lundi 21 novembre 2011

Le séminaire sur les valeurs

Ça y est, on est parti en stage au Canet en Roussillon, une ville de nageurs, mais cela ne fera pas de mal à certains de boire un peu d'eau après les festivités du centenaire. Lorsqu'on est arrivé, Olivier Magne nous attendait devant les portes du complexe sportif. Il a été extrêmement déçu d'apprendre qu'il ne pouvait participer au stage. Jean-Pierre Romeu est quant à lui resté à Clermont : il a commencé à plancher sur la liste des invités du bicentenaire pour être sûr de n'oublier personne cette fois-ci et le président l'a chargé de rédiger les cent soixante-dix-sept lettres d'excuses à ceux qui n'ont pas été contactés. Pour l'adresse du Dugarry d'Eurosport, ça devrait aller, mais pour celle de Camille Courteix, bon courage... Sinon, j'ai reçu un texto de Tasesa qui m'a dit que l'invitation l'avait beaucoup touché. De mon côté, j'ai été heureux d'apprendre qu'il était toujours en vie...
Les festivités ont toutefois généré un peu de confusion. Il a fallu évacuer Sitiveni avant la fin : c'est sûr que 18000 personnes qui chantent du Aznavour après un feu d'artifice qui a failli mettre le feu à la pelouse, c'est un drôle de choc pour un nouveau, surtout quelques jours après avoir mis pour la première fois les pieds à Clermont-Ferrand. On a également eu un problème : John Senio en avait profité pour se cacher dans la soute du bus, espérant partir avec nous à Montpellier. Cela nous a rappelé de mauvais souvenirs...
Bref, il n'y a plus qu'à espérer qu'on mette moins de temps à gérer le centenaire que le Brennus. C'est pourquoi j'ai décidé d'organiser, en préambule du stage, un séminaire de motivation avec pour thème "les valeurs de l'ASM".
J'ai fait venir un consultant intelligent, un homme capable de donner du sens à l'action, un gazier qui crée de la valeur à partir du capital humain, un type qui aurait lu Sun Tsu et Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine dans le texte original pour en tirer la substantifique teneur, un mec qui puisse accompagner le changement dans un monde fluide et incertain à l'heure de la mondialisation et de la crise... Comme David Douillet et Fabien Galthié n'étaient pas disponibles, j'ai fait appel à Kevin (aucun lien avec le frère de John), consultant freelance en auto-entrepenariat établi à La Pardieu (près de la patinoire et du Leclerc pour ceux qui ne situent pas). En fait, le feu d'artifice plus les dépenses "affranchissement-lettres d'excuses" ont tellement plombé le budget que je ne pouvais pas avoir mieux et puis c'est bon pour la RSE du club de donner sa chance à un chômeur de longue durée. Dans le genre abordable et pas cher, Lionel Faure m'avait aussi suggéré Didier Super, mais je me suis dit que cela ne collait pas à notre image de bons élèves.
Donc, Kevin.
Kevin nous a réunis dans un vestiaire, en short.
- Pourquoi un vestiaire ? a-t-il commencé. Parce que c'est bien là que l'équipe se retrouve, se reforme, converge avant et après le match autour d'un destin redevenu commun. Pourquoi en short ? Parce que le maillot est l'étoffe de votre identité, votre ADN floqué sur un habit de lumière ensanglanté, le symbole de votre aventure partagée, votre identité révélée à la face du monde.
Même si on voyait bien qu'il n'avait pas eu le bac grâce à l'EPS et qu'il avait pris allemand première langue, on sentait que Kevin était à bloc, qu'il avait potassé l'intégrale de Daniel Herrero, qu'il avait décroché le contrat de sa vie et qu'il jouait le tout pour le tout. Si ça marchait, à lui les séminaires d'entreprise Brioche Jacquet et le stage "Remotivation-Recyclage" des seniors virés de chez Michelin financé par Pôle Emploi ! Il faut dire qu'après Sup' de Co' Clermont et quatorze stages non rémunérés dans autant de PME de l'agro-alimentaire ou de l'industrie pharmaceutique de la région, Kevin commençait à regretter de ne pas avoir passé les concours de la fonction publique.
Mais je dois avouer que son enthousiasme était un peu en décalage avec l'état d'esprit du groupe. Sitiveni regardait partout autour de lui d'un air ahuri, n'en revenant visiblement toujours pas. Depuis qu'il est là, j'ai l'impression qu'il est toujours en retard d'une correspondance... Roro se faisait une manucure - soin du cuir chevelu dans un coin, Brock pratiquait un exercice de lévitation que Julien Bonnaire lui avait appris et David relisait les œuvres complètes de Pierre Villepreux. Ti Paulo avait le même regard que dans le lip dub de la fac dentaire, et Julien Bardy dormait sur l'épaule d'Elvis qui commençait à piquer du nez.
Mais Kevin ne s'est pas décontenancé, et a poursuivi :
- Pour bien vivre les valeurs de votre entrepr... club, il faut vous les approprier. Vous devez donc en donner une définition personnelle et les revisiter à votre manière. Vous, par exemple, oui, le Monsieur avec les longs cheveux blonds en train de faire des appuis faciaux sans vous arrêter depuis une vingtaine de minutes (il s'adressait en fait à Gerhard), oui, merci de me prêter attention, quelles sont pour vous les valeurs de l'ASM ?
Gerhard, sans s'arrêter de pomper, est passé sur une main et s'est gratté la tête :
- Euh... La violence dans son expression la plus pure et la plus positive ?
- C'est un bon début... Et vous là-bas, qui prenez des notes et qui semblez être le seul à m'écouter (c'était Julien Bonnaire, qui avait de toute façon levé le doigt), qu'en dites vous ?
- Les valeurs de l'association sportive montferrandaise Clermont Auvergne sont "Envie - Fierté - Rigueur". Cette trilogie illustre parfaitement la volonté du club de s'inscrire dans la durée et la performance, tout en mettant au premier plan les valeurs du sport en général et du rugby en particulier, habitées de respect pour le jeu et l'adversaire, de professionnalisme et de compétence, le tout dans un esprit de solidarité et de convivialité, dans une région où humilité et sens du travail bien fait ne sont pas de vains mots.
Une fois qu'il a eu débité sa tirade, il m'a regardé avec l'expression déférente et interrogatrice de l'élève studieux à la recherche du bon point. Clément et Loïc lui ont envoyé une boulette en le traitant de "fayot". Je les ai tous regardés méchamment pour les calmer mais Kevin n'en était pas troublé pour autant :
- Très bien ! Belle définition que ne doit pas renier le monsieur aux cheveux gris qui pianote sur son portable là-bas au fond.
René leva la tête un peu surpris :
- Excusez-moi, je tchatais avec Michel Drucker. Oui, c'est vrai, vous ne le savez peut être pas mais je suis le maire d'Eygalières... Il paraît qu'Angelina fait du vélo d'appartement nue sur sa terrasse... Alors les valeurs de l'ASM... Eh bien, un gros potentiel à exploiter sur le créneau 35 - 44 ans de la région parisienne, une croissance continue mais maîtrisée, un merchandising en progression constante, tant du point de vue qualitatif que quantitatif et surtout d'excellentes relations avec les partenaires, commerciaux et institutionnels, que j'en profite pour saluer.
- Bien, je vois que Monsieur connaît bien son entrep... son club. Bon, maintenant, nous allons faire un petit jeu. Je vais vous demander de mimer devant tous vos collè... vos équipiers votre vision des valeurs du rugby.
A ce moment-là, Kevin a commis une grave erreur. Il a proposé à Jamie de commencer le jeu. Je ne sais pas si c'est le fait de ne pas avoir joué depuis quinze jours où s'il a mal compris la définition du mime, toujours est-il qu'il a pris Kevin en planche. C'est à cet instant qu'Olivier Magne, qui avait forcé la porte, est entré en hurlant "Pas touche au consultant ! Quel manque de classe !" et en essayant d'extraire Kevin du Ruck. Voyant cela, Julien Bardy, réveillé par le doux bruit du plaquage sur le carrelage, se jette sur Magne. Ensuite, j'ai une vision assez brouillonne des choses. La générale est partie d'un coup. J'ai réussi à m'extirper du vestiaire et j'ai attendu seul sur le terrain.
Ils sont tous sortis au bout de vingt minutes, dans un état proche de l'Italie ou du Vénezuela, enfin un truc pas beau à regarder de près, mais ils avaient tous le sourire à leurs lèvres tuméfiées. Jamie et Gerhard tenaient Kevin à une main par les épaules à trente centimètres au-dessus du sol. Olivier Magne rigolait avec Alex Audebert parce que son téléphone était cassé et qu'il ne pouvait plus twitter. Ils avaient tous l'air très épanoui.
Ils se sont tous réunis autour de Kevin, toujours en suspension. Roro a pris la parole au nom du groupe en le remerciant chaudement de leur avoir si bien expliqué les valeurs de l'ASM.

