vendredi 30 novembre 2012

Le Rugby, c'est fou !

Apprenez donc, messieurs les miroirs, à ne pas vous traiter de fous parce que vous ne recevez pas le même reflet des choses.
Anatole France

En tant que rédacteur schizophrène du Blog de Vern, je suis habilité en tant que consultant des services psychiatriques du CNR (Centre des Nerveux du Rugby) de Marcoussis. Les rugbymen et leurs entourages étant de plus en plus soumis à une forte pression psychologique, la FFR a décidé de mettre en place une cellule spécialisée dans le suivi des pathologies mentales liées à une pratique excessive du Noble Jeu et ses conséquences collatérales.
Il y a quelques jours, j'étais invité à un séminaire au cours duquel le Professeur Maso, le réputé psychiatre éponyme, nous a fait visiter ses installations, et, surtout, présenté ses plus grands malades. Le premier patient était séparé de nous par une vitre blindée : à la vue des visiteurs, il se précipita contre la cloison transparente et la percuta violemment avec un bruit effrayant qui nous fit sursauter. Furieux d'avoir rencontré un obstacle inattendu, la bête entrepris de briser la glace à coups d'épaule, faisant trembler l'ensemble, ce qui ne manqua pas d'entraîner un mouvement de recul de notre part.
- Ne vous inquiétez pas, intervint le professeur Maso. La paroi est réputée à l'épreuve des tampons les plus dévastateurs. Elle a été conçue et testée aux îles Samoa.
- Ils disaient aussi ça pour King Kong, persifla un confrère, non loin de moi.
Le professeur reprit :
- Vous avez devant vous un cas exemplaire de seconde ligne atteint de psychopathie rugbystique, autrement appelé dans notre jargon "syndrome Le Cormore". Les symptômes sont évidents à reconnaître : incapacité à maîtriser ses pulsions violentes, inefficacité des punitions et réprimandes à son encontre, absence de honte ou d'angoisse, impossibilité de modification du comportement à long terme... Parfois, cependant, la rémission est envisageable. Malgré quelques rechutes, M. Cotter obtient des résultats encourageants à Clermont avec ses sujets atteints...
Murmures d'approbation autour de moi. La visite reprit, alors que la "bête", le visage haletant collé contre la vitre, nous regardait de ses yeux fous et exorbités, tel Jack Nicholson dans Shining...
Le professeur Maso nous présenta ensuite son deuxième patient :
- Voici un cas très intéressant. Je l'ai appelé "Jacky". Jacky est un ancien président de club amateur de la région parisienne, directeur d'agence immobilière. Il est atteint de troubles de l'identité et, en particulier, de délires mimétiques. Sa jalousie envers un club voisin et concurrent a atteint un degré tel qu'elle l'a plongé dans la folie. Le sentiment de haine-fascination éprouvé par le malade est typique d'une relation maître-disciple où le modèle devient le rival et vice-versa. Naturellement, la rivalité a été savamment entretenue par les deux parties, la plupart du temps au moyen des expédients et des provocations les plus vils, dans le genre des concours de crachats que les enfants peuvent pratiquer dans la cour des écoles... C'est dire la détresse psychologique du sujet...
Hochements de tête à l'observation de "Jacky". Le pauvre homme, prostré dans un coin de sa chambre, sans égard pour son public improvisé et la tête levée vers le soupirail de sa cellule, qui laissait passer un étroit filet de lumière, lançait compulsivement des incantations pathétiques :
- C'est mon stade le plus mieux ! C'est moi que les gens préfèrent ! Rends moi mes joueurs !
Nous poursuivimes la visite, emplis de pitié.
- Voici un autre cas passionnant : je l'ai nommé "complexe du pardessus". Il s'agit d'un trouble autistique avancé et très complexe à détecter. Le sujet est réticent à toute forme de nouveauté et de changement. La contradiction provoque chez lui un stress aigu qu'il ne parvient à juguler qu'en participant, vêtu d'un imperméable, à des buffets et des banquets organisés par la FFR. La vision d'un calendrier provoque en particulier chez lui un traumatisme violent, capable de le paralyser durablement. Naturellement, il touche préférentiellement les cadres fédéraux.
Nous avions devant nous un homme d'âge mûr, d'apparence normale, assis derrière un bureau luxueux dans un fauteuil de direction. Soudain, il leva le poing vers nous et cria :
