chose entre ses mains : c'était son "Oscar d'Argent Midi Olympique".
- Que se passe-t-il Julien, ça ne va pas ?
- Tout ça pour ça... me répondit-il dans un souffle.
- Ah ! Je comprends, le compétiteur que tu es est déçu de ne pas avoir reçu l'Oscar d'Or ?
- Non non ! Vincent le mérite amplement. Il est beau, il est bon, il sent bon les matériaux des fondations aux finitions, il marque plein d'essais, plaque à tours de bras, il est sympa, doué, efficace, il s'investit dans l'associatif et comme la plupart des hommes, il se sent de plus en plus concerné par l'état de sa peau (la preuve ici). C'est moi, mais avec des cheveux, en fait ! Sauf qu'en plus, il joue à Toulouse. Alors bon, je ne suis pas surpris.
Il marqua une pause.
- Non, c'est autre chose...
- Tu as du mal à te reconcentrer sur le Top 14 après la coupe du monde et la coupe d'Europe ? Je comprends, ça me fait toujours ça avant d'affronter Montpellier et Castres. Mais tu sais, ce sont d'excellentes équipes maintenant...
- Non, ce n'est pas ça... En fait, tout cela n'a aucun sens...
Je m'assis à ses côtés :
- Quoi "tout cela" ?
Il se leva soudainement en se crispant et hurla :
- Tout ! Tout ! Comment peut-on jouer au rugby, comment peut-on s'y intéresser alors que des gens sont torturés en Syrie, que d'autres sont condamnés à vingt ans de prison en Thaïlande pour avoir émis des SMS injurieux contre le roi, que des petites filles sont éventrées en Afghanistan, et que, chez nous, l'on se vautre dans le luxe le plus insolent alors que l'on crève de faim à nos portes ? Non, tout cela n'a aucun sens !
Il tremblait de rage et de dégout. On aurait dit qu'il se préparait pour le Haka. Il jeta un regard de profond mépris à son trophée.
- Où est la Têt (note : c'est la rivière qui passe non loin de là) ? Je vais m'alléger de tout cela !
Il se mit en marche. Je tentais de l'agripper pour le retenir. En fait, ce fut lui qui me traîna hors du vestiaire.
Dehors, cherchant son chemin tel un illuminé, il fulminait comme Gerhard Vosloo qui aurait raté un plaquage, mais avec l'indicible tristesse de Fabien Galthié sur le visage. J'essayais de le raisonner :
- Voyons, Julien, tu ne peux rien à tout cela. Tu es joueur de rugby. Tu donnes de la joie au public !
En vain :
- Mais grand bien leur fasse ! Regarde-les qui vont au stade comme à la messe, oublier la médiocrité et l'absurdité de leur existence ! S'ils te donnent une bonne image de toi, tant mieux. Moi je ne peux plus feindre de m'intéresser à eux, alors qu'au fond de nous, tout n'est qu'intérêt, cruauté, égoïsme. Nous ne nous intéressons qu'à nous. Parlez-moi de moi, il n'y a que ça qui m'intéresse.
Il reprit un instant sa respiration et repartit de plus belle :
- Et chaque jour, la presse entretient ce grand mythe, ce grand mensonge, fait de nous des héros, nous impose dans la vie des gens, à la radio, à la télévision, sans recul ni pudeur, file les carrières comme les Parques les destinées, et nous vivons d'eux comme ils vivent de nous, dans une symbiose écœurante de renoncement et de compromission... Il y a même des abrutis qui écrivent des blogs sur nous ! Quant à ces trophées, à quoi serviront-ils, puisque dans soixante ans, nous serons tous morts, toi, moi, celui qui me l'a remis ?
Il fit une nouvelle pause, et me regarda avec une immense détresse dans les yeux, avant d'ajouter :
- Mais ce qui me fait le plus vomir, c'est que l'on se souviendra peut être plus de moi que du jeune Birman qui se sera fait massacrer dans une cave de Rangoon... Tant que tout cela n'aura pas changé, je ne pourrais plus cautionner ce business absurde. Terminé ! Tu m'entends, terminé !
Et il s'est mis à envoyer valdinguer son trophée en donnant des coups de pieds répétés dedans. Enfin, il laissa s'échapper la pression pour s'effondrer en larmes.
Il pleurait vraiment comme un enfant désespéré. Je crois bien que je pleurais aussi, silencieusement, en le regardant. Ce désespoir dura longtemps, - il me parut prodigieusement long. Mais, pour finir, comme un enfant les larmes peu à peu eurent raison de lui.
Nous avons poursuivi notre marche jusqu'à ce que la mer nous arrête. Le crépuscule levait ses voiles successifs d'augures sombres et nocturnes. Sur la plage, des gamins jouaient au rugby. Le ballon était presque aussi gros qu'eux. Ils se l'envoyaient maladroitement, sans égard pour les en -avant, et se roulaient joyeusement dans le sable. Le monde n'existait plus qu'eux et nous, nous, deux vieux cons sentimentaux, et eux, totalement pris par leur jeu et indifférents à la beauté du spectacle qui les entourait.
Les regardant dans leur innocence, réfléchissant à tout ce que Julien venait de me dire, ne sachant s'il fallait traiter la vie de chienne ou de fée, je ne pus m'empêcher de les imaginer dans quelques années et je me suis alors demandé à quel âge on devenait un salaud.

Nota : très librement et humblement inspiré de "L'impuissance" (juillet 1944), nouvelle de Vercors, dont la citation en italique est issue.

La photo du jour : Le secret de la Likotze

Daniel Kotze a fait le casting du Secret de la Licorne. Pour des raisons incompréhensibles, Steven Spielberg ne l'a pas retenu pour jouer le rôle de Tintin...

