samedi 29 octobre 2011

Traité du Zen et du Rugby

Je profite de quelques heures dans la plaine pour vous livrer le résultat de mes méditations montagnardes. Je ne reviens pas sur le match contre Biarritz : ce serait du stamping. J'ai écrit ce post avant le match, mais je pense qu'il prend encore plus de sens après la blessure de Thomas...

Comme je vous l'ai dit dans mon précédent billet, je suis parti me retirer sur les hauteurs auvergnates, quelque part entre Sancy et Cantal, entre Santoire et Artense. Pour me ressourcer, je marche, seul au milieu des immensités de verdure bistrées par l'automne. Je gravis lentement les puys et les cols, je respire à grands traits l'air délicatement basique du mois d'octobre qui expire dans le vent tantôt froid tantôt doux, comme si la belle saison poussait un dernier râle. Ces montagnes vénérables, vieilles majestés rabotées par le temps, me rappellent ma Nouvelle Zélande natale et mon étrange destin qui me fait célébrer les victoires et pleurer les défaites si loin de chez moi.
Dans ce périple, un détour m'est particulièrement cher, une forme de pèlerinage. De l'autre côté d'un vallon, par-dessus le ravin de Sault, sur un piton caché au cœur de la forêt, niche la Chapelle de Roche-Charles, un ermitage oublié, au bout d'un chemin de croix délabré jalonné de quelques plaques votives de la fin du XIXème siècle. On accède à la chapelle par un petit cimetière en dévers, un désordre de pierres tombales grises qui surgissent de la terre herbue, protégé par les vestiges des remparts d'un château disparu. La chapelle elle-même, d'une sobriété stricte et dépouillée, domine cet univers décalé et ses murs paraissent le prolongement des falaises dont l'a-pic vertigineux ne se découvre au randonneur qu'une fois arrivé. Certaines portes de l'église s'ouvrent pour ainsi dire sur le vide et semblent déboucher directement sur l'au-delà.
Je parvenais là-haut pendant une éclaircie entre deux averses, dans une oasis lumineuse au cœur de la grisaille automnale. Je m'asseyais quelques instants dans la chapelle et puis j'allais contempler le panorama. Soudain, je sursautais à l'audition d'une voix :
- Êtes-vous Vern Cotter ?
Je me retournais. Un vieillard ridé portant chapeau noir à larges bords et vareuse bleue se tenait quelques centimètres derrière moi. Ses deux yeux gris moqueurs et plissés me transperçaient comme pour me scruter l'âme. Une bacchante épaisse dissimulait sa bouche fine infléchie d'un sourire tout juste perceptible. Son nez pointu ajoutait encore à son air ironique. Je remarquais enfin un foulard noir noué autour du cou qui débordait de son col mal ajusté. Il appuyait ses deux mains sur son bâton de marche et me regardait par en-dessous, un rien provocateur.
J’acquiesçais.
- Et vous ? Qui êtes-vous ?
- Je suis le maître Zen de la Chapelle de Roche-Charles.
J'étais abasourdi. J'avais rencontré des guerriers maoris, des entraîneurs maudits par la défaite, des jedis en short et crampons, mais jamais de maîtres Zen auvergnats.
- Et oui, reprit-il, s'il y a des Japonais qui jouent au rugby, il peut exister des maîtres Zen bougnats.
C'était imparable, même si la logique m'échappait quelque peu.
Il continua sans transition :
- Connaissez-vous l'histoire de l'ouvreur du XV de France ?
J'étais de plus en plus interdit. Si je n'avais pas été sûr que Morgan était dans l'avion à cet instant, j'aurais cru à un canular.
- Plus ou moins...
- C'est une fable Zen, mâtinée de sagesse auvergnate. Un jour, pendant une coupe du monde dans un pays lointain, l'ouvreur titulaire du XV de France rata ses deux premiers matches. Le sélectionneur, déçu, le remplaça par un demi de mêlée. Les observateurs s'empressèrent de crier au scandale. J'entendais autour de moi : "Quelle erreur ! Faire jouer quelqu'un pendant quatre ans au même poste et le remplacer au dernier moment pour la coupe du monde par un autre dont ce n'est pas la spécialité ! Quelle inconséquence ! Quelle pression sur le demi de mêlée et quel coup au moral pour le joueur désavoué ! Ils ne s'en relèveront jamais". Moi, je lissai ma moustache et je répondis : "On verra"...
Il se trouva qu'après deux matches, le demi de mêlée reconverti ouvreur faisait parfaitement l'affaire, peut être même mieux que le titulaire originel d'autant que ce dernier effectuait d'excellentes rentrées en cours de partie. L'équipe arriva même en finale. Les observateurs s'empressèrent de porter le substitut aux nues. J'entendais autour de moi :"Quel choix pertinent ! Vraiment quelle bonne idée que cette reconversion ! ". Moi, je lissai ma moustache et je répondis : "On verra".
Le jour de la finale, après dix minutes de jeu, le nouvel ouvreur, à force d'être ciblé à chaque rencontre, finit par déclarer forfait. Il fut donc remplacé par le titulaire devenu remplaçant. Les observateurs s'empressèrent de se désoler. Autour de moi, j'entendais : "Quelle malchance ! La ligne d'attaque est désorganisée ! C'est un coup dur". Moi, je lissai ma moustache et je dis : "On verra".
Naturellement, le 10 titulaire au début de la compétition joua un match fantastique. Il fut décisif sur une action d'essai. Au bout d'une demi-heure, les observateurs s'extasiaient : "Quelle classe ! Il anime le jeu avec maestria ! Grâce à lui nous allons gagner !" Moi, je lissai ma moustache et je dis : "On verra".
J'interrompais le maître Zen :
- Mais le 10 titulaire manqua un drop et une pénalité...
- Et oui... Je crois que vous avez compris... Belle journée, n'est-ce pas ?
La pluie venait de reprendre. Je répondis :
- On verra...