- Je suis ici pour et par l'intérêt supérieur du rugby, et je n'en sortirai que par la force des petits-fours !
- Étonnant, non ? reprit le professeur Maso.
Puis, celui-ci nous conduisit vers une grande pièce dans laquelle déambulaient des patients en pyjamas blancs, dont la majorité dégoisait à tue-tête, sans égard pour ses congénères.
Le professeur Maso se planta au milieu de ce trafic étrange et haussa la voix pour couvrir le brouhaha :
- Voici l'endroit que j'appelle le "Landerneau". C'est la section spécialisée dans les journalistes. Hystérie, mythomanie, affabulations, hallucinations, perte de mémoire, délires... Tout y est, tout y passe !
Une personne fit remarquer :
- C'est curieux, il y a très peu de femmes chez vos patients.
- C'est exact, répondit aussitôt le professeur. Les raisons sont simples à comprendre : d'une part, c'est un milieu d'hommes, d'autre part, les femmes y sont la plupart de temps reléguées dans des fonctions subalternes. Ceci est particulièrement vrai chez les journalistes, où les individus du sexe féminin jouent un rôle de potiche décorative. Cela, ajouté au mépris dont elles font couramment l'objet, a toutefois pour bénéfice de les protéger de toute névrose ou de toute hybris... Une sorte de vaccination en quelque sorte...
Nous continuâmes, de plus en plus pensifs.
- Et maintenant, une sorte très particulière de malade : le novesis toloserius. Difficulté à contrôler ses angoisses, exagération des problèmes du quotidien, pessimisme, peur des doublons, hypervigilance constante, tension nerveuse et musculaire... Ce patient est également atteint d'un TOC : il ne peut s'empêcher de lever la main et d'en montrer trois doigts.
Effectivement, l'homme que nous observions, le visage tendu et marqué de rides, semblant dans un état d'anxiété permanente, nous présentait mécaniquement son pouce, son index et son majeur en sifflant stridemment entre ses lèvres.
- En addition, le patient présente des troubles maniaco-dépressifs qui peuvent conduire à l'anhédonie : tout devient triste, vide, monotone...
La visite se poursuivit et nous permit de découvrir une gamme de cas très variée :
Syndromes post-traumatiques chez les anciens joueurs de l'ASM ayant joué des finales, syndrome de la Tourette chez Pierre Salviac, addictions aux réseaux sociaux, troubles de l'adaptation, aussi appelés "complexe du Baby" pour des joueurs talentueux n'ayant jamais percé, syndrome logorrhéique chez Marcel Ruffo, etc.
Nous terminâmes par le clou de la "collection" du professeur Maso :
- Voici mon patient le plus fascinant, et, par certains côtés, le plus inquiétant : je l'ai appelé "Mourad". Il présente toute une gamme de troubles, psychoses, phobies, manies, etc... N'ayant trouvé aucune définition valable dans aucun dictionnaire de psychiatrie ni aucun manuel d'exorcisme, je l'ai appelé "syndrome post-sodomie arbitrale". Il s'agit d'un cocktail détonnant de paranoïa, de mégalomanie, de besoin d'attention poussé à l’extrême, de bouffées délirantes aiguës, de théâtralisme, d'exagération du pathos, d'hyperactivité, bref, d'histrionisme extrême, et j'en passe...
La visite était terminée, et tous, nous étions frappés par la diversité et le nombre des phénomènes observés.
- Vraiment, je ne pensais pas que le rugby pouvait faire autant de mal, me confia un psychanalyste. 
Nous nous retrouvâmes, pour finir, autour d'une bonne bière : c'est l'un des avantages de la psychiatrie adaptée au rugby, il existe aussi une troisième mi-temps.
Le professeur Maso vint à ma rencontre :
- Alors, Vern, cette schizophrénie ?
- Tout ça c'est du passé, professeur. La thérapie a été un succès : depuis, nous allons beaucoup mieux et nous nous entendons très bien. Je me pose toutefois encore une question après cette édifiante visite : pourquoi n'y a-t-il aucun supporter ?
- Excellente remarque ! Effectivement, le supporter de rugby peut être con, violent, débile, affligeant, intempérant, excité... il ne tombe jamais dans la folie. J'ai une théorie là-dessus : c'est parce qu'il transfère toutes ses émotions et ses troubles sur ceux que nous avons rencontrés aujourd'hui, et, de fait, il échappe à la contamination...
- Intéressante théorie... En tout cas, je retiendrai une chose de cette journée : ce qui différencie un fou d'une personne réputée saine, c'est le degré de folie qu'ils ont respectivement atteint...

