vendredi 23 décembre 2011

Au bar des sports

J'aime bien me balader dans Clermont en prenant soin de n'être pas trop reconnaissable. Je mets mon bonnet, mes lunettes de soleil et je fréquente les bistrots, non pas pour entretenir ma dipsomanie, mais pour prendre le pouls de la ville. J'apprécie en particulier les bars de supporters. Cela me permet de n'être pas trop éloigné des préoccupations des tribunes. Après tout, c'est tout de même un peu pour vous qu'on fait tout cela...
J'entre donc dans le café. Un Pari Mutuel assez peu urbain, tout ce qu'il y a de plus classique. Il est trois heures de l'après midi. Le décor est infect : du vert fluorescent et du gris, un peu de bleu, le tout rehaussé par les nombreuses affiches pour les jeux de hasards et le turf. Dispersés dans l'établissement, des moniteurs diffusent une chaîne hippique qui fait croire que c'est l'amour du cheval qui motive ses téléspectateurs. Ceux qui ne connaissent pas la mixité sociale peuvent venir faire un tour ici. Une belle diversité ethnique peuple l'endroit. Ça me fait un peu penser au club, sauf que l'hygiène corporelle et dentaire rappelle plus les vestiaires de fins de matches que les publicités pour les sous-vêtements ou les cosmétiques avec lesquelles les joueurs arrondissent leurs fins de mois... Des piliers de bar déjà bien alcoolisés tiennent littéralement le comptoir. Le sol est jonché de tickets de paris. Ça discute assez ferme. Quelques chômeurs sirotent, pour le faire durer, un demi ou ce que vous appelez un "blanc-cass". Assis dans un coin, un prof alcoolique corrige ses copies avec un verre de blanc. Il semble regretter l'époque où l'on pouvait encore fumer car il porte fréquemment et nerveusement ses doigts à sa bouche. Un couple boit un café, chacun pianotant sur son téléphone sans vraiment faire attention à l'autre. Des lycéens boivent leurs premières bières en discutant bruyamment. Une bourgeoise égarée en manteau, attend un train, ou un homme, en rêvassant, le regard perdu à travers la vitrine. Ça entre et ça sort pour des cigarettes, un euro-millions ou des chewing-gum à la chlorophylle. La patronne tient la caisse et le patron essuie ses verres et son comptoir, impassible, en écoutant les délires éthyliques de ses meilleurs clients. Il doit avoir la tête farcie des lieux les plus communs de l'humanité et je frémis en imaginant son horizon intellectuel...
Je m'installe dans un coin et je commande un café.
J'attends le moment où, entre la quatrième et la cinquième, course ou tournée, on en vient à parler rugby. A Clermont, les sujets de conversation ne sont pas si variés. Une fois le tramway, le temps qu'il fait et qui passe, le parti socialiste, la crise et la politique épuisés, on finit toujours par le sport, d'abord le foot et ensuite le rugby. Quelques mots sur Antoine Koumbouaré qui vient de se faire virer, pour être remplacé par un entraîneur plus bankable. Tous les poncifs y passent : c'est injuste car il est premier à mi-saison, car c'est un historique du club, de toute façon, si le PSG est champion, il sera vite oublié, les supporters n'ont pas de mémoire, sauf quand on perd, le club est en train de perdre son âme, etc... Ce qui m'étonne le plus, finalement, c'est que pas un de ces mecs dont le salaire oscille entre le SMIC et le RSA n'a l'idée de s'indigner, non pas contre l'arbitraire de quelques rois du pétrole cyclothymiques, mais du fait que l'on s'émeuve de l'éviction en parachute doré d'un entraîneur, certes sympathique, d'un club qui rémunère exagérément des illettrés immatures et irresponsables. Ce doit être ça la France, ce pays où la liberté et la justice comptent plus que tout autre chose...
Finalement, on y arrive :
- Enfin bon, c'est pas ça qui arriverait à l'ASM... lance l'un deux après qu'un silence a signifié la nécessité d'orienter la logorrhée collective vers une nouveau caniveau.
- Ouais, c'est sûr, avec Vern qui reste, on tient le bon bout. Heureusement que les Kiwis nous l'ont laissé, embraye un autre, moins disert sur le foot et trop content de pouvoir donner un avis qualifié.
- Mais bon, j'y vois pas beau pour la Hache-Queupe, poursuit un troisième qui parle avec l'accent des paysans dans cette série appelée Kamelott qui passe sur une chaîne du câble.
- Faut dire, reprend le premier, qu'à 10 000 euros par mois, ils pourraient se donner un peu plus...
(...)
- Mais James, il a pas fait un mauvais match...
- Skrela par contre, on dirait qu'il a été livré par Ikéa ! J'ai jamais vu une armoire à glace aussi fragile !
- Tiens, d'ailleurs, ils parlent de faire un Ikéa à Aubière, quand y'z'y mettront le tramway...
Le moment est passé. Ils y reviendront peut être... Ou pas...
Je ne les écoute plus. Je regarde le mendiant qui fait la manche en tenant la porte à ceux qui entrent et sortent. Voila un homme qui est dans la merde, dont l'avenir est réduit à la portion congrue d'une espérance irrémédiablement déçue, et qui parcourt sans but et sans fin le cercle vicieux de sa vie. Je me demande s'il s'intéresse au rugby, s'il vibre lorsqu’il entend la rumeur du stade, s'il peut encore se réjouir à l'idée de ce spectacle innocent de trente gaziers qui luttent pendant quatre-vingts minutes pour un ballon devant vingt mille personnes hystériques, ignoblement hystériques, otages volontaires de l'oubli, temporairement inconscientes et diverties de leur sort inepte, de l'absurdité de leur existence et du fait de se passionner pour ce jeu inconséquent alors que leurs cellules sont en état de putréfaction suspendue et que la rumeur du monde continue à bruire de toute son horreur. Ils ont fait le pari, après tout pas si fou, de mettre une part de leur espérance entre les mains d'un club et ils objectivent leurs passions, leurs joies, leurs frustrations et leurs peines dans une équipe de types qu'ils ne connaissent même pas mais auxquels ils se sont ralliés à la faveur de la proximité géographique.
Pendant qu'ils supportent, ils doivent avoir l'impression de vivre plus intensément... De la même manière que je recherche une forme d'accomplissement en entraînant ces types, pour être le meilleur, pour jouir de la joie de la victoire, pour la gloire, pour la réussite. Sont-ils plus méprisables que moi, qui pense être maître de mon destin et de moi-même, en tentant d'infléchir le cours des choses, mais qui ne suis finalement que l'instrument anodin de leur obsession passagère, de leur plaisir remplaçable et dispensable ?
Je me lève. Je sors. Je remercie le mendiant de son obligeance. Il me regarde en souriant. Je crois qu'il m'a reconnu. Je lui donne mon bonnet, mes gants et mes lunettes de soleil. Il fait froid. J'ai froid. Je reste quelques instants face à lui. Il continue à me sourire en me tenant la porte. Un des poivrots hurle depuis le bar :
- La lourde !
Le mendiant ferme la porte en saluant rapidement l'ivrogne, pour s'excuser. Je me déplace. Je suis gêné. Il me dit, toujours souriant :
- Vous savez, quand l'ASM gagne le week end, je suis content. Ça me donne du courage pour la semaine...
C'est bientôt Noël. Je sens la frénésie de cette ville dont toute la volonté semble tournée vers la satisfaction d'un besoin consumériste. Je m'éloigne du mendiant en le remerciant d'un sourire. Je mets mes mains dans les poches de mon jean. Je lève les yeux vers le ciel. Je remercie je ne sais quel être suprême de m'avoir donné cette vie, ma vie, et je me dis, en serrant les poings :
- Bon maintenant, on va le gagner ce derby !