lundi 21 novembre 2011

Le séminaire sur les valeurs

Ça y est, on est parti en stage au Canet en Roussillon, une ville de nageurs, mais cela ne fera pas de mal à certains de boire un peu d'eau après les festivités du centenaire. Lorsqu'on est arrivé, Olivier Magne nous attendait devant les portes du complexe sportif. Il a été extrêmement déçu d'apprendre qu'il ne pouvait participer au stage. Jean-Pierre Romeu est quant à lui resté à Clermont : il a commencé à plancher sur la liste des invités du bicentenaire pour être sûr de n'oublier personne cette fois-ci et le président l'a chargé de rédiger les cent soixante-dix-sept lettres d'excuses à ceux qui n'ont pas été contactés. Pour l'adresse du Dugarry d'Eurosport, ça devrait aller, mais pour celle de Camille Courteix, bon courage... Sinon, j'ai reçu un texto de Tasesa qui m'a dit que l'invitation l'avait beaucoup touché. De mon côté, j'ai été heureux d'apprendre qu'il était toujours en vie...
Les festivités ont toutefois généré un peu de confusion. Il a fallu évacuer Sitiveni avant la fin : c'est sûr que 18000 personnes qui chantent du Aznavour après un feu d'artifice qui a failli mettre le feu à la pelouse, c'est un drôle de choc pour un nouveau, surtout quelques jours après avoir mis pour la première fois les pieds à Clermont-Ferrand. On a également eu un problème : John Senio en avait profité pour se cacher dans la soute du bus, espérant partir avec nous à Montpellier. Cela nous a rappelé de mauvais souvenirs...
Bref, il n'y a plus qu'à espérer qu'on mette moins de temps à gérer le centenaire que le Brennus. C'est pourquoi j'ai décidé d'organiser, en préambule du stage, un séminaire de motivation avec pour thème "les valeurs de l'ASM".
J'ai fait venir un consultant intelligent, un homme capable de donner du sens à l'action, un gazier qui crée de la valeur à partir du capital humain, un type qui aurait lu Sun Tsu et Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine dans le texte original pour en tirer la substantifique teneur, un mec qui puisse accompagner le changement dans un monde fluide et incertain à l'heure de la mondialisation et de la crise... Comme David Douillet et Fabien Galthié n'étaient pas disponibles, j'ai fait appel à Kevin (aucun lien avec le frère de John), consultant freelance en auto-entrepenariat établi à La Pardieu (près de la patinoire et du Leclerc pour ceux qui ne situent pas). En fait, le feu d'artifice plus les dépenses "affranchissement-lettres d'excuses" ont tellement plombé le budget que je ne pouvais pas avoir mieux et puis c'est bon pour la RSE du club de donner sa chance à un chômeur de longue durée. Dans le genre abordable et pas cher, Lionel Faure m'avait aussi suggéré Didier Super, mais je me suis dit que cela ne collait pas à notre image de bons élèves.
Donc, Kevin.
Kevin nous a réunis dans un vestiaire, en short.
- Pourquoi un vestiaire ? a-t-il commencé. Parce que c'est bien là que l'équipe se retrouve, se reforme, converge avant et après le match autour d'un destin redevenu commun. Pourquoi en short ? Parce que le maillot est l'étoffe de votre identité, votre ADN floqué sur un habit de lumière ensanglanté, le symbole de votre aventure partagée, votre identité révélée à la face du monde.
Même si on voyait bien qu'il n'avait pas eu le bac grâce à l'EPS et qu'il avait pris allemand première langue, on sentait que Kevin était à bloc, qu'il avait potassé l'intégrale de Daniel Herrero, qu'il avait décroché le contrat de sa vie et qu'il jouait le tout pour le tout. Si ça marchait, à lui les séminaires d'entreprise Brioche Jacquet et le stage "Remotivation-Recyclage" des seniors virés de chez Michelin financé par Pôle Emploi ! Il faut dire qu'après Sup' de Co' Clermont et quatorze stages non rémunérés dans autant de PME de l'agro-alimentaire ou de l'industrie pharmaceutique de la région, Kevin commençait à regretter de ne pas avoir passé les concours de la fonction publique.
Mais je dois avouer que son enthousiasme était un peu en décalage avec l'état d'esprit du groupe. Sitiveni regardait partout autour de lui d'un air ahuri, n'en revenant visiblement toujours pas. Depuis qu'il est là, j'ai l'impression qu'il est toujours en retard d'une correspondance... Roro se faisait une manucure - soin du cuir chevelu dans un coin, Brock pratiquait un exercice de lévitation que Julien Bonnaire lui avait appris et David relisait les œuvres complètes de Pierre Villepreux. Ti Paulo avait le même regard que dans le lip dub de la fac dentaire, et Julien Bardy dormait sur l'épaule d'Elvis qui commençait à piquer du nez.
Mais Kevin ne s'est pas décontenancé, et a poursuivi :
- Pour bien vivre les valeurs de votre entrepr... club, il faut vous les approprier. Vous devez donc en donner une définition personnelle et les revisiter à votre manière. Vous, par exemple, oui, le Monsieur avec les longs cheveux blonds en train de faire des appuis faciaux sans vous arrêter depuis une vingtaine de minutes (il s'adressait en fait à Gerhard), oui, merci de me prêter attention, quelles sont pour vous les valeurs de l'ASM ?
Gerhard, sans s'arrêter de pomper, est passé sur une main et s'est gratté la tête :
- Euh... La violence dans son expression la plus pure et la plus positive ?
- C'est un bon début... Et vous là-bas, qui prenez des notes et qui semblez être le seul à m'écouter (c'était Julien Bonnaire, qui avait de toute façon levé le doigt), qu'en dites vous ?
- Les valeurs de l'association sportive montferrandaise Clermont Auvergne sont "Envie - Fierté - Rigueur". Cette trilogie illustre parfaitement la volonté du club de s'inscrire dans la durée et la performance, tout en mettant au premier plan les valeurs du sport en général et du rugby en particulier, habitées de respect pour le jeu et l'adversaire, de professionnalisme et de compétence, le tout dans un esprit de solidarité et de convivialité, dans une région où humilité et sens du travail bien fait ne sont pas de vains mots.
Une fois qu'il a eu débité sa tirade, il m'a regardé avec l'expression déférente et interrogatrice de l'élève studieux à la recherche du bon point. Clément et Loïc lui ont envoyé une boulette en le traitant de "fayot". Je les ai tous regardés méchamment pour les calmer mais Kevin n'en était pas troublé pour autant :
- Très bien ! Belle définition que ne doit pas renier le monsieur aux cheveux gris qui pianote sur son portable là-bas au fond.
René leva la tête un peu surpris :
- Excusez-moi, je tchatais avec Michel Drucker. Oui, c'est vrai, vous ne le savez peut être pas mais je suis le maire d'Eygalières... Il paraît qu'Angelina fait du vélo d'appartement nue sur sa terrasse... Alors les valeurs de l'ASM... Eh bien, un gros potentiel à exploiter sur le créneau 35 - 44 ans de la région parisienne, une croissance continue mais maîtrisée, un merchandising en progression constante, tant du point de vue qualitatif que quantitatif et surtout d'excellentes relations avec les partenaires, commerciaux et institutionnels, que j'en profite pour saluer.
- Bien, je vois que Monsieur connaît bien son entrep... son club. Bon, maintenant, nous allons faire un petit jeu. Je vais vous demander de mimer devant tous vos collè... vos équipiers votre vision des valeurs du rugby.
A ce moment-là, Kevin a commis une grave erreur. Il a proposé à Jamie de commencer le jeu. Je ne sais pas si c'est le fait de ne pas avoir joué depuis quinze jours où s'il a mal compris la définition du mime, toujours est-il qu'il a pris Kevin en planche. C'est à cet instant qu'Olivier Magne, qui avait forcé la porte, est entré en hurlant "Pas touche au consultant ! Quel manque de classe !" et en essayant d'extraire Kevin du Ruck. Voyant cela, Julien Bardy, réveillé par le doux bruit du plaquage sur le carrelage, se jette sur Magne. Ensuite, j'ai une vision assez brouillonne des choses. La générale est partie d'un coup. J'ai réussi à m'extirper du vestiaire et j'ai attendu seul sur le terrain.
Ils sont tous sortis au bout de vingt minutes, dans un état proche de l'Italie ou du Vénezuela, enfin un truc pas beau à regarder de près, mais ils avaient tous le sourire à leurs lèvres tuméfiées. Jamie et Gerhard tenaient Kevin à une main par les épaules à trente centimètres au-dessus du sol. Olivier Magne rigolait avec Alex Audebert parce que son téléphone était cassé et qu'il ne pouvait plus twitter. Ils avaient tous l'air très épanoui.
Ils se sont tous réunis autour de Kevin, toujours en suspension. Roro a pris la parole au nom du groupe en le remerciant chaudement de leur avoir si bien expliqué les valeurs de l'ASM.

dimanche 20 novembre 2011

La photo du jour : Scandale !