dimanche 18 novembre 2012

Le Songe de Vern

Cette nuit, j'ai fait un rêve. Les Mânes du rugby me sont apparues en songe. Enfin, les Mânes... Quelques esprits forts ou frappeurs, quelques âmes bénévolentes, quelques fantômes tourmentés et quelques personnages bien vivants aussi.
En premier, William Webb Ellis est venu à moi, dans une grande lumière blanche. Il m'a dit, hiératique :
- Vern, je t'ai choisi pour que la vérité te soit révélée. C'est une tâche inhumaine qui t'incombera mais il te faudra l'accomplir. Sans relâche.
Ébloui, je distinguais son imposante silhouette immobile : il tenait un ballon à son côté.
- Il est temps de te réveiller, Vern ! Après l'aveuglement viendra la clairvoyance.
Là-dessus, il m'adressa une puissante passe vissée, que je dus m'employer à intercepter, avant de disparaître dans un grand rire effrayant.
Puis, comme emporté par une invincible force, j'ai voyagé vertigineusement parmi les monades ovales, jusqu'à l'apogée de ce Grand Stade, où je fus accueilli par Albert Ferrasse et Roger Couderc, qui m'attendaient, non loin de Mercure, entre les constellations d'Hercule et de Persée.
- Nous allons t'initier à la mécanique cosmique du Rugby, me signifia Albert Ferrasse. Viens, suis nous !
Et nous partîmes à la vitesse d'un coup de pied de François Steyn en direction des Enfers de l'Ovalie. Là-bas, un cerbère tricéphale nous interdit l'entrée. La première tête, celle de George Nepia, montra les dents, la deuxième, celle de Dave Gallaher, aboya agressivement, tandis que la troisième, celle de Gwyn Nicholls s'adressa à nous en ces termes :
- Pas de pesage au Enfers : qui entre, paie son billet !
Albert Ferrasse sortit de sa poche une montre en or, la jeta au Cerbère et dit :
- Je l'avais depuis 1995. Je n'en avais plus l'utilité...
Le chien s'écarta en jappant et nous entrâmes, dans des vapeurs de soufre, des odeurs de vestiaires et de Gigot Haricot. Roger Couderc murmura à mon endroit :
- Regarde bien, petit.
Et je vis.
Je vis une assemblée de joueurs de rugby, en camisole de force, forcés à écouter de la musique de relaxation en regardant l'intégrale des épisodes des Teletubbies. Leurs visages étaient marqués d'une souffrance indicible. Parmi eux, je reconnus Jamie, Le Barde, Grégory Le Corvec, Julien Caminati et Vincent Moscato. Une voix immanente leur répétait :
- Tu ne frapperas point ! Tu ne frapperas point !
Nous fumes ensuite entraînés vers le Maître et la Maîtresse de ces sombres endroits. Hadès, sur son trône de papier et de gaz, avait la tête de Jacques Verdier et semblait régner, impavide, détaché de toute contingence. Ses cheveux tournaient à tous les vents. A ses côtés, une femme étrange aux allures de prostituée arborait une robe rapiécée d'une multitude de guenilles informes et de toutes les couleurs. Proserpine était vêtue de bouts de tuniques de tous les clubs du monde. Tantôt elle invectivait son compagnon incestueux, tantôt elle le contemplait avec fascination.
A leur côté, le visage de Pierre Salviac surmonté d'une chevelure de serpents venimeux lançait des malédictions. Roger Couderc me dit :
- Ne regarde pas la Méduse, Vern, tu serais à ton tour transformé en statue de pierre.
Jacques Verdier-Hadès me regarda dans les yeux et lança d'une voix d'outre-tombe :
- Crains le Châtiment, Vern ! Regarde ce qui arrive à ceux qui ne rentrent pas dans le cadre, à ceux qui n'ont rien à vendre, à ceux que la caméra n'aime pas ! Et il désigna d'une main molle Benoit Baby, Sione Lauaki, Romain Teulet et tous les autres damnés qui erraient dans les Enfers de l'Ovalie. Le rugby sera médiatique, lisse, bankable et télégénique... ou ne sera pas !
Et Jacques Verdier partit d'un grand rire effrayant.
Instantanément, nous nous transportâmes dans une fumée blanche vers un autre lieu, a priori plus hospitalier. Quoique...
Rue de Liège, au siège de la Ligue Nationale de Rugby. J'assistais à une réunion au-dessus d'un bureau ovale. Je ne parvenais pas à discerner les visages. Seule la discussion remontait à mes oreilles.
Un homme, debout, en costume strict, armé d'un petit laser rouge qu'il promenait sur un écran, faisait défiler des vues powerpoint remplies de diagrammes, de courbes, de chiffres, de pourcentages... Je n'y comprenais rien. Tous les autres écoutaient religieusement, tous acquiesçaient, sauf un, qui, d'une voix douce et enfantine, posait des questions.