mercredi 21 décembre 2011

Noël, Joyeux Noël

Noël, c'est la fête du partage... Alors, on s'est tous offert des cadeaux :
Kevin a eu un ballon. Lorsqu'il l'a déballé, il a eu un mouvement de recul, et puis il a dit :
- Mais qu'est-ce que je vais faire de ça ?
Roro a eu une nouvelle carte vitale. L'ancienne avait fait fondre les lecteurs de la sécurité sociale. Pour nous remercier, il a offert des slips à tout le monde. Gonzalo a dit qu'il avait déjà des Dolce & Gabana et Aurélien lui a répondu que s'il préférait mettre des "slobards de gonzesses", ça le regardait...
Sitiveni a eu une pédale d'accélérateur. C'est moi qui la lui ai offerte, en espérant que cela lui donne des idées...
Jamie a reçu un camion citerne de bromure, en prévision des matches retours.
Morgan a eu une claque, il la méritait depuis longtemps, ainsi qu'un stage gratuit à l'Actors Studio pour parfaire son jeu.
David Skrela a eu une combinaison de démineur, pour bien amortir les chocs.
Jubon a reçu l'illumination de Matsumura Sokon et il est parti en retraite à Shaolin pour régénérer ses chakras.
Gerhard a eu une nouvelle plaque d'immatriculation (avec un 63 à la place du 19...).
Wesley et Jean-Marcelin ont été inscrits à "La France a un incroyable talent" pour représenter l'Auvergne.
J'ai viré Julien Malzieu qui voulait nous offrir des poulets alors qu'il n'avait pas enlevé la peau. J'en ai profité pour leur distribuer la brochure du Ministère de la santé "Comment ne pas grossir pendant les fêtes de fin d'année".
Brent a reçu quant à lui une carte postale de Bayonne, de la part de Sione, et Jean-Marc une promesse de contrat de la part de Jaque Fourie.
Clément Ric a été invité à devenir l'ami de Philippe Saint-André sur Facebook.
Morgan a offert à Nathan le Livre des Ruses et Trente-six Stratagèmes, en lui expliquant que c'était un hommage.
Elvis a reçu un déambulateur qui va beaucoup l'aider pour les départs au ras et Alexandre Audebert un bouquet de chèvrefeuille, de lierre, de violettes, d’œillets et de véroniques.