Ci-contre (oui tout contre...), la photo proposée par Benetton pour sa campagne publicitaire mais refusée par l'USAP et l'ASM.

jeudi 17 novembre 2011

Hommage à l'asémiste inconnu



L'effervescence règne au club : le téléphone n'arrête pas de sonner chez Jean-Marc et Jean-Pierre qui ont rameuté leurs copains joueurs pour le match du centenaire. Hier matin, nous avons même commencé à célébrer, dans l'intimité du groupe, l'anniversaire. Jean-Marc nous a réuni au centre du terrain. Il avait écrit un hommage à l'Asémiste Inconnu qu'il nous a fait lire par Frédéric Mitterrand (si, si, ça marche pas pareil si c'est pas lui qui le dit !) :

"O toi, l'Asémiste Inconnu, trop tôt disparu sous un maul effondré, emporté par une injuste marmite perdue, Ô toi joueur de l'impossible, sublimé par une quête inlassable du bouclier redevenu un an arverne mais si tôt reparti, toi qui a lutté dans la boue et sous les quolibets du public de Voiron, de La Voulte, de Tulle ou d'Air sur Adour, et qui, chaque dimanche, enfilait tes crampons au péril de ta vie, toujours à la merci d'une fourchette, d'un mauvais geste ou d'un piétinement, toi, joueur du groupe B, traversant la France en autobus pour aller chercher une improbable qualification pour les phases finales et finalement échouer en Seizièmes, à Graulhet... Toi qui foulait les terrains impraticables, les pelouses inondées par les sapeurs pompiers volontaires du coin afin de niveler le niveau, toi l'ailier solitaire, oublié des hivers entiers tout au fond du terrain, là-bas, à l'aile, où la vie n'est pas toujours si belle, toi la poutre du pack, baissant la tête à chaque impact, et te relevant péniblement après chaque plaquage, toi le demi de mêlée qui retournait chaque week end tes mille kilos de viande, toi, pépiniériste la semaine, joueur de rugby marron le week end, qui abandonnait femme et enfant pour aller insulter sur leurs terres, le Grand Béziers, le Grand Toulon, toi immigré venu de terres plus accueillantes qui a bravé la noirceur de la ville et les rigueurs de l'hiver, toi qui n'hésitait pas à poursuivre le combat au cours de troisièmes mi-temps épiques que la décence et le sceau du secret m'empêche de raconter ici, toi l'asémiste anonyme, qui est revenu chaque année au stade pour supporter sans haine, ni mépris, ni honte, ton équipe que l'on disait maudite, toi qui est venu à la capitale et qui en est à chaque fois reparti plus triste, toi l'ancien minime, l'ancien cadet qui n'a jamais réussi une passe vrillée ni un drop, mais qui a été le ferment de ces générations qui se sont succédées sur le pré, toi l'asémiste, sportif du dimanche ou athlète incomparable, toi l'amoureux du jeu, de la mornifle et du tampon, oui, toi,
Sois cent fois remercié,
Soit cent ans applaudi,
car toutes les victoires, toutes les défaites, tous les chambrages, toutes les générales, tous les "Merci, bon match", toutes les poignées de main, toutes les larmes, toutes les joies entrevues sur de belles actions et toutes les frustrations éprouvées sur chaque en-avant, oui, toi l'asémiste anonyme, toi le bougnat magnifique, toi le bib glorieux,
Tout cela te revient,
Tout cela est à toi !"

Lorsqu'il en eut terminé, Roro, Le Chinois et Julien Malzieu pleuraient. Brock a dit : "Jean-Mawque : le bouclier, c'est pour toi".

C'est à ce moment que le concierge du stade est venu nous interrompre :
- Euh bonjour, pardon de vous déranger, j'ai avec moi un certain Monsieur... Sitépav'nu.... Sylvie Vatout... Comme il ne parle pas notre langue, j'ai pas très bien compris... En plus, il est en fauteuil roulant, alors je l'ai laissé au pesage...

dimanche 13 novembre 2011

Ulsta Paradise

Tout avait bien commencé. Il faisait bon, pas de vent. Une douce lumière éclairait ce stade sympathique de Ravenhill (la "colline au corbeau" : ils aiment vraiment le pittoresque ces Irlandais...). Je me suis même fait la réflexion : "On dirait Colombes, mais avec des gens dedans". Et pour le coup, pendant la première mi-temps, on se serait cru sur la colline aux colombes, voire même au Michelin, tant nos supporters donnaient de la voix...

Mais soudain, quelqu'un a éteint la lumière. La nuit est tombée et les corbeaux sont revenus hanter nos pensées. De favoris de la HCUP, on est devenus outsiders du Challenge...

En plus, je crois que Brock nous fait une petite allergie à l'Irlande. Lorsque, avant de partir, je lui ai rappelé où était l'Ulster, il a blêmi et il nous a fait une crise d'urticaire. A l'hôtel, il est arrivé tout paniqué dans ma chambre en me suppliant de ne pas le faire jouer sur cette terre maudite. Il m'a dit qu'il venait de voir un corbeau qui lui avait dit "Tu ne réussiras jamais plus un coup de pied".

Et effectivement, lorsqu'il est entré en jeu, il a failli décapiter un korrigan en tentant une pénalité.

Au large je poussai le volet ; quand, avec maints enjouement et agitation d’ailes, entra un majestueux Corbeau des saints jours de jadis. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta ni n’hésita un instant : mais, avec une mine de lord ou de lady, se percha au-dessus de la porte de ma chambre - se percha sur un buste de Pallas juste au-dessus de la porte de ma chambre - se percha, siégea et rien de plus.

Alors cet oiseau d’ébène induisant ma triste imagination au sourire, par le grave et sévère décorum de la contenance qu’il eut : « Quoique ta crête soit chue et rase, non ! dis-je, tu n’es pas pour sûr un poltron, spectral, lugubre et ancien Corbeau, errant loin du rivage de Nuit - dis-moi quel est ton nom seigneurial au rivage plutonien de Nuit. » Le Corbeau dit : « Jamais plus. »

Edgar Allan Poe, Le Corbeau (The Raven), traduit en français par Stéphane Mallarmé, 1875.

La photo du jour : Ulster à l'estomac

Après la victoire contre Clermont, Simon Danieli est plutôt content de son match...

jeudi 10 novembre 2011

J'ai lu le MIDOL pour vous

Le MIDOL, c'est le seul journal spécialisé dans le rugby en France. C'est moche, mais c'est comme ça. Alors il faut le lire...

J'ai pris le MIDOL avec moi en Irlande. Petit tour d'horizon pour vous donner envie (ou pas) de lire la presse :

La décla approximative :
Jackie "The-Anti-Pink-Yo-Mum-Challenger" (en français, "le pathétique vanneur du stade Français mais bon n'est pas Mourad Boudjellal qui veut") nous régale de sa maîtrise de la langue française :
"La Coupe d'Europe est l'objectif prioritaire du Racing, pas le principal".
Comme je ne comprends pas encore très bien toutes les subtilités de votre langue (la différence entre un "bourre-pif" et une "marmite" m'échappe encore, mais Jamie me confirme que c'est différent), j'ai regardé dans un dictionnaire :
- Prioritaire : qui passe avant tout.
- Principal : le plus important.
Mais le plus ennuyeux dans cette affaire, ce n'est pas tant qu'il l'ait dit, c'est que le MIDOL parvienne à en conclure quelque chose...