Lorsque l'homme en costume strict parlait de "développement du rugby" et de "gains de parts de marché", l'homme à la voix douce et enfantine demandait :
- Mais pourquoi voulez-vous que le rugby se développe ? Moi, il me va très bien ce jeu. Si d'autres veulent y jouer, tant mieux ! Mais pourquoi ce prosélytisme ?
L'homme au costume strict répondait :
- Quelle étrange question ! Parce que !
- Parce que... quoi ?
- Parce qu'il faut se développer ! C'est dans l'ordre des choses ! Il faut qu'il y ait plus de pratiquants, plus de spectateurs, plus de clubs, plus de sponsors, plus de partenaires, plus de consommateurs.
- Mais pourquoi ?
- Quelle naïveté ! Pour consolider le professionnalisme, pour qu'il y ait plus de joueurs, plus de matches, plus de spectacle, plus de revenus, plus de droits télé et plus de retombées publicitaires !
- Mais il y a déjà suffisamment de spectacle, il y a déjà suffisamment de matches ! Il y en a même trop !
- Béotien ! Vous n'y comprenez rien ! Il faut créer une économie, il faut des loges dans les stades, il faut des publicités avant, pendant et après le match, autour, en-dehors, et sur le terrain, dans les vestiaires, dans les chiottes et à la buvette des stades ! Il faut que Comtesse du Barry et Madrange soient tatoués sur les fesses de Chabal, il faut que le portrait de Jonny Wilkinson soit affiché dans toutes les écoles et dans tous les supermarchés. Développons nous ! Développons nous !
Tout autour de la table, les hommes ânonnaient une leçon trop bien apprise :
- Développons nous ! Développons nous !
L'homme à la voix douce et enfantine n'en démordait pourtant pas :
- Mais pourquoi ? "Plus" égale-t-il "mieux" ? Ne vibre-t-on pas assez pendant les matches ? Les stades sont-ils trop petits pour rassembler tous les amateurs ? Après les Footix, voulez-vous des Rugbyx, qui réclameront un penalty pour un en avant dans les 22 mètres ?
L'homme au costume strict se rembrunit :
- L'intérêt supérieur du Rugby est national, mercantile et productiviste ! Il faut jouer tous les jours de la semaine, à Pâques, à Noël, pour les fêtes de Pessah, pour l'Aïd et pour la fête des Mères. Il faut jouer le lundi, le mardi, le mercredi, le jeudi, le vendredi, le samedi, et même le dimanche ! Il faut jouer le matin, le midi et le soir, il faut jouer les nuits de pleine lune et pendant les éclipses ! Il faut plus de chocs, plus de super loupes, plus de ralentis, plus de caméras, plus d'interviews et plus de commentaires !
L'homme à la voix douce et enfantine poursuivit :
- Mais à quoi bon tout ce cirque, tous ces scoops, toutes ces nouvelles inutiles, toutes ces analyses à l'emporte pièce, tous ces fantasmes autour des transferts ? Et pourra-t-on faire mieux que Hernandez, Carter et Giteau ? Pourra-t-on pousser plus fort que Mas, Hayman et Mealamu ? Pourra-t-on courir plus vite que Ngwenya, Habannah et Nalaga ? Pourra-t-on plaquer plus que Pocock, McCaw et Dusautoir ? Et à quoi bon ? Que vous manque-t-il ?
Tous, d'une voix unanime, lancèrent alors :
- Nous voulons plus ! Nous voulons plus ! Nous voulons plus !
La voix de l'homme à la voix douce et enfantine, qui disait :
- Mais pourquoi faire ? Mais pourquoi faire ?
se perdit bientôt et fut couverte par le chœur viril des autres hommes.
Alors, je m'envolais de nouveau vers les hauteurs célestes où m'attendaient toujours Albert Ferrasse et Roger Couderc. Il me toisèrent avec un sourire narquois. Et, soudain, la voix de William Webb Ellis tonna dans l'immensité galactique :
- Voici la vérité, Vern ! Telle qu'elle doit être révélée ! Vous l'avez voulu, vous l'aurez !
Je levai la tête et demandai :
- Quoi ? Qu'avons-nous voulu ?
En vain.
Je fus alors projeté en arrière à une vitesse démesurée et je tombai éperdument. Autour de moi, une tornade d'images et de sons tourbillonnait : des joueurs répondant des banalités à des journalistes, des spécialistes polémiquant sur l'arbitrage, des supporters insultant l'autre équipe, des brutalités disséquées au ralenti, des actions grotesques, des en-avant de cinq mètres, des mêlées relevées, des bagarres générales, des plongeons dans l'en-but, des déblayages dans des rucks, des relances des 22, des pénalités de 50 mètres, tout un kaléidoscope rugbystique...
Ma chute semblait sans fin, sans fond, sans but.
Et je me suis réveillé.