Et moi, me direz-vous, quel a été mon cadeau ? A vrai dire, rien n'aurait pu me faire plus plaisir. Ils l'ont vraiment bien choisie, cette poupée vaudoue à l'effigie de Steve Hansen...

lundi 19 décembre 2011

L'ASM en 26 lettres (5)

U comme Under Armour
Pas question ici de faire de la publicité gratuite pour l'équipementier actuel de l'ASM. Mais rappeler que nous sommes dans l'ère du merchandising et que les bénéfices issus de la vente de produits dérivés, même s'ils restent marginaux dans le budget d'un club (7% pour l'ASM si l'on y joint l'évènementiel - source ici), n'en sont pas pour autant négligeables, en particulier en temps de crise où les partenariats avec les acteurs publics et privés pourraient être revus à la baisse en cas de soubresauts de l'économie... A n'en pas douter, si l'on en juge par les tenues chamarrées des supporters au stade ou par les difficultés d'approvisionnement après les fêtes de fin d'année, la boutique du club se porte bien. En revanche, on peut être plus sceptique sur la qualité et l'esthétique de l'offre. A l'heure où de nombreux rugbymen lancent ou soutiennent des lignes de prêt à porter (dans la lignée de leurs glorieux anciens Serge Blanco et Eden Park, citons, par exemple, Sebastien Chabal, mais aussi les frères Domingo, on peut s'interroger, légitimement, sur l'impossibilité d'acquérir dans les boutiques de l'ASM un effet vestimentaire que l'on puisse porter en dehors d'une séance de sport ou sans faire insulte à la mode (j'exagère, mais pas tant que cela finalement)... Il semble que nous soyons cantonnés, si nous souhaitons arborer fièrement les couleurs de notre équipe favorite, à du "sous-Eden Park". Sans préjuger des goûts des clients habituels, il me paraîtrait envisageable, pour une SASP de la dimension de l'ASMCA et sans augmentation exponentielle des tarifs (ou en plus de l'offre déjà existante), de proposer au supporter fervent mais soucieux de son élégance et de l'image qu'il donne de son club, quelques produits mieux taillés, mieux dessinés, et surtout, plus jolis...

V comme Vern
Il est venu, Il a vu, il a perdu, il a perdu, il a perdu, il a vaincu : le bouclier a enfin été invité à faire un tour à Clermont-Ferrand. Être champion du monde avec la Nouvelle-Zélande ? Trop facile, déjà fait. Non, ici, on a un challenge à la mesure de l'homme. Pas question de repartir aux Antipodes sans avoir ramené la HCUP. S'il le faut, les Auvergnats feront péter l'un de leurs volcans pour bloquer le trafic aérien et empêcher le retour du sorcier sur ses terres avant que la besogne ne soit faite. A propos, M. Cotter, votre statue, vous la voulez dans quel coin de la place de Jaude ? Côté Vercingétorix ou côté Maréchal Desaix ?

W comme What a Wookie
May the Force be with Him...


Nota : J'espère que l'Ayatollah des Rock'n Rollers ne m'en voudra pas de l'avoir pillé...

X comme "eXcusez-moi M. l'arbitre"
Cette petite phrase, volée par les micros d'ambiance et prononcée par Elvis Vermeulen, après avoir commis une faute bénigne, au cours d'un match du Top 14 de la saison 2011-2012, est d'autant plus exemplaire qu'elle est devenue rare dans le sport professionnel, où l'enjeu a pris le pas sur l'élégance et la prise de recul. Il reste à espérer que cet état d'esprit, incarné par un joueur emblématique du club, perdure...

Y comme Yves du Manoir
Yves Frantz Loys Marie Le Pelley du Manoir était doué pour tout : polytechnicien, pilote militaire, il débuta une carrière de rugbyman international à 20 ans et, adulé du public, fut considéré comme le meilleur joueur français dès sa première sélection ! La brillante carrière de cet "arrière" polyvalent fut brisée par un crash aéronautique qui l'emporta à seulement 23 ans. Le challenge éponyme fut créé en 1931 par le Racing Club de France (où du Manoir jouait) pour remettre au goût du jour le beau jeu et le jeu tout court, à une époque où la recherche de la victoire à tout prix avait sonné le glas des grandes envolées (ce qui n'est pas sans rappeler notre actuel Top 14...). Des règles spécifiques veillaient à ce que le ballon vive et que les rencontres ne soient pas hachées par les arrêts de jeu. En particulier, les coups de pieds "placés" (pénalités et transformations) étaient interdits. Il est intéressant de noter que l'ASM fut, avec le CA Bègles, partie prenante dans la création de cette nouvelle compétition où le fair play avait une place prépondérante. Intéressant également de constater, en regard de son histoire en championnat et de sa culture, que l'ASM a remporté le trophée quatre fois (une de moins que Dax, autre maudit...), échouant en finale six fois, ce qui en fait le club le plus souvent finaliste après le RC Narbonne (douze finales, dont neuf victoires).

Z comme
Génération Z
La génération Z représente, en sociologie, les êtres humains nés après 1995. Si cette date fait sens dans le monde engendré par la fin de la Guerre Froide, elle correspond aux débuts du professionnalisme au rugby. Arrivent désormais sur les terrains des joueurs qui n'ont pas connu les heures plus ou moins glorieuses de l'amateurisme (y compris de couleur marron...) et qui considèrent ce sport comme un métier à part entière, voire comme une entreprise de spectacle. Si nous sommes dans une période charnière de l'histoire du noble jeu, nul doute que cette nouvelle génération aura une lourde responsabilité dans l'évolution du rugby, si fier de ses valeurs et souvent opposé, à tort ou à raison, au football et à ses excès. Le principal défi de l'ASMCA, en passe de devenir un club majeur et emblématique de ce deuxième siècle d'existence, ne sera, de ce fait, peut être pas purement sportif, mais pourrait bien être la préservation de son identité, de son âme et de ses traditions face au tsunami de l'argent et de la notoriété. Car, et il convient de ne jamais l'oublier, tout cela n'est que du rugby...