En page 2, notre Jean-Marc fait du Jean-Marc, tout en sobriété et en retenue. En page 3, Maître Guy, égal à lui-même et très en forme en ce moment, fait du Guy Novès, tout en sobriété et en retenue, je cite :
- "On a récupéré des joueurs [mondialistes] massacrés".
- "Je pense que tous les mondialistes seront prêts pour... le Tournoi"
- "N’oublions pas qu’on aurait pu perdre dernièrement contre Paris (18-15, N.D.L.R.), qu’on est passé de peu contre le Racing-Metro (41-36), qu’on menait de peu à la pause (11-6) contre Bordeaux-Bègles (victoire finale 56-6), qu’on a pris une danse à Castres (3-24). Je suis aujourd’hui inquiet de savoir si mes joueurs vont avoir les ressources mentales nécessaires pour jouer contre Gloucester, sachant que les Anglais vont venir hypermotivés. S’ils les auront pour aller, en décembre, défier les Harlequins, qui cassent tout. Si nous avions la chance d’avoir un club italien dans la poule, je serais moins inquiet."
Si il continue d'être sa propre parodie, il va mettre tous les blogs humoristiques parlant de rugby sur la paille...

En page 4, les capitaines des équipes françaises engagées en HCUP posent avec la coupe. Roro a les plus jolies chaussures. Tiens, il y a un petit chien blanc juste derrière eux qui a l'air de chercher un coin pour se soulager. On ne pourra cependant pas accuser les Brits de nous avoir envoyé un chat noir...
Juste en-dessous, des nouvelles de Joe-best-european-trainer-Schmidt, comme à son habitude sympa avec tout le monde. Il nous voit "énormes". Il faut que j'en parle au diététicien du club...

En page 5, on apprend que j'ai sorti la grosse équipe contre l'Ulster, mais qu'en face, y'a pas que des rigolos et Muri offre l'essai Gédimat de la semaine au Stade Français.

En page 6, Laurent Labit estime que George North risque de rapidement "ringardiser" Shane Williams. Lorsqu'on voit la coupe de cheveux de ce dernier, on se dit que ce ne sera pas difficile...

En page 8, on lit que Trinh-Duc est meilleur au pied que Sexton. Faut voir...

En page 9, on parle de nous. On y voit qu'on a un (léger) complexe de supériorité face aux Ulstermen. C'est jamais bon avant de rencontrer des Irlandais... Sinon, le français est encore malmené dans une question qui ne veut rien dire, posée à Morgan Parra :
"Clermont n’a encore jamais affronté cette équipe, à l’instar de vous qui les aviez joués avec Bourgoin".
On apprend aussi que le retour de Roro va "densifier notre défense". Ah bon ?
De mieux en mieux, on apprend enfin que les journalistes du MIDOL lisent le Blog de Vern puisqu'ils osent écrire, je cite :
"Avec les Skrela, Parra, Byrne et Rougerie (!!!), les Auvergnats sont supérieurement équipés" (au pied, cela s'entend...). Merci les gars pour ce clin d'oeil...

Ensuite, je suis passé vite. Ça parlait de Biarritz, bla-bla-bla. Sinon, c'est le tarif habituel : au minimum une faute de grammaire par page, sans parler des métaphores et tournures livrées avec le petit manuel du journaliste sportif...

En page 11, Luke Burgess voit son transfert à Toulouse comme un "défi culturel". On le comprend... Matanavou alimente la thèse du complot en appelant son fils nouveau né "Pierre-Yves".

En page 13, Christian Gajan se fout ouvertement des Italiens en déclarant que "Rovigo est une place forte du rugby italien". Jusqu'où ira le chambrage ?

Plus loin on a des nouvelles de Lo Zupone, qui joue à Montluçon... En fédérale 2, Clermont-Cournon a un match difficile à Villeurbanne, après l'annulation du match de la peur contre la Voulte-Valence.

En page 25, un article sympa sur la victoire des Français contre les Blacks le 11 novembre 1995. Si on écrivait un mémorial de nos victoires contre vous, une année de MIDOL n'y suffirait pas...

En page 26, Fufu démontre, s'il en était besoin, que c'est un "bon mec", dans une interview.

Et, cerise sur le gâteau, en dernière page, une spéciale derby parisien à laquelle je faisais référence plus haut et qui ne manque pas de saveur. Richard Pool-Jones y est, comme d'habitude, excellent de malice. Mais pour en avoir la teneur, il faut acheter le journal...

Voila. C'est fini. Le MIDOL, c'est deux fois par semaine et c'est tant mieux parce que, comme l'aurait dit Marie-Pierre Casey en son temps, "je f'rais pas ça tous les jours"...

PS : et n'oubliez pas que le 11 novembre, on commémore les poppies...

La photo du jour : infos people

Exclusif : Pottoka est une femelle et elle a eu un enfant avec Guy Carlier. Il s'appelle Michel et il joue talonneur aux Melbourne Rebels.
PS : Merci à Doowie pour l'info...

mercredi 9 novembre 2011

La photo du jour : HCUP is back

Une grosse paire de couilles, les oreilles en chou-fleur, les cheveux en bataille et la tête plus large que le cou : elle a une bonne gueule de première ligne cette HCUP...