vendredi 16 novembre 2012

Le Grand Con Bas du XV de France

Ou : Le Rugby, c'est mieux après.
Ou : Pour en finir une bonne fois pour toute avec Lalanne, Tillinac et Lacouture.
Un article digne du MIDOL, voire de Rugbyrama...

Imaginez... Imaginez la coupe du monde 2011, la grande épopée du XV de France, mais sans la télévision, sans Internet, sans Facebook, sans Twitter, sans la horde de journalistes traquant les moindres faits et gestes de nos rugbymen, sans l’œil obscène et inquisiteur des media, sans le buzz, le scoop et l'intoxication du public à l'évènement et à l'inanité, sans la manie des fausses analyses et des vrais marronniers, bref, imaginez la Rugby World Cup 2011 New Zealand dans les conditions médiatiques et techniques de 1958, année de la grande tournée des Bleus en Afrique du Sud... Imaginez cette coupe du monde racontée a posteriori par le pigiste Pierre Jeanchristian et ses yeux d'enfant-fan-de-rugby. C'est l'uchronie dans laquelle je vous propose de plonger en vous révélant quelques bonnes feuilles de cet ouvrage impossible qui rétablit la vérité légendaire de ce qu'il s'est réellement passé là-bas...

Quatrième de couverture :
En 2011, la France sarkozyste est en crise : crise économique, crise de confiance, crise de valeurs. Pendant que des séismes terribles et inattendus font trembler le Maghreb, la finance, les candidats à la présidentielle, le Japon ou la Grèce, la France pleure ses footballers perdus et cherche ses nouveaux braves. Le XV de France, héroïque finaliste d'une finale mondiale arrangée, sera ce phénix rené de ses cendres. Sarkozy avait Henri Guaino, ce XV de France aura Pierre Jeanchristian, le talentueux auteur de la "Petite Épopée du XV de France". Pendant qu'une partie de la société française s'émouvait dans les salles obscures des aventures picaresques et rédemptrices d'un handicapé et d'une "caille-ra", une autre se délectera des légendes bâties sur les exploits d'une équipe de "sales gosses"...