De A à E.
De F à J
.
De K à O.
De P à T.

samedi 17 décembre 2011

Déception amoureuse

Quand je suis rentré à la maison, après notre déplacement à Leicester, j'ai demandé à ma fille aînée de me raconter la fin de sa semaine. Elle n'avait pas l'air d'avoir le moral :
- C'est à cause d'un garçon, à l'école internationale...
- Ah bon ? Un garçon qui t'embête ?
J'étais déjà en train de m'imaginer aller la chercher un soir avec Julien Bardy et Gerhard pour impressionner ce petit imprudent.
- Oui... Enfin non. Il ne m'embête pas vraiment...
Je raccrochais mon téléphone et m'excusais auprès des joueurs de les avoir dérangés.
- Bon alors, qu'est-ce qu'il a ce garçon ?
- Ben... C'est le plus beau de l'école. Il est hollandais. Il a de grandes oreilles, mais toutes les filles sont amoureuses de lui...
- Toutes les filles... Y compris toi ?
Elle rougit en souriant, gênée. Je me disais que finalement, j'aurais peut être besoin de Julien et Gerhard... Je poursuivais :
- Bon, et lui, il t'aime bien ?
- Oui... Enfin non... Je sais pas trop...
- Comment ça ?
- Ben, y'a les sœurs jumelles irlandaises... Et puis l'élève dont le père est toulousain, qui est la première de la classe et qui se moque toujours de moi lorsqu'elle a une meilleure note... Elles n'arrêtent pas de lui tourner autour...
- Okay... Mais, il le sait que tu l'aimes bien ?
- Ben... Oui... Je lui ai envoyé des SMS... Je l'ai dit à ses copains... Mais bon... Les Irlandaises, elles ne font jamais leurs devoirs du soir, alors elles peuvent passer du temps avec lui. Et la Toulousaine, elle dit qu'elle ne peut pas être première de la classe et s'intéresser aux garçons, mais je sais qu'elle l'a déjà embrassé... Au moins quatre fois...
- Et toi, tu ne lui as jamais parlé ?
- J'aurais bien aimé, mais à chaque fois, les Irlandaises se débrouillent pour que je ne le croise jamais... Par exemple, hier, je lui avais donné rendez-vous pour aller au cinéma, voir Intouchables. Mais il a préféré aller au MacDo avec un Gallois et une Anglaise parce que les jumelles lui ont dit que j'étais une bolos...
- Une quoi ?
- Une bolos : une fille un peu coincée qui se fait facilement avoir...
- Ah...
- Et toi, Papa, comment c'était en Angleterre ?
- Eh bien... Comment te dire ? Un peu la même histoire finalement...

vendredi 16 décembre 2011

Black Blues...

Ce matin, Jean-Marc et René sont passés me voir avant de partir pour l'aéroport. Ils avaient un air de componction mais je sentais que ce n'était qu'une façade et qu'ils tentaient de cacher une immense satisfaction derrière une mine compassée et de circonstance.
René prit la parole. Il portait sa médaille (en fait, il la porte tout le temps depuis sa décoration...) :
- Vern, en tant que maire d'Eygalières, chevalier de la légion d'honneur, et, incidemment, président de l'ASM Clermont-Auvergne, je tenais à te témoigner toute ma sympathie et nos regrets les plus sincères...
Il marqua une pause. A côté de lui, Jean-Marc baissait la tête et regardait vers le sol. Je voyais bien qu'il réprimait une impérieuse envie de rire. René lui-même avait du mal à poursuivre sereinement. Il poursuivit cependant :
- Je disais donc : nous sommes vraiment désolés que tu n'aies pas été choisi pour...
A cet instant précis, Jean-Marc, n'y tenant plus, partit dans un fou rire qui l'obligea à quitter la pièce. René sembla produire un effort surhumain pour se dominer et continua :
- ... pour devenir le sélectionneur des All Blacks. Voila... Saluuuut. A tout à l'heure !
Et il s'en fut sans autre forme de procès.
Une fois la porte refermée, j'entendis une énorme explosion de joie, des bouchons de champagne qui sautaient, des sifflets, des cris... Je crus reconnaître la voix de Jean-Pierre Romeu qui chantait, sur l'air de "on est en finale" :
- Woodcock-Woodcock, Woodcock-Woodcock, Woodcock-Woodcock-Woodcock-Woodcock !
Je me tournais vers la fenêtre, et je vis un cortège de véhicules qui défilaient en klaxonnant autour du stade avec des drapeaux jaunes et bleus et des supporters, torses nus malgré le froid, qui hurlaient :
- Il va rester ! Il va rester ! Il va, il va, il va rester !
Je m'assis, posai les coudes sur mon bureau, pris ma tête entre mes mains et me dis :
- Putain, deux ans...