Nous restâmes de longues minutes silencieux à regarder la pluie tomber sur le ravin boisé. Lorsque je décidai de m'en retourner, le maître Zen s'en était allé, sans un bruit. Aujourd'hui encore, je doute de l'avoir vraiment rencontré.

Nota : cette histoire est un hommage modeste et appuyé au Zen et au film "La guerre selon Charlie Wilson", de Mike Nichols (scénario et dialogues : Aaron Sorkin), et, plus particulièrement de sa dernière scène. Par ailleurs, la balade de Roche-Charles vaut le détour...

mardi 25 octobre 2011

Jetlag ou gueule de bois

Et voila ! Le rugby est (re)devenu, après cinq lustres, ce sport qui se joue à quinze (plus un arbitre...) où la Nouvelle Zélande gagne à la fin, et où les Français sont des perdants magnifiques.

Tout va bien, le conte de fée écrit par l'IRB s'est bien réalisé, et la France s'est même réconciliée avec ses rugbymen, et dans quatre ans, c'est au tour de l'hémisphère nord d'être champion du monde. C'est quand même bien fait le rugby !

On va arrêter les comportements schizophrènes, le matin en Nouvelle Zélande, l'après midi en Top 14 et retrouver une hygiène de vie normale (la bière avant midi, j'ai toujours un peu de mal...).

Je vais pouvoir me concentrer à fond sur le rugby hexagonal et bien préparer la réception de Biarritz. Mais peut-on vraiment parler de rugby quand on évoque Biarritz ? D'un autre côté, ils jouent un peu comme le XV de France, donc ils seraient capables de venir gagner au Michelin. Ce sont les derniers à l'avoir fait en plus...