Extrait n°1 : La genèse d'un exploit
Le Chambon-sur-Lignon, J-90. Entre une séance vidéo et une révision du cahier de jeu, les joueurs mettent un nez à la fenêtre de l'hotel, se prêtant de bonne grâce aux questions des journalistes et aux demandes de dédicaces des nombreux supporters, venus des quatre coins de l'Ovalie heureuse, qui les guettent dans le hall d'entrée. Les accents chantant du sud ouest sont au rendez-vous, mais aussi des inflexions de voix plus nordiques, voire même, féminines, qui prouvent que le rugby n'est plus seulement un sport de terroir. A l'extérieur, des enfants, épanouis et rieurs, courent sur les pelouses et miment les actions de leurs idoles. Les joueurs sont abordables, détendus, souriant : normaux. Ils ont l'élégance des sportifs de haut niveau, ces gentlemen du dépassement de soi. Ils arborent le short coton-polyester de l'équipementier officiel avec l'élégance et la décontraction de l'homme du monde, habitué à voyager et à se confronter aux autres. Thierry Dusautoir, le capitaine exemplaire, en chaussettes montantes blanches dans ses claquettes bleu marine, est le représentant le plus emblématique de cette classe de joueurs du XXIème siècle pour qui, d'après le célèbre mot de Buffon, "le style, c'est l'homme".

Extrait n°2 : La déchirure
"Bon Dieu que c'est triste Roissy, le dimanche", aurait pu dire le Poète... Ce départ aurait du être gai. Il sera endeuillé de l'absence de ceux qui restent. En pleurs, Thomas Domingo déploie une émouvante banderole qu'il tient à bouts de bras au-dessus des comptoirs de sécurité. "Pliez-les pour moi !", est-il inscrit en rouge sang sur le drap. Intransigeants, les vigiles n'auront pas permis que Doming', exemplaire de courage et de ténacité, accompagne ses camarades jusqu'au tarmac. Il n'est pas le seul à avoir suivi la préparation et à voir la porte de l'avion se refermer devant lui. "C'est la vie, c'est le sport", l'entendra-t-on dire plus tard... Avant de quitter le centre d'entraînement, les joueurs, partant ou non, s'étaient réunis et avaient mêlé leur sang en gage de solidarité. Et surtout, ils avaient décidé, plus solidaires et altruistes que jamais, fidèles aux Valeurs de ce jeu, de partager les primes réservées aux Mondialistes entre tous les joueurs qui avaient effectué la préparation. L'un d'entre eux avait même suggéré que tous les sélectionnés appelés par Marc Lièvremont pendant son mandat soient concernés, mais le montant modique de la prime (comparé à celui indument perçu par les footballeurs...) conjugué au nombre de personnes concernées rendaient la récompense attribuée à chacun par trop symbolique. Mais l'essentiel était dans le principe : comme un symbole, une promesse d'aller au bout, envers et contre tout. Le serment de Marcoussis allait guider les pas de nos héros pendant les cinq semaines du mondial.

Extrait n°3 : A la découverte des Antipodes
Les Néo-Zélandais forment un peuple fier. Comme ils sont peu nombreux, ils n'ont que le rugby pour briller et montrer l'étendue de leur force. Les enfants néo-zélandais naissent, pour ainsi dire, avec un ballon ovale dans les mains. Le rugby est omniprésent dans la société locale. C'est ce qui les rapproche des habitants de Sainte-Foy-de-Peyrolières. De fait, les joueurs du XV de France se sentent rapidement à l'aise dans cette vie provinciale et sans trépidation que le Pays du Long Nuage Blanc leur propose d'adopter pendant cinq semaines. Les échanges avec la population sont cordiaux, rythmés par de nombreux haka, au cours desquels des adolescents obèses en uniforme chorégraphient l'orgueil maori. Les joueurs découvrent également le journalisme anglo-saxon, intrépide et rigoureux, bien que parfois chauvin, même si la barrière de la langue handicape souvent le dialogue... Il en résulte une scène épique mettant aux prises avec une équipe de télévision locale avec le jeune et impétueux Louis Picamoles, qui, avec force gestes démonstratifs, mime ses derniers exploits sur un terrain, pendant que William Servat tente de nouer la conversation en répétant l'une des phrases qu'il avait maintes fois rêvé de prononcer, en potassant ses cours You speak English ? Yes ! Lansdowne Road English : "My name is William"... Les journalistes, effrayés par les mimiques et les emportements du gentil géant parisien, qui les régale de son franc et simple parler de deuxième ligne, et interdits à l'écoute de l'accent chantant mais peu orthodoxe de William, s'enfuirent sans demander leur reste, laissant pantois nos deux amis, qui verront amusés leurs trognes dans le journal du soir...