mercredi 14 décembre 2011

La Bûche

Hier après midi, je faisais mon habituel tour des installations pour rechercher les caches des joueurs. Oui, j'ai pris l'habitude de débusquer les cachettes dans lesquelles certains tentent de dissimuler des barres chocolatées, des bonbons, des sucreries en tout genre, de la charcuterie, du fromage non maigre et des peaux de poulet. Ils sont devenus de plus en plus inventifs et je dois bien avouer qu'ils mettent ma vigilance à rude épreuve... Il faut dire que j'ai moi-même choisi l'équipe de diététiciens du club : un ascète de la secte des Naga Baba est en charge de l'approvisionnement en vivres, un coureur de fond éthiopien rédige les menus et la Règle de Saint Benoît est le seul livre de cuisine autorisé.
En passant dans les vestiaires, j'ai entendu à l'extérieur une rumeur joyeuse et des cris d'amusement. J'étais surpris car je n'avais pas programmé de séance de musculation à cette heure. C'était en fait la bûche de Noël de l'école de rugby. Comment avais-je pu manquer cela ? A cinq jours du match retour contre Leicester, je fus soudain tenaillé par l'angoisse...
Je me précipitais sur les lieux et, malheureusement, mes inquiétudes étaient fondées : j'assistais, impuissant, à un carnage...
Les enfants contemplaient, médusés, une scène d'orgie de Noël : une mêlée informe masquait le buffet. Mais je parvenais à distinguer Gerhard qui se gavait goulûment de bûche à la crème avec des grognements sonore de contentement, pendant que Julien Bardy, une barbe à papa à la main, empêchait quiconque d'approcher en montrant ses dents roses après chaque bouchée. Les premières lignes, au complet, se vautraient dans la chantilly pendant que Morgan, David et Brock, ayant remplacé les ballons par des sucreries, adressaient des passes au pied millimétrées aux trois-quarts.
Les Fidjiens, quant à eux, emplissaient de grands sacs postaux de tout ce qu'ils pouvaient trouver en mignardises, junk food et autres insultes à la diététique... Muri faisait des photos qu'il envoyait dans la foulée à Caucaunibuca.
Seul Jubon, en lévitation et en extase mystique, approchait des morceaux de gâteau au chocolat de sa bouche puis les repoussait au dernier moment en criant :
- Mal ! Mal ! Pas bien !
Sorti de ma stupeur, je décidais enfin d'agir. M'emparant de mon fouet de dompteur (oui, j'en ai toujours un à proximité...), je chassais les marchands du temple (et les enfants aussi, malheureusement, mais bon, un quart de finale de HCUP, "ça ne se galvaude pas") en hurlant.
Quelques heures plus tard, après avoir administré plusieurs vomitifs et effectué les lavages d'estomac qui s'imposaient, tout était revenu dans l'ordre. Avec Jean-Marc, je contemplais l'équipe terminer ses soixante tours de terrain, en me disant que j'allais afficher des photographies de Philippe Saint-André et de Serge Blanco à la cafétéria.
- L'année prochaine, on organisera une crèche vivante, me dit Jean-Marc. Je verrais bien Jubon en Vierge Marie, Roro en Saint Joseph, Le Belge en bœuf et le Merdeux en Petit Jesus...
Et il ajouta, un petit sourire au coin des lèvres :
- Et ça ne te dirait pas de faire le père Noël ?

mardi 13 décembre 2011

L'ASM en 26 lettres (4)

P comme Public
Existe-t-il un meilleur public dans l'univers que celui de l'ASM ? Bon, c'est sûr, il y a les supporters brésiliens de football, ceux de Liverpool ou de Sankt Pauli. Mais au rugby ? Bon, d'accord, la Red Army du Munster peut lui faire concurrence. Mais en France ? A n'en pas douter, il n'en existe pas de plus respectueux, de plus fidèle, de plus enthousiaste, de plus fair play, dans la victoire comme dans la défaite (la preuve ici). Ce public est en fait à l'image de l'Auvergne et de son club. Pas forcément très glamour, pas délirant non plus (quoique...), mais simple, franc, non dénué d'humour, et généreux à l'égard de ceux qui ont beaucoup donné pour le club. Bref, qu'il ne change pas...

Q comme Quatre-vingt-quatorze
L'une des plus belles épopées de l'ASM. La dernière avant le professionnalisme. Une bande de potes, emmenée par l'exceptionnel duo Victor Boffelli (l'Aurillacois qui partageait sa vie entre l'ASM et le Cantal) - Patrick Boucheix, un jeu total, du talent à tous les postes. Les Saint-André (frères), Ribeyrolles, Darlet, Juillet, Versailles, Bertrank, Costes, Lecomte, Heyer, Duchesne, Ladouce, Pradier (avec une réussite au pied insolente et un abattage monstrueux en défense), Lhermet, Mallaret, Marocco, Menieu, Prégermain, Rioux, Romeu, Nicol, entre autres... accomplirent de formidables phases finales, atteignant également la finale du Challenge Yves du Manoir. Des matches héroïques contre Toulon, puis Grenoble, en quart et en demi. Et une magnifique finale contre Toulouse, évidemment, qui avait été battu en quart du "du Manoir" quelques semaines plus tôt, avec la glissade de Bertrank, le formidable essai de Juillet et la seule réception que PSA n'aurait pas dû manquer dans sa belle carrière, sur une énième chandelle assassine de Deylaud...
Mais le plus marquant, ce fut certainement l'accueil qui fut réservé à l'équipe à son retour de Paris, à la gare, sur le trajet qui les menait au stade, et, finalement, au Michelin, où une émouvante communion avec les supporters concluait superbement cette grande aventure. Le mot de la fin était cependant revenu, je pense, à Jean-Marc Lhermet, le vieux lion, capitaine courageux et exemplaire, qui déclarait, dans l'instant de la défaite, alors que Philippe Saint André effectuait un tour d'honneur en larmes : "On donne du bonheur à beaucoup de gens, et c'est ça l'essentiel".