L'ASM, l'exemple à ne pas suivre

Aujourd'hui, j'ai reçu un coup de fil de la capitale. Comme c'est pas si souvent, j'ai décroché. C'était Eric Bayle, le mec de Canal + qui est persuadé que le Top 14 est le meilleur championnat du monde. Je me marre : c'est pas en faisant venir quelques joueurs surcotés sur-médiatisés et sur le déclin et en les faisant jouer dans des équipes moyennes qu'on fabrique le meilleur championnat du monde... Enfin bon, je vais pas me plaindre, je pourrais être le sélectionneur des All Blacks, ces pauvres types qui jouent le super 15 et les Tri-nations...
Bref, pourquoi Eric Bayle ? Une interview de Cudmore pour Halloween, un sujet sur la sensibilité digitale de Roro, des réductions à Royatonic ? Rien de tout cela :
- Bonjour Verne Cotteur, c'est Eric Baïlle de Canal + (J'ai souligné les syllabes à accentuer pour que vous l'ayez bien en tête).
- Bonjour Eric, que puis-je pour vous ?
- Pour être franc avec vous, Vern, ça ne va pas du tout.
- Ah ?
- Oui. En fait, le problème, c'est votre club. Il n'est pas du tout télégénique.
- Euh, pourtant je ne mets plus de bonnet ?
- Non c'est pas ça, encore, vous, vous êtes très bien : pas un sourire, vous faites peur aux enfants, on arrive toujours à gloser là-dessus. Un mec qui tire la tronche, c'est spectaculaire.
- C'est à cause de Jamie alors : il ne donne pas une bonne image du rugby...
- Au contraire, il est super : un mec comme lui justifie à lui seul les 43 caméras autour du terrain, les 87 ralentis par matches, les stats à la con sur le nombre de cartons jaunes reçus en carrière, sans parler des dix minutes par retransmission qu'on passe sur le cas du bad boy canadien, du canuck en colère, du bucheron de Toronto, du frère de "La Chose" et j'en passe et des meilleures, bref, un vrai régal ! Non, le problème c'est tout le reste...
- C'est à dire ?
- Ben... Des supporters toujours impeccables et sympas qui soutiennent leur équipe envers et contre tout, qui ne sifflent pas sur les pénalités, qui se déplacent en nombre à l'étranger... Un président discret mais efficace, un manager maniaque de l'intimisme et de la modération, des joueurs remarquables de proximité et très corrects sur le terrain qui ne trébuchent jamais sur une table de nuit ou qui ne harcèlent pas les femmes de chambre...
- Tout de même, ils ont mangé de la peau de poulet l'autre jour !
- Oui, c'est exactement ce que je veux dire : la terreur de l'équipe fait une psychothérapie et écrit des lettres d'excuses, après avoir été suspendu à titre provisoire par le club. On est dans du grand n'importe quoi ! Vous êtes en train de tuer le business !
- Je ne comprends pas : on a une stratégie de développement, on se structure remarquablement, l'assise du club ne cesse de croitre : le business marche à donf. On a même réussi à ouvrir un restaurant pour gogos dans les tribunes !
- Mais justement ! Votre business, pas le nôtre ! Comment voulez-vous qu'on fasse du bon journalisme si vous avez des infrastructures exceptionnelles, si le centre de formation sort des Fofana et des Buttin tous les ans, si vous êtes réguliers au plus haut niveau sur le long terme, sans pression du résultat et avec une communication neutre et responsable ! Vous allez nous foutre sur la paille, oui !
- Mais enfin, c'est ça le professionnalisme !
- Pas du tout ! Le professionnalisme, ce sont des clubs qui changent de manager en cours d'année et qui recrutent, pour le remplacer, leur ennemi juré, des clubs qui font appel à des repreneurs douteux, qui mettent en minorité leurs présidents historiques, des clubs glamour de la grande banlieue parisienne à fort potentiel de développement sur les 15 - 34 ans, ce sont des transferts de stars, des déclarations fracassantes à l'emporte pièce, des analyses dont la validité ne dépasse pas l'intervalle entre deux matches, des interviews limitées à 200 mots de français de Djôni Ouilekinnesonne, des voiturettes de golf à contre sens sur l'autoroute et des coming out !
- Ouais d'accord, mais bon, ici c'est Clermont-Ferrand : l'Auvergnat est d'un naturel discret et travailleur qui déteste faire étalage de sa réussite.
- C'est bien ce qu'on vous reproche. Si je viens à Clermont, sur quoi je vais faire mon pitch ? L'eau pure des volcans d'Auvergne, le bon air des montagnes, la partie de pêche de Julien Bonnaire, un club stable qui progresse dans la durée et l'humilité ? On ne pourrait même pas faire un blog sur vous... Non, ce que veulent les gens, c'est du Byron Kelleher qui fait le haka bourré après avoir falsifié quelques contrats de joueurs, c'est de la starlette sud-américaine ou tatouée blessée un match sur deux au talent sur-exploité mais qui passe bien à la télé, c'est du poilu vindicatif et du teigneux paranoïaque, c'est des seins qui pointent et qui ballotent au Stade de France. Vous, vous avez le charisme d'un deuxième ligne georgien et l'impact marketing de la sélection du Tonga.
- Ok, mais à Toulouse, il font un peu pareil, non ?
- Mais mon cher Vern, vous ne jouez pas encore dans la même catégorie ! Avec le Stade, on peut en faire des caisses sur le jeu à la toulousaine, sur l'immensité et la classe de Jauzion ou Dusautoir, sur les stars qu'ils recrutent, sur cette incroyable permanence au plus haut niveau, et puis, et puis, Guy Novès, quel client tout de même !
- Bon et alors ?
- Alors vous allez me mettre un peu de people et un peu de vaseline dans tout ça ! J'ai fait appel à la rédaction chargée du football pour vous trouver quelques prostituées mineures pour votre prochaine troisième mi-temps et j'ai donné votre numéro de téléphone à Christophe Dugarry pour qu'il mette un peu la pression sur votre président. Éventuellement, si vous pouviez perdre quatre ou cinq matches consécutifs qu'on puisse faire un sujet sur la crise à Clermont, ce serait parfait ! Allez, je vous laisse, j'ai un sujet à terminer sur le coiffeur de Sébastien Chabal.

Et il a raccroché...

A ce moment là, Julien Bonnaire a frappé à ma porte.
- Coach, je pourrai quitter l'entraînement plus tôt aujourd'hui ? J'emmène mes enfants à la vallée de Chaudefour et la nuit tombe vite...
Alors j'ai pensé à Mickaël, Pierre, Christian et les autres, et je me suis dit que j'avais de la chance...

mardi 8 novembre 2011

La photo du jour : Conseils fraternels

Les conseils d'un frère sont toujours précieux : "Tu vois, Jamie : main ouverte, c'est moins efficace. Pour faire mal, il faut fermer le poing, comme ça !"

La théorie du Bordel

Ce matin, j'ai reçu un coup de fil étrange... C'était -soi disant- Jonny Wilkinson. Il m'appelait de Toulon et avait une voie de conspirateur.
- Vern, il faut absolument que je te prévienne. Je n'ai pas beaucoup de temps. Je crains pour ma sécurité. Il faut que ce que je vais te dire reste entre nous.
- Pardon ?
- Les ballons, Vern ! Les ballons !
- Quoi les ballons ?
- Les ballons : c'était pas les mêmes ! Entre les entraînements et les matches ! "Ils" les changeaient ! J'en suis sûr !
- Qui ça "Ils" ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
- Je... Je...
J'entendis une voie dans le téléphone. On aurait dit Bernard Laporte :
- Djôni ? Djôni ? Djôni, tu n'as pas terminé ton entraîneuhmant : il te reste encore sinnequanteuh-si pénalités et quarannete-trois drops à taper.
Jonny reprit, en sourdine :
- Je dois te laisser.
Bernard Laporte se fit plus audible :
- Ah ! Tu es là ! Encore au téléphone ? J'espère que tu n'es pas en train d'appeler le refuge SPA pour retrouver le chat de ce Monsieur Schrödinger dont tu nous bassines à longueureu de journée !
- Non non ! Je téléphone à ma mère. Good bye Mom !
Et il a raccroché.

Ensuite, j'ai ouvert Rugbyrama. Ça sert à rien mais ça permet de se vider la tête. Et éventuellement de glaner quelques infos : c'est Mario Ledesma qui m'a donné ce conseil... Et là, j'ai vu que Jamie était cité.

Quelques minutes plus tard, je reçois un mail :
"Vous êtes sur la bonne voie. Continuez à creuser". Signé : "Deep Throat".