Extrait n°4 : La bière de la défaite
Retour au camp de base après la désastreuse expédition des Tongas, cette vaillante équipe des Tongas qui a livré le match de sa vie, alors que les Bleus se sont contenté du service minimum. Les visages sont marqués, même si le XV de France a joué à "qui perd gagne" : la qualification pour les quarts est acquise, de justesse, grâce au point de bonus défensif, alors que les Blacks ont fait feu de tout le petit bois de la poule A... Désormais, nos meilleurs ennemis anglais nous attendent avec le statut de favori. François Trinh Duc a le moral dans la boîte à gant, Fulgence Ouedraogo se consacre totalement à son blog, Lakafia a atteint le 36ème niveau de Sudoku, Jo Maso a une montagne de repassage à terminer, quant à Guilhem Guirado, il assure les fonctions de porteur d'eau du staff entre la buvette du stade et la tribune officielle. Marc Lièvremont, qui n'a pas oublié qu'il avait été joueur, et qui mène son groupe avec la bienveillante fermeté d'un jeune père de famille, décide toutefois de boire le verre à-moitié plein plutôt qu'à-moitié vide : il entraîne ses joueurs dans une escapade nocturne dans les bars interlopes d'Auckland. Là, ils croisent, par le plus grand des hasards, Zac Guilford et Mathieu Bastareaud, le premier fêtant la victoire contre le Canada, le second en vacances en Nouvelle-Zélande, où il est toujours le bienvenu et où il a conservé de nombreux amis. La soirée comptera parmi les plus mémorables d'une capitale qui en avait pourtant vu d'autres. Elle est d'autant plus remarquable qu'elle acheva de fonder l'esprit d'équipe initié à l'occasion du serment de Marcoussis. "Une bonne cuite valant mieux qu'un mauvais débriefing", l'équipe de France partait désormais sur de bonnes bases pour bouffer du rosbif, et plus si affinités.

Extrait n°5 : Le coup de poignard dans le dos
Épique ! Tel fut le match qui opposa les deux grandes équipes de ce Mondial. Certes, la Nouvelle-Zélande fut belle, impériale, drapée dans les atours de l'invincibilité et du beau jeu... Mais avouons que la France, toujours aussi insolente et fantasque, aurait mérité, sur la finale, de devenir championne du monde. Il aura fallu un attentat sur le talentueux Parra qui avait confisqué les clés du camion depuis plusieurs matches, traitreusement ciblé par Nonu et McCaw, qui n'avaient cependant pas besoin de cela pour devenir champions du monde, puisque l'arbitre anglophone de la partie allait dispenser ses largesses et faire la démonstration de sa cécité visuelle, du moins pour la couleur noire. Pour dédouaner l'IRB des accusations de racisme portées par Eliota Sapolu Fuimaono à son encontre, peut être ? Toujours est-il que le match fut brutal, violent, au-delà des limites, et que le XV de France, malgré toute sa hargne et sa vista, n'était pas de taille à affronter dix-sept joueurs : quinze All-Blacks, plus tout un peuple, plus un arbitre... On retiendra de cette finale de rêve les larmes des candides Français, la joie indécente des Néo-Zélandais, certainement attisée par la peur de la défaite, mais également ternie par l'éternel soupçon... Et, surtout, ce panache à la gauloise, ce V victorieux pointé à la face du Haka et de l'Ovalie, cette flèche empoisonnée au poison du rugby champagne et du french flair, malheureusement inoffensive contre les manœuvres souterraines du rugby mercantile et castrateur, cette farandole solidaire de joueurs aux maillots d'anges immaculés dont les deux segments ont fait, en vain, comme dirait le Poète, "tourner un philtre noir dans un vase profond"...