R comme Rougerie
S'il n'en fallait qu'un... Il se dit dans les travées du Michelin que l'équipe n'est pas la même lorsqu'il n'est pas là. 100 kilogrammes de talent et de force pure, Aurélien Rougerie, Roro pour les intimes, le Lomu blanc pour les fans, est le capitaine emblématique du XV de l'ASM, le premier a avoir brandi le bouclier et le premier aussi, a avoir dérogé au protocole et l'avoir offert aux supporters avant de monter sur la ridicule estrade du sponsor du Top 14. Communiquant avisé et un rien provocateur, "grand frère" des lignes arrières auvergnates et françaises, égérie d'une marque de slips (oui, c'est comme cela que cela s'appelle), feuilleton capillaire, énigme pour le corps médical en raison de ses convalescences aussi rapides et nombreuses que ses accélérations, "fils de", formé au club, clermontois d'origine et de toujours, le French Kirwan est surtout un joueur de rugby exceptionnel, doté d'un physique hors norme, membre de l'équipe première dès l'âge de 19 ans, international à 21 ans (deuxième marqueur d'essais du XV de France en activité...) et reconverti au centre avec le succès que l'on sait. Que dire de plus, sinon qu'il ne manque à son palmarès déjà bien garni qu'une HCUP et une coupe du monde et qu'à ce rythme, il ne serait pas surprenant qu'on le retrouve un jour parmi les "officiels" du club, voire de la fédération...

S comme Seize pattes
Avec le Saint Nectaire, le Puy de Dôme et le pneumatique démontable, le monstre à seize pattes est la fierté de l'Auvergnat, une appellation d'origine contrôlée, souvent imitée, rarement égalée. Si la paternité de ce surnom est incertaine, cette dénomination qualifiait le glorieux pack des années 70, défait par deux fois en finale du championnat (1970 contre La Voulte des frères Cambérabéro, 1978 contre le grand Béziers), et vainqueur du "Du Manoir" en 1976, quelques jours après la mort tragique de Jean-François Philiponeau. Inutile de préciser qu'à l'ASM, on a bien compris que la mêlée était la maison mère du rugby et qu'il était vain de construire une maison sans de solides fondations. De nos jours, les Domingo, Ric, Chaume, Jacquet, Lapandry et autres Hézard, formés au club, perpétuent la tradition, pour le plus grand bonheur des inconditionnels de ce chef d’œuvre en péril qu'est la mêlée fermée...

T comme Talent
Oui, du talent, en Auvergne, on en a plein ! Alors, c'est sûr, on n'aura jamais la caisse de résonance de la capitale, ni même d'une grande métropole provinciale, parce que, allez savoir pourquoi, Clermont-Ferrand, nichée dans son écrin de nature, a la réputation d'être une ville noire et industrielle, sans éclat et sans relief. Pourtant, le relief, ce n'est pas ce qui manque dans la région. Alors certes, les plus récentes constructions du centre ville sont toutes plus hideuses les unes que les autres (sauf, peut être, le siège social de Michelin, je vous l'accorde...), mais à Clermont, on ne met pas son talent dans l'architecture. Et lorsqu'un architecte arrive en ville, il réussit même le tour de force, par obsession de la symétrie, de défigurer notre belle cathédrale... Non, à Clermont, le talent, on le place, ENTRE AUTRES, dans la musique, le cinéma, les présidents de la République (Montboudif et Chamalières, ça vous dit quelque chose ?), le fromage, le pâté aux pommes de terre et la charcuterie, l'industrie pharmaceutique, les universités (30 000 étudiants), les brasseries parisiennes, les pneumatiques et les cartes routières, l'agroalimentaire, l'aéronautique, les lip dub, la fabrication de billets de banque, et, naturellement, dans le rugby, l'ASM étant le plus grand pourvoyeur d'internationaux parmi les clubs français pendant la dernière coupe du monde (avec 14 sélectionnés), sans parler du nombre d'entraîneurs professionnels passés par le club, dont le dernier sélectionneur en date du XV de France... Il fallait que ce soit dit, c'est dit !
Je termine en précisant que ce billet n'a pas été commandité par l'office du tourisme (de toutes façons, la montagne, c'est toujours mieux sans les touristes...).

La suite à la prochaine lettre !

De A à E.
De F à J
.
De K à O.