Et pour tourner définitivement la page, quelques observations rapides sur cette coupe du monde (pour le bilan sérieux et exhaustif, d'autres le feront mieux que moi...) :
- Les Boks n'ont toujours pas compris pourquoi on les a empêchés de jouer la demie contre les Blacks.
- Quand on voit les matches de l'Australie, on se dit que Brock aurait pu la jouer cette coupe du monde...
- Le New Zealand Herald est toujours d'accord pour dire que c'est une injustice que la finale a été gagnée par l'équipe la plus violente et qui a joué le plus mal ?
- Quand on voit le match de Trinh Duc, on se demande si c'était vraiment une bonne idée de déglinguer Parra...
- La célébration de la victoire des Blacks en Nouvelle Zélande, c'est à peine plus fort que celle du Brennus à Clermont-Ferrand.
- Ceux qui disent que les Blacks ont joué à 16 (15 + M. Joubert) se trompent : on ne peut pas dire que Piri Weepu ait joué la finale...
- De toute façon, on a bien vu que la pénalité de Donald ne passe pas, et que celle de Yachvili passe !
- Le stock de meilleurs joueurs du monde est épuisé : il va falloir en trouver d'autres que Mc Caw, Dusautoir, Williams, O'Driscoll et Carter. Messieurs les journalistes, il va falloir passer vos obsessions compulsives sur de nouvelles victimes...
- En tout cas, le meilleur joueur d'Auvergne, c'est Julien Bonnaire.
- Les récompenses individuelles de l'IRB, c'est comme la nuit du rugby : lot de consolation au finaliste, et tout le reste au vainqueur. Désolé MM. Deans et Gatland...
- Bon, c'est quoi ma troisième ligne titulaire maintenant ? Bon, c'est quoi ma ligne de trois-quarts titulaire maintenant ? Bon, c'est qui ma charnière titulaire maintenant ? Ce complot contre l'ASM, c'est dingue !!!

Quant à moi, je vais me retirer pendant quelques jours dans la montagne auvergnate, pour méditer cette victoire du rugby contre les méchants Français, égorger quelques chèvres et dédier quelques libations aux divinités maories.

D'ici là, so long and thanks for all the rugby !

Ah oui ! J'oubliais : sorry, good game !..

samedi 22 octobre 2011

French Invaders

Bon, j'ai été sérieux 5 minutes, c'est pas pour ça qu'il faut baisser la garde.
Demain, comme l'avait dit Nathan Hines avant de (re)fouler (au pied) la pelouse d'Aimé Giral (et les Usapistes), sur le terrain, il n'y aura plus d'amis.
Lorsque Quade Cooper a quitté le terrain pendant la petite finale, il a eu le temps, sur le banc des remplaçants, de m'adresser ce message d'amitié, qui a été ensuite légèrement retouché par Morgan (qui ferait mieux de travailler ses coups de pieds longs au lieu de faire des montages sur Internet).
Je le publie, parce que c'est de bonne guerre (c'est le cas de le dire...) :



A côté de ça, je dois le reconnaître, les Blacks, c'est des playmobils dans le stade de Colombes (même un jour d'affluence...).

Nota : l'original est .

Une vieille amitié...


Alors que la pression médiatique et sportive qui entoure le match de demain a tendance à nous faire oublier que ceci n'est que du rugby, l'un des derniers jeux professionnels où affleurent encore parfois les caractères de l'amateurisme, je souhaitais revenir sur un personnage mythique et fondateur du rugby néo-zélandais, le front winger Dave Gallaher, qui a donné son nom au trophée éponyme.


David Gallaher est né en Irlande en 1873, mais ses parents émigrent en Nouvelle Zélande alors que Dave n'a que 5 ans et s'installent au bord de la Bay of Plenty (tiens tiens...), avant de déménager à Auckland en 1890. De 1896 à 1909, Dave Gallaher jouera 26 match avec la province d'Auckland. Il donnera son nom au Gallaher Shield, qui oppose chaque année les meilleures équipes de la province, elle même traditionnellement la plus forte du pays...

Pourquoi une telle renommée ?

En fait, Dave Gallaher était le capitaine de l'équipe néo-zélandaise de la fameuse tournée de 1905-1906 en Europe, au cours de laquelle le squad, parti du Pays du Long Nuage Blanc avec le surnom de The Originals, reçut celui de All Blacks. Au cours de cette tournée de 26 matches dont 4 tests, le XV de France rencontra pour la première fois son homologue néo-zélandais et subit sa première défaite contre son meilleur ennemi du sud.
Auteur, avec John Stead, premier capitaine de l'équipe nationale, de The Complete Rugby Footballer, ouvrage visionnaire, Gallaher fut sélectionneur des Blacks de 1907 à 1914.