J'ai cru que c'était une blague de Jean-Marc. Je suis allé dans son bureau. Il était devant son ordinateur :
- Je suis sur Rugby Manager 2012. Le logiciel est formel : on peut faire 84 équipes types différentes cette année, rien qu'avec le groupe pro et sans compter le maillot extérieur. J'y ai passé toute la nuit...
Ça ne pouvait pas être lui.
Quelques minutes après, je suis descendu au parking pour prendre ma voiture. J'étais seul. Du moins le croyais-je. Une voix m'a interpellé dans la pénombre :
- Vern Cotter ?
Je me suis retourné et j'ai aperçu un homme en pardessus gris, la tête cachée dans l'ombre.
- N'approchez pas ! Je suis "Deep Throat". Je viens vous initier au complot !
Il avait un fort accent auvergnat.
- Le complot ?
- Oui, le complot contre l'ASM !
- Ah ?
- Pourquoi croyez-vous que Jamie Cudmore ait été cité ?
- Parce qu'il avait distribué un Oi Tsuki à Fillol ?
- Non, c'est le complot !
- Ah ?
- Pourquoi Giraud n'a-t-il pas écopé de plus de 20 jours pour avoir marché sur l'un de vos joueurs ?
- Parce que la LNR n'est pas cohérente dans ses décisions mais de toute manière, Jamie n'a pas encore été sanctionné...
- Non ! C'est le complot. Thibaut Privat distribue toujours des baffes à tours de bras au MHRC, il n'est plus inquiété !
- Bof, il a dû en distribuer pas mal tout au long de sa carrière sans pour autant avoir toujours été cité...
- Non ! C'est le complot !
- Le complot de qui ? Des mecs qui gonflent les ballons de Wilko ?
Il hésita :
- Je vois pas le rapport. Non, c'est le protocole des sages de Marcoussis !
- Le qui des quoi d'où ça ?
- "Ils" se sont réunis secrètement à Marcoussis et "ils" ont conspiré pour la défaîte de l'ASM. "Ils" se sont partagé le rugby. La ligue et la FFR sont de mèche. "Ils" ont très peur de Jamie Cudmore et "ils" cherchent destabiliser le club. L'objectif, c'est qu'il ne joue pas contre Castres le 2 décembre. Tout le monde le sait. C'est cousu de fil blanc !
- Bon maintenant, Monsieur, je vais vous demander de me laisser tranquille.
- Vous ne me croyez pas, hein ? Vous ne croyez pas au complot de l'ERC, dirigée par un homme de paille, français pour donner le change, pour privilégier Biarritz, Toulouse et les clubs celtes au détriment de tous les autres, mais surtout et en particulier de l'ASM ? "Ils" se rencontrent dans des loges où ils boivent du champagne offert par le Racing et Canal +. "Ils" fricotent avec des journalistes qu'ils manipulent pour dire du mal de nous ! "Ils" conditionnent les arbitres pour favoriser la victoire des mêmes équipes ! "Ils" ont pour nom, entre autres, Nigel Owens, Richie McCaw ou Eric Bayle ! Vous ne me croyez toujours pas ?
Il fallait que je m'en débarrasse car je commençais à le trouver crédible :
- Je vais vous dire à quoi je crois : je crois en la faillibilité de l'être humain, qu'il soit joueur, arbitre, journaliste ou commissaire à la vidéo, je crois en l'imperfection du système, la plupart du temps incarné par des gens de bonne volonté, et qui, voulant le bien, peuvent accomplir le mal, je crois à la subjectivité et à l'imprécision, je crois au hasard, à la chance et au manque de chance, je crois aux coïncidences et aux rebonds capricieux du ballon, je crois aux jours sans et aux moments de grâce, je crois au 9 juin 2007 et au 29 mai 2010, bref je crois à l'incertitude du sport.
Après cette tirade, il fallait que je reprenne mon souffle...
- Mais il y a une théorie à laquelle je crois plus que tout, considérant l'enchevêtrement inouï et l'insondable variété des intérêts particuliers et collectifs, des destinées individuelles et des passions humaines, c'est la théorie du Bordel, où personne ne maîtrise rien et où tout le monde tente de tirer son épingle du jeu, au mépris de tout schéma établi à l'avance. Vous n'avez qu'à regarder les derniers matches du XV de France pour me comprendre. Sur ce, je vous laisse !

Je suis monté dans mon automobile et je suis rentré chez moi combattre le complot des taupes contre ma pelouse...

lundi 7 novembre 2011

La photo du jour

Quoi ? Tu me donnes rendez-vous un dimanche à six heures du mat' place de Jaude pour me demander si on peut encore gagner le championnat après notre défaite au Stade de France et si je souffre pas du décalage horaire ? Non, je la trouve pas particulièrement pertinente ta question...

Un peu de publicité

Aujourd'hui, le nombre de "pages vues" du blog de Vern vient de dépasser la barre symbolique des 18 000 clics, soit le nombre de places du stade Marcel Michelin.
L'occasion pour moi de remercier les quelques inconditionnels de ce site (je suis moi-même surpris de leur existence), mes deux amis sur Facebook (non vous n'êtes pas seuls - oui, j'ai même un wall : n'hésitez pas à me "laillequer", à me plussoyer, voire à devenir mon ami, j'ai l'air sérieux et distant comme ça, mais en fait, c'est juste pour me donner un genre et sous des dehors bourrus de fermier néo-zélandais se cache un homme simple et un rien sentimental), sans parler de ceux qui suivent mes aventures en Nouvelle-Zélande, aux États-Unis, en Grande Bretagne, mais aussi, entre autres, à Singapour ou au Luxembourg.
Il est vrai que je dois une part de cette modeste mais réelle renommée à l'excellent site des Cybervulcans qui demeure la référence sur l'ASM, loin devant le site officiel du club, mais aussi à la maintenant célèbre et courtisée boucherie-ovalie, qui fait pleurer des larmes (de sang) de rire à tous les amateurs de rugby en France et à l'étranger, et qui a bien voulu faire ma publicité. Qu'ils soient tout deux remerciés, sans eux la fréquentation de ces pages serait à peine supérieure aux nombre de victoires de la sélection nationale namibienne.
Il faut dire que le blog de Vern reste un site familial, tenu par une seule personne quand il a le temps, imperméable au professionnalisme et revendiquant fièrement son (attachement à l') amateurisme, une sorte d'artisanat du web en quelque sorte (la qualité générale de l'iconographie l'illustre parfaitement d'ailleurs).
Ami lecteur, amusé ou déçu, habitué ou de passage, soit donc le bienvenu dans ma modeste boutique et n'hésite pas à laisser quelques commentaires, voire un courrier, pour exprimer ton plaisir ou ton mépris : l'artisan a besoin de retours pour savoir comment son travail est apprécié et s'il doit continuer à encombrer le terrain avec ses relances hasardeuses et ses up and under ou s'il est temps pour lui de sortir sur coaching...

Le top 10 de mes pires moments en Auvergne

Certains pourraient croire que l'humiliation subie par l'équipe samedi dernier au stade de France est l'un de mes pires moments à la tête de l'ASM. Il n'en est rien, on peut encore tomber plus bas... Car vivre à Clermont-Ferrand, contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce n'est pas que du fun :

1. Quand j'ai réalisé que Jean-Pierre Perez était champion de France en 2009.
2. Quand j'ai réalisé qu'en fait, on avait perdu la finale 2007.
3. Quand j'ai réalisé que Guy Novès était meilleur que moi en 2008.
4. Quand j'ai réalisé que Joe Schmidt m'avait mis minable sur la phase de poules de HCUP 2010-2011.
5. La nuit du rugby 2009.
6. Quand Jean-Marc m'a annoncé qu'il avait confondu Kevin et John Senio (quand on a recruté John).
7. Quand Jean-Marc m'a annoncé qu'il avait confondu John et Kevin Senio (quand on a recruté Kevin).
8. Chaque plaquage sur Brockie.
9. Chaque plaquage de Brockie.
10. Notre soirée Fado à Faro.

Je vous rassure, j'ai aussi eu quelques moments de grâce...

samedi 5 novembre 2011

J'aime plus Paris

Il m'a fallu être particulièrement zen pour regarder le match contre le Stade Français jusqu'au bout. Mais bon, perdre au Stade de France, c'est tout de même moins la honte que de perdre à La Rochelle. Enfin, on verra...
Comme je n'ai pas grand chose à dire sur le match, je vais vous raconter notre petite escapade à Paris.
Premier enseignement : Paris est toujours le club le plus kitsch de France. Ce qui est sympa à la capitale, c'est que tu peux te permettre de faire des spectacles d'un goût douteux, tout le monde trouve ça génial. On ferait la même chose à Montauban ou à Voiron, tout le monde trouverait ça beauf. Ça s'appelle le snobisme.
Malgré tout, certaines choses ont changé. Ce n'est plus Max qui vient nous chercher dans sa Cadillac rose.

Adieu Dalida, bonjour Bénabar.