mercredi 7 novembre 2012

Incassable

Cette semaine, je me promenais avec Brock sur les terrains d'entraînement. Brock lui-même promenait David Skrela. Il lui avait dit de ne pas trop s'éloigner et, surtout, d'être prudent :
- L'autre jour, il s'est fait une déchirure en se grattant la tête... m'avait confié Brock en ramassant la doudoune que David avait laissé tomber par terre parce qu'il avait trop chaud. Et essaie de ne pas trop te salir, pour une fois ! avait-il ensuite lancé à la Skrèle qui était parti comme un fou.
Gerhard avait aussi voulu venir. Je poussais son fauteuil roulant. J'avais l'impression d'être en famille, avec mon fils, mon petit-fils et un vieil oncle grabataire. Le sport c'est la santé, qu'ils disaient... Si vous vous demandez à quoi peut bien ressembler Musclor à 50 ans, je vous conseille de consulter le dossier médical de Gerhard. D'un autre côté, c'est un peu ma faute : je n'ai pas réagi lorsque Thomas lui a refilé sa place de vestiaire, celle qu'avait occupé précédemment Benoit Baby...
Nous marchions tranquillement dans la pâle lumière automnale. David plaquait des sacs et courait dans tous les sens.
- Brock, dis-je, rompant le silence, tu sais que je ne veux pas que tu plaques.
- Mais lui, il a le droit ! me répondit Brock en désignant David du menton.
- Lui, c'est pas pareil. Il est tout vieux et puis... c'est pas pareil. Nous on a encore besoin de toi. Laisse-ça aux deux Julien et à Gerhard.
A l'appel de son nom, Gerhard tenta de tourner la tête vers moi. Il ne parvint qu'à s'arracher un rictus de douleur.
- Ou à Alexandre... continuais-je en ré-ajustant la couverture de Gerhard. Contente-toi de taper les bras tendus en reculant sur le type qui court vers toi avec le ballon, en attendant que la troisième ligne arrive. Il n'y a rien de déshonorant. Chez les militaires, ils appellent ça un "repli tactique en attendant les renforts".
Gerhard essaya à nouveau de dire quelque chose. Je tendais l'oreille. J'entendis "plaquer" dans un souffle rauque. Je lui remis les mains bien à plat sur la couverture.
Brock reprit :
- Pourquoi dis-tu que vous avez encore besoin de moi ?
Je marquai une pause, puis déclarai solennellement :
- On va recruter un nouveau n°10.
Brock :
- Qui ?
- Mike Delany.
- Qui ça !?
- Mike Delany. Et je te rappelle que tu n'étais pas trop connu non plus avant d'arriver à Clermont, hein ! Il a une sélection avec les Blacks, tout de même.
- Contre qui ?
- Là n'est pas la question.
- Contre qui ?
- L'Italie... Mais là n'est pas la question...
Brock m'interrompit :
- Je parie qu'il peut jouer centre.
- Oui. Et alors ?
- Non rien... Il poursuivit, pensif : C'est une bonne nouvelle : cela va créer de l'émulation, me mettre en danger, je vais pouvoir souffler, faire du foncier, me régénérer à son contact...
Il soupira en regardant David manquer un coup de pied d'envoi...
- Il joue dans quel club ?
- Les Panasonic Wild Knights. C'est normal que tu ne connaisses pas, c'est au Japon... Et puis ce ne sera peut être pas lui... On a plein d'autres pistes...
Brock me toisa, narquois, dans une expression qui me surprit tant elle n'était pas habituelle, puis son regard s'adoucit aussitôt :
- Mais oui Papa. Tu sais bien que j'ai toute confiance en toi.
David revint alors en courant vers nous, tout essoufflé.
- Ah ! Ça fait du bien ! J'ai une pêche en ce mom...commença-t-il, avant de pousser un cri de douleur.
Brock leva les yeux au ciel. David s'effondra, grimaçant, se tenant la jambe. Le chariot de Gerhard lui avait roulé sur le pied...
* * *
Brock entra dans le vestiaire. Il jeta un coup d’œil dans les autres travées. Il était seul. Il ouvrit silencieusement la porte de son placard, sur laquelle étaient punaisées les photographies d'Alexandre Péclier, de Seremaia Bai, de Robin Janisson, d'Alex King, de Tasesa Lavea, de Benoit Baby et de David Skrela. Les six premières étaient barrées d'un trait noir. Il sourit. Avec un marqueur, il barra avec application la photo de David Skrela.