1914, car la guerre marque le destin de Dave Gallaher. Sergent major pendant la Guerre des Boers en Afrique du Sud, il s'engage dans le corps expéditionnaire en 1914 alors qu'il a dépassé les 40 ans. Il tombera au champ d'honneur, en octobre 1917, au cours de la bataille de Passchendaele (troisième bataille d'Ypres), l'une de ces grandes offensives meurtrières de la Première Guerre Mondiale, dont on commémore les héros en portant un poppy rouge sang à la boutonnière quelques jours avant le 11 novembre...
Here are recorded the names of Officers and Men who fell in The Ypres Salient, but to whom the fortunes of war denied the known and honoured grave given to their comrades in death. (Inscription du Tyne Cot Memorial près de Passchendaele)
Dave Gallaher, qui avait rejoint l'armée après la mort de deux de ses frères et alors qu'il était père de famille et exempt de la conscription, est l'un des symboles du compagnonnage des armes françaises et néo-zélandaises sur les champs de batailles lors des deux conflits mondiaux. De nombreux monuments rappellent ainsi, dans le nord de la France et en Belgique, le sacrifice des Buddies. Ce souvenir est encore vivace, par exemple, au Quesnoy, où les Kiwis se sont illustrés par leur bravoure en novembre 1918.


Stèle à Amiens

Plus tard, pendant la Guerre du Pacifique, la Nouvelle Zélande apporta un soutien important à la France et, en particulier, à la Nouvelle Calédonie (la plus grande base arrière alliée après Hawaï - pour en savoir plus, ici), où le stationnement des forces néo-zélandaises fut particulièrement apprécié et donna même lieu à quelques matches de rugby. Pour l'anecdote, la France remboursa une partie de la dette qu'elle avait contractée à cette occasion en offrant des bourses d'études à des étudiants kiwis, présageant symboliquement l'exode actuel des pépites All Blacks vers l'Europe.

Le rugby est un sport de combat collectif. On exalte souvent ses valeurs de solidarité, d'abnégation, de courage et de sacrifice, tout comme l'amour du maillot. Ces mots, souvent employés un peu légèrement par les commentateurs, paraissent parfois déplacés à l'heure du sport spectacle et du professionnalisme. Nul doute que ces qualités animaient Dave Gallaher dans le jeu et au combat, nul doute que ces valeurs étaient partagées par ses frères d'armes qui avaient abandonné leur pacifique contrée pour offrir leur vie à l'Empire britannique sur des territoires lointains et inconnus et dans l'horreur des tranchées.

Il est difficile de savoir ce qui les motivait véritablement et d'imaginer qui ils étaient réellement. Ce qui est sûr, c'est qu'ils sont venus et qu'ils ont versé leur sang au côté de leurs camarades français.

Pour terminer, en hommage à un joueur et un homme exceptionnel, en mise en perspective de cette "finale de rêve" et en gage d'amitié entre la France et la Nouvelle Zélande, j'ai traduit (très librement et sans respect pour la métrique) un poème (original ici) dédié à Dave Gallaher par un joueur de rugby irlandais, Jeremy Worth :

Gallaher

Des brumes du passé, une ombre fière émerge
Un fils de Donegal, une légende noire
Qui jouait avec flair, avec puissance et grâce
Un homme de fer, de feu, et d'élégance

La renommée lui fit bien vite un hommage
Son instinct de soldat, sa ruse de renard,
Rendaient plus belles et éclatantes encore
Les très vives couleurs de son bel étendard

Il résonne toujours, le nom de Gallaher,
D'abord Original, premier parmi les Blacks
Il fut leur great captain, leur guide, leur leader
Lui qui, incessamment, montrait la voie au pack

Il fut mari et père, aimé de sa famille
Un héros, un martyr, le plus constant des guides
De l'autre côté de l'océan, il repose
Son corps est en Europe, son cœur aux antipodes

Cent ans après, il vit, combat et joue encore,
Sous les traits d'un enfant qui cadre et qui déborde
Le cadeau du ciel au rugby et au monde
Le précieux trésor de la Nouvelle Zélande