C'est un monsieur bien sous tout rapport et un peu terne qui nous a accueilli à notre arrivée. Il était accompagné de Mario. Celui-ci a serré longuement la main du président Fontès en le regardant dans les yeux avec un sourire figé. Au bout d'un moment, René, dans un rictus de douleur, a demandé à Mario s'il voulait bien lui lâcher la main. L'Argentin a desserré l'étreinte et a déclaré, visiblement de mauvaise grâce, sans desserrer les dents :
- Mais bien sûr, bienvenue à Paris, Président.
Jean-Marc m'a alors dit à l'oreille :
- Tu vois, il ne nous en veut vraiment pas, Mario.

M. Savare a ensuite accompagné René à sa voiture, une austère berline allemande noire avec des vitres teintées, immatriculée en Meurthe et Moselle. Le nouveau président a ouvert sa portière et il a eu un mouvement de recul :
- Max ! Qu'est-ce que je t'ai dit ? C'est moi qui conduit maintenant !
Alors, Max Guazzini, un peu contrit, est sorti de la voiture et est allé s'installer dans le coffre.
- Les héritages, c'est parfois encombrant, a ajouté un peu gêné Thomas Savare. Et c'est un fils de famille qui vous le dit.

Dans la voiture, sur le trajet vers l’hôtel, on a eu une conversation, comment dirais-je, intéressante. Le président Savare a commencé bille en tête :
- Alors mon cher René, comment avez-vous segmenté votre cœur de cible en Auvergne ? Selon des critères sociodémographiques ou psychographiques ? Et est-ce que tu penses comme moi que l’expérience-client a pris le relais de l’innovation-produit comme critère de différenciation sur les marchés matures ?
J'ai senti René un peu hésitant... J'ai l'impression qu'il avait plutôt révisé la variété française des années 70.
- Euh... Vous aimez Mike Brandt ?
En fait, et heureusement, il ne s'agissait que d'une question rhétorique. Savare a embrayé :
- Non, parce que nous, au SF, on est à fond sur le créneau hors media, si tu vois c'que j'veux dire (René voyait très bien, il faisait la même tête qu'à la nuit du rugby 2008) on maximise total sur le merchandising et l'incitation via les prescripteurs. On fait un peu de mass-media, mais moi je suis plutôt pour un déploiement local des actions marketing. C'est ça la rugby : avant tout, de la proximité et de la convivialité !
- Oui, oui...
- Ah je vois que vous êtes d'accord avec moi. En plus, en Auvergne, tout le monde n'a pas la télévision, alors il vaut mieux s'en remettre à un démarchage plus personnel pour toucher les consommateurs finaux, ah ah ! En plus, chez vous, le wording revêt une importance particulière...
- Certes...
- Et votre stratégie de développement, vous l'articulez comment ?
- Euh... La tribune Crédit Agricole ?
- Nan, mais tu as raison, René. Il est temps de remettre le consommateur - acheteur au cœur de la démarche éco-citoyenne. C'est ça la vraie leçon de la province. Moi, je vous envie. La vie simple, on s'emmerde pas avec des planifications à 15 ans. Et puis les gens sont tellement sympas... Faut dire, heureusement qu'ils sont sympas, hein ? sinon, on s'ferait encore plus chier à la campagne, non ?
- Euh... Je connais Michel Drucker... Il a une maison à Eygalières.
- Ah ouais ? Moi je vois plus mes potes de "Centrale Pa'". Pas le temps... De toute façon, la plupart d'entre eux doivent faire du conseil, maintenant, les cons... Bon, en tout cas, c'est plutôt pas mal pour votre image de marque de venir jouer au Stade de France, ça doit pas vous arriver souvent ?
- A une époque, on venait régulièrement...
- Ah ? Vous aviez des places pour le tournoi ? Moi, je ne viens plus qu'en loge. La tribune officielle, il fait trop froid. Et quand je vois tous ces braves gens qui mettent 10% de leur SMIC pour voir Damien Traille en 10, ça me donne des frissons... Faut être un peu limité, aussi, pour venir se peler les burnes en virage à Saint Denis au mois de mars après avoir fait le voyage en corail dans la journée depuis Clermont-L'Hérault...
- Clermont-Ferrand.
- Oui, c'est c'que j'voulais dire. Bon ça y est, on est arrivé. On ne vous a rien prévu pour ce soir, parce que je sais que vous vous couchez tôt à la campagne, hein ? De toute façon, j'ai un conseil d'administration dans une heure, en VTC avec New York. Putain de Jetlag ! Ça vous dérange pas si je vous laisse Max ? Ce sera moins dépaysant pour lui.

Dans la foulée, Jean-Marc a été interviewé au Moscato Show, pendant lequel il a reçu des compliments de Vincent Moscato. Ça faisait beaucoup de traumatismes dans la même journée...
Je ne sais pas si c'est ça qui nous a déstabilisés, mais toujours est-il qu'on a pris la marée.
On a tout de même passé une soirée sympa avec Max, à feuilleter des calendriers et à se remémorer le bon vieux temps. Comme dirait Mario, le rugby pro, c'est cruel...

vendredi 4 novembre 2011

La chambre de Thomas

Avant de partir à Paris, et pour souhaiter bon courage à Thomas pour son opération, on est allé lui rendre une petite visite à la clinique de la Châtaigneraie. Le groupe était au complet. Certains semblaient plus familiers des lieux que d'autres. Aurélien en particulier a fait la bise à toutes les infirmières, a discuté quelques minutes avec les médecins et a fait le tour des chambres pour saluer de vieilles connaissances. Il en a profité pour faire le point sur ses pouvoirs bio-ioniques avec le Dr Rudy Wells.
Pendant ce temps, on est monté voir Thomas.
En entrant, j'ai remarqué qu'il y avait une plaque sur la porte sur laquelle était inscrit "M. Skrela". Je me suis retourné vers Jean-Marc pour lui demander s'il s'agissait d'un homonyme.
- Non, non ! C'est bien pour David. On s'est rendu compte que ça coutait moins cher pour la saison que pour plusieurs actes. En plus, ça peut servir pour d'autres joueurs, la preuve...
Voyant mon air un peu énervé, il s'est empressé d'ajouter :
- Mais si tu veux, on fera mettre ASMCA à la place.
Dans la chambre, c'était un étonnant spectacle. Bien sûr, il y avait des fleurs partout, plus celles qu'on venait de lui apporter.
- Ah ! C'est gentil de m'avoir offert des chrysanthèmes, a d'ailleurs fait Thomas en nous voyant arriver. L'attachée de presse a rougi, bredouillant que c'était les seules fleurs qu'on trouvait en Auvergne en cette saison. Il faut dire que j'avais bien spécifié qu'il était interdit de lui amener des chocolats pour ne pas perdre le bénéfice de son régime.
Mais surtout, il y avait une drôle d'atmosphère.
Au-dessus du lit, pendaient des gousses d'ail. Aux murs, quelques crucifix. Sur la table de nuit, une patte de lapin, une vierge, un Saint Christophe, deux chapelets et une photographie de trèfle à quatre feuilles. Dans un coin, un fer à cheval, un "sept" et un "treize" en plastique et une "main de fatma", la photo de Gontran Bonheur et plusieurs fétiches africains.
Au-dessus du genou de Thomas, s'affairait un vieux rebouteux que j'avais croisé un jour dans la montagne en train de chercher de la salsepareille et des crapauds. En retrait, un chamane mongol en tailleur faisait tourner un fétiche dans des fumigations, pendant que le célèbre M. Sekou, grand-voyant-medium, l'homme qu'on avait chargé de démarabouter Benoit Baby, lançait des imprécations en tournant sur lui-même.
Soudain, quelqu'un a crié :
- Attention, un oiseau est en train de regarder par la fenêtre !
Jean-Marc, qui était en train de répandre du sel autour du lit, s'est précipité pour tirer les rideaux. Il s'est ensuite approché de Thomas qui le regardait d'un air reconnaissant et lui a pris la main :
- T'inquiète pas mon Doming', cette fois-ci, on a mis toutes les chances de notre côté...