5 commentaires:

  1. J'adore. C'est la deuxième fois que vous me faites le coup en deux visites. Je ne suivais pas trop votre équipe, Vern, jusqu'à présent. Et puis j'ai eu un coup de foudre pour votre plume.
    Je me demandais pourquoi ne créeriez vous pas une publication bi hebdomadaire imprimée sur du papier jaune sur laquelle on retrouverait vos chroniques? Ca pourrait s'appelait Centrol ou Clermol ou Montferol... en lettres bleues. Je pourrais comme ça découper les meilleurs articles et les mettre dans mon classeur à côté de ceux de Pierre Villegueux en remplacement de ceux de Vacques Jerdier (que vous avez supplanté dans mon coeur)
    Merci pour ce joli moment!

    Un supporter toulonnais

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  2. Merci ! Je vais essayer de continuer à ne pas vous décevoir. Et la compagnie de Pierre Villegueux dans votre classeur virtuel me réjouit ! A bientôt sur la rade...

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  3. C'est vraiment trop bons et géniales vos publications. Faites un truc pour que vous soyez vu par plus de monde via facebook ou autre.
    Je suis vraiment admirative devant votre talant et en lisant vos publications, je suis morte de rire. Cela fait du bien de voir des gens qui ne se prennent pas la tête et voient à travers l'humour la vie de nos jaunards
    Merci encore et continuez à nous faire
    Ce travail devrait être subventionner par la sécu car cela fait du bien au moral!!!!

    Manue63

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  4. c'est parfait pour moi.
    frednirom

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