lundi 12 décembre 2011

Chasse aux Tigres - Premier Round

Ce fut une parodie de catch à laquelle nous avons assisté dimanche après midi dans l'ambiance surchauffée de la Michelin Arena. Le public, comme à son habitude, était au rendez-vous, confirmant au passage que la recrudescence bimensuelle des actes de violence et de vandalisme dans l’agglomération clermontoise n'a rien à voir avec la pleine lune, les cycles menstruels ou l'inhalation de vapeurs caoutchouteuses, mais correspond bien aux matches à l'extérieur de l'ASM qui privent le Jaunard de son exutoire hebdomadaire.
Les Tigres étaient arrivés avec beaucoup d'intention et la volonté de faire mal, au besoin en profitant des largesses de l'arbitrage. C'était sans compter sur la rigueur de l'homme en rose qui n'a pas toléré le moindre débordement, renforçant l'impression selon laquelle la WWE tente à tout prix d'éliminer les phases de combat qui risqueraient de choquer le grand public. On est loin des empoignades viriles et pas toujours franches des grandes années : la propreté du spectacle y gagne ce que la légende et le folklore y perdent. Mais reste-t-il de la place pour la légende lorsqu'il y a vingt caméras autour du ring épiant chaque fait et geste des acteurs ? La légende s'écrit toujours a posteriori, sur la foi de ceux qui y étaient et en recomposant les dires forcément parcellaires des uns et des autres, enjolivés au besoin. Aujourd'hui, l'analyse et la technique ont remplacé l'imagination et la rêverie. Les plus beaux mouvements, comme ceux du Stade Toulousain vendredi soir ou du Racing samedi, sont dévalués par l’œil obscène de l'objectif qui révèle, après coup, impartial et implacable, l'en-avant ou le départ hors jeu de Bobo... La controverse, les débats qui n'en finissaient plus pour savoir si Benazzi a bien aplati ont perdu leur part de romantisme. Avant, on avait des regrets, aujourd'hui, nous avons, au mieux des remords, au pire des scrupules. La place du doute, même, est réduite à la portion congrue. Et comme le dit si bien Nietzsche (non, Boucherie Ovalie n'est pas le seul site de rugby à citer Nietzsche), "ce n'est pas le doute, c'est la certitude qui rend fou." (Ecce Homo).
Mais revenons à nos tigres... Animés d'une envie d'affrontement et de contact à faire pâlir d'envie les adeptes les plus exaltés de l'ultra-violence, alignant une première ligne aussi physique que chambreuse qui ne tarda pas à se faire remarquer en cintrant le "Kayzer Ben" sur la première mêlée et en mettant au supplice Vincent "Le Belge" Debaty, qui suppléait au pied levé Lionel "The Beast" Faure, victime d'une rixe backstage, les Tigers s'en tenaient à un catch simple et efficace : foncer dans le tas, faire mal, foncer dans le tas, faire mal. En face, la sympathique amicale jaunarde, toujours très enjouée et en jambes, avait haussé le niveau d'intensité et il faut bien avouer que les faces Julien "Good Guy" Bonnaire et Alex "The Tube" Lapandry rivalisaient dans l'agressivité, tandis que Gerhard "The Vosloo Facts" Norris trouvait enfin à qui parler. On assista donc à des joutes intéressantes marquées par quelques Mountain Bombs, Back Body Drops ou Arm Drags, Dato "The Georgian Yeti" Zirak se blessant même grièvement sur une manchette moldave dans un accès de générosité.
Mais c'est sur un autre terrain que les Blellows (Blue & Yellow) construisirent leur victoire. Profitant de la faiblesse psychologique (et intellectuelle certainement...) de Alessana "Speed And Heaviness Do Not Do Everything" Tuilagi, membre de la célèbre fratrie de catcheurs (He's not heavy, He's my brother) de l'autre hémisphère (le droit, celui des instincts...) et de Georgie "Baby Face" Chuter, qui eurent toutefois le panache de tenter un superbe double Space Tornado Ogawa simultané sur Morgan "Ze Insupportable" Parra et Le Belge (pas Francis, l'autre). C'en était trop pour le très sensible M. Rolland qui décida de mettre le holà à une partie qui commençait à peine à s'échauffer. Il faut dire que Martin "The Bearded & Chitchatty Bulldog" Castrogiovanni, Nathan "The Tall & Vicious" Hines et Morgan "Tête à Claques" Parra avaient, chacun dans leur style, instillé ce qu'il fallait de venin pour que la partie prenne un tour plus conforme à ce que l'on est en droit d'attendre d'un challenge automnal... Les deux entraîneurs tentaient le tout pour le tout pour sauver le spectacle en faisant rentrer Jamie "The Butcher Lumberjack (and he's okay)" Cudmore et Tommie "The Forgotten / He-Panzer" Waldrom, en vain...
Les Tigers ne pouvaient que plier et, malgré une belle résistance, se firent imposer la prise de finition par le jeune face Wesley "All I Do Is Perfect" Fofana. Il s'en fallut même de peu pour que le KO survienne, mais une dernière maladresse de Sitiveni "Faut Qu'j'arrête La Truffade, Je Peux Plus Courir" Sivivatu mettait fin aux espoirs des Jaunes.
La revanche a lieu dans une semaine : nul doute que les catcheurs d'Outre Manche auront à cœur de prouver qu'ils valent mieux que cette insipide copie. Reste à savoir si le squad montferrandais, décimé par les blessures, saura relever le gant...