PS : Courage Thomas, tous les supporters de rugby sont avec toi !

mercredi 2 novembre 2011

L'entretien de carrière

Puisque nous sommes dans un club jeune et dynamique, où nous mettons en œuvre les meilleures pratiques du management moderne, comme le dialogue, la franchise et la confiance, et ça, Mario Ledesma pourra en témoigner, j'ai décidé, après avoir paraphé mon nouveau contrat et après la légère fronde née du retour de nos derniers internationaux, de recevoir individuellement les joueurs pour faire un point avec eux de leurs ambitions, objectifs, performances et autres mots rigolos qu'on utilise, nous les managers, pour motiver les gars, les mettre en mouvement, fédérer leurs énergies positives, faire naître la synergie, favoriser la dynamique de groupe (les 3 F !), bref, botter le cul des mecs pour qu'ils se tirent les doigts de ce même fondement et qu'ils ne nous gâchent pas une saison qui commence si bien en quart de finale de la HCUP et en finale du championnat.
A tout seigneur tout honneur, j'ai reçu pour commencer ces entretiens, l'âme de l'équipe, le grand guerrier blond des âges farouches, l'homme bionique, l'égérie du calbute moule-burnes, l'homme qui a la cheville qui gonfle (la preuve en image ci dessous), celui qui manipule la presse
internationale pour protéger les joueurs les plus faibles, j'ai nommé Roro, le meilleur centre du monde (en-finale-de-la-coupe-du-monde-uniquement).
Je l'ai fait asseoir dans mon bureau. Il avait l'air détendu, avec son petit sourire en coin habituel, le genre qu'il aime bien prendre pendant les interviews, un peu distant, un peu amusé, les mains dans les poches de sa polaire...
- Aurélien, si je t'ai fait venir, c'est pour parler de ton avenir et faire un bilan de ta carrière.
- Ouais, pas si mal : 1 Brennus, 1 bouclier européen, 4 finales du championnat, 1 finale de Challenge Cup, 1 coupe de la ligue, 2 grands chelems, 3 coupes du monde dont 1 finale...
- Oui, je sais Aurélien, aux RH, ils m'ont donné ta page Wikipédia quand je leur ai commandé ton dossier. Non, je voulais te demander, à ce moment de ta vie, comment tu voyais ton avenir en jaune et bleu ?
- En 10.
- Comment ça "en 10" ?
- Ben ouais, en 10, comme Morgan.
J'ai failli prendre ça à la rigolade en lui répondant qu'on avait suffisamment de soucis en défense dans la zone de l'ouvreur pour ne pas rajouter une fragilité, mais il avait l'air tellement sérieux... Et pour cause, il l'était :
- Et ouais ! Je suis quelqu'un, moi. Moi, je suis Aurélien de Clermont. Y'a même un mec qui a écrit un bouquin sur moi, alors que j'avais même pas trente ans. T'en connais beaucoup des mecs sur qui on écrit des bouquins alors qu'ils ont pas trente ans ? Moi, j'en connais pas. A part Rimbaud et Mike Brandt, mais bon, ils sont morts, alors c'est pas pareil...
Ça faisait beaucoup de "moi" dans la même tirade. J'ai essayé de l'interrompre :
- Mais en 10, tout de même !
- Attends Coach, faut être lucide : c'est l'embouteillage derrière. Tu crois que Sivivatu, Byrne et King vont faire banquette pour regarder jouer Fofana, Malzieu et Floch ? Sans compter sur le retour de Nap's. J'ai la solution : je me reconvertis en ouvreur. Quand David va se blesser, il faudra quelqu'un pour aider Brock. Me voila ! C'est mon destin : j'ai commencé 14, je suis 13, je saute le 12 et je me retrouve 10. C'est ma-thé-ma-ti-que.
- Mais enfin Aurélien, tu as deux pieds gauche !
- Honnêtement, Coach, si on t'avait dit, il y a deux ans, que je serai titulaire au centre en finale de la coupe du monde, tu l'aurais cru ? Et même François s'est amélioré au pied.
Ça, c'était à la fois un coup bas et un argument imparable...
- Tu sais, Vern, tu permets que je t'appelle Vern, on va pas se la jouer : mon père est dentiste et ma mère conseillère municipale d'une agglomération de 300 000 habitants, j'habite à Beaumont, donc je ne fais pas de complexe vis à vis de ma place dans la société. Je n'ai rien à prouver. C'est d'ailleurs ce qui me différencie de Berbizier et me permet de prendre pas mal de recul vis à vis des évènements tout en me foutant de la gueule des journalistes en toute impunité. En plus, ça m'a donné un peu de culture générale. J'ai lu Nietzsche, tu sais. Ainsi parlait Zarathoustra... La métamorphose de l'esprit :
"Je vais vous dire trois métamorphoses de l'esprit : comment l'esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient enfant."
- Et bien, moi, je suis comme l'esprit : je me métamorphose. Je t'explique : au début, j'étais chameau. Le poids de la tradition, un poste en rapport avec mon bagage technique et mes qualités. J'étais jeune, j'avais les cheveux courts : ailier. 22 essais en équipe de France, la misère à Toulouse en 2007, simple, efficace. Mais, petit à petit, je deviens "Lion".
Ici l’esprit devient lion, il veut conquérir la liberté et être maître de son propre désert.
- Je suis le capitaine mais je vieillis dans mes certitudes. Je dois évoluer sinon, je vais terminer remplaçant de luxe dans une équipe du sud-ouest. Donc, je me reconvertis trois-quarts centre : je ne me dis plus "Je dois" mais "Je veux" !
Créer des valeurs nouvelles – le lion même ne le peut pas encore : mais se rendre libre pour la création nouvelle – c’est ce que peut la puissance du lion.
- Tu l'as compris, Vern, aujourd'hui je suis assez puissant pour être libre de mes choix. Mais, pour opérer une dernière métamorphose, je dois tout oublier, je dois me refonder, je dois repartir de l'enfance :
L’enfant est innocence et oubli, un renouveau et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, une sainte affirmation.
- Regarde Morgan. N'est-il pas lui même cet enfant innocent qui accepte tous les défis avec morgue et insolence ? N'est-il pas l'essence même du jeu, faite d'enthousiasme et d'oblation sans contrepartie ? Je veux être comme lui.

Là-dessus, il se lève en disant :
- C'est la raison pour laquelle je vais aller taper quelques pénalités.
Et il s'en va...

J'avoue que j'étais un peu abasourdi par ce plaquage cathédrale. Je suis allé voir Jean-Marc qui faisait une simulation de la saison sur Rugby Manager dans son bureau.
- Y'a pas à dire, Vern, on n'arrivera jamais à faire jouer tout le monde cette saison. Le logiciel est formel !
- Justement, je viens te voir pour ça. Tu connais Nietzsche ?
- Nietzsche... Nietzsche... Attends voir.... C'est pas le mec qui a écrit "Deviens ce que tu es" et qui est mort fou ?

Nota : Les métamorphoses de l'esprit ici.