jeudi 8 décembre 2011

En jaune et bleu, j'exilerai ma peur

A la suite du petit incident de l'autre fois, Jean-Marc et René m'ont obligé à participer à une séance de thérapie de groupe. Je me suis donc retrouvé, un soir, dans un local non loin de l'usine de Ladoux, avec des membres de l'amicale des supporters anonymes. Nous étions une dizaine, assis en cercle. Le thérapeute a pris la parole en me désignant :
- Aujourd'hui, je vous demande d'accueillir un nouvel arrivant. Comment vous-appellez-tu ?
- Je m'appelle Vern.
Tous reprirent en coeur :
- Bonjour Vern.
Le thérapeute dit :
- Pour mettre Vern à l'aise, je vous propose que plusieurs d'entre vous racontent leur expérience, avant que nous lui donnions la parole.
Après un silence, un homme d'âge moyen au physique ordinaire prit la parole.
- Je m'appelle ***, j'ai 35 ans. Je suis ce qu'on peut appeler un "supporter addictif". Je ne vis que pour et par l'ASM. Le matin, lorsque je me lève, mon premier réflexe est de me connecter sur le site officiel du club, puis sur cybervulcans.net...
Il fit une pause et réprima un sanglot avant de poursuivre :
- ... puis sur Rugbyrama...
Un mouvement de désapprobation parcourut l'assemblée. J'entendis à côté de moi une femme chuchoter :
- Quelle horreur !
Le thérapeute tenta de pacifier l'atmosphère :
- Allons, allons ! Laissez-le terminer.
- Chez moi, tout est jaune... ou bleu. Les murs, la vaisselle, les meubles. Même ma carte de crédit est à l'emblème de l'ASM. Enfin, était... Comme je me rendais chaque jour au stade pour rencontrer les joueurs, assister aux entraînements, j'ai perdu mon travail. Ma femme m'a quitté et est partie s'installer en Corrèze...
Un second murmure de stupéfaction emplit la salle. L'homme fondit en larmes.
- Merci beaucoup, ***, de ce témoignage très émouvant, reprit le thérapeute. Qui souhaite témoigner à son tour ?
Une jeune femme leva timidement la main.
- Je m'appelle ***. Je suis tombée amoureuse de Brock James à son arrivée au club.
J'eus un réflexe instinctif de jalousie, mais je me contins. Je l'écoutais attentivement, elle parlait d'un air exalté :
- J'ai compris qu'il était l'homme de ma vie lorsque je l'ai vu taper son premier coup de pied de renvoi au Michelin. C'était beau comme la rencontre sur une table à opium d'un aspirateur et d'une soupière.
Je conviens que le beau est toujours bizarre, mais là, tout de même... A côté de moi, le femme grogna :
- Mais c'est indécent !
La jeune femme continua cependant :
- Et le jour où j'ai appris qu'il se mariait, je suis tombée dans une profonde dépression. Par désespoir, j'ai tenté de me suicider en regardant l'intégrale des tentatives de pénalités de Gérald Merceron pendant sa dernière année à l'ASM...
L'assistance eut de nouveau un mouvement de dégoût collectif. La femme à mes côtés eut un haut le cœur. Quant à moi, je comprenais totalement le désarroi de cette personne. J'avais vécu le même déchirement...
Certainement encouragé par ce qu'il venait d'entendre, un troisième individu raconta son histoire :
- Je m'appelle Olivier, j'ai 38 ans. Je suis un ancien international de rugby à XV, l'un des plus doués de sa génération, mais je n'ai pas été invité au centenaire du club, alors que j'ai perdu toutes les finales auxquelles j'ai participé...
Un nouveau murmure se fit entendre. A côté de moi, la femme soupira bruyamment.
Un quatrième intervenant prit alors la parole. Il était très âgé, mais au-delà de son apparence physique, il semblait totalement désabusé, comme revenu de tout :
- J'ai 91 ans. J'ai assisté à toutes les finales de l'ASM depuis 1936. Sauf une. La bonne. Ce soir-là, j'ai voulu faire plaisir à ma femme qui supporte le Clermont Foot en l'emmenant au restaurant - le 29 mai, c'est son anniversaire. En rentrant, elle a été renversée par un supporter ivre...
Et la femme à mes côtés de lâcher :
- Imbécile !
Enfin, un homme d'âge moyen et à l'apparence moyenne se décida à parler, la tête entre les mains, les yeux rivés sur ses pieds :
- Je me prends pour Vern Cotter. J'écris un blog sous le nom ridicule de Vern Dublogue.
Je me retins d'aller lui coller un beigne. Même s'il le méritait, je me dis qu'il n'en valait pas la peine. Les autres le regardaient avec mépris et commisération. La femme à côté de moi susurra sans desserrer les dents :
- Il y en a qui n'ont vraiment que ça à foutre...
Dans la foulée, le thérapeute demanda au groupe de remercier les cinq courageux et s'adressa à moi :
- Alors, Vern, dites-nous la raison de votre présence ici.
- Eh bien... J'aurais pu devenir entraîneur des All Blacks mais finalement je vais rester à l'ASM parce que Roro n'a pas appuyé assez fort en finale de la coupe du monde...
Je voyais la consternation autour de moi. La femme à mes côtés se terrait dans un mutisme impénétrable. Même le thérapeute ne savait pas quoi dire. Le silence devenait de plus en plus lourd jusqu'à ce que le maître de cérémonie reprenne le fil du match :
- Et vous Madame, racontez-nous votre histoire - il s'adressait à la femme à mes côtés.
Celle-ci parut particulièrement gênée, toussa et finit par déclarer :
- J'étais supportrice inconditionnelle de l'ASM. Fin 2006, j'en ai eu marre, je n'en pouvais plus et j'ai décidé de soutenir le Biarritz Olympique...

mardi 6 décembre 2011

L'ASM en 26 lettres (3)

K comme Kiole
Seti Kiole. Fred Weber. Brendan Reidy... Quelques noms parmi tant d'autres. Depuis les années 60, Clermont-Ferrand est une terre d'accueil pour les rugbymen venus d'autres contrées de l'Ovalie. L'ASM compte, pour la saison 2011-2012, dix-neuf "étrangers" dans son effectif professionnel, soit une proportion de 44%. Parmi eux, nombreux sont ceux qui sont des pièces maîtresses de l'équipe qui est parvenue à conquérir le bouclier en 2010. Ces exilés, parfois originaires d'endroits où l'Auvergne doit représenter une forme absolue d'exotisme et d'étrangeté, méritent donc un petit hommage. Mais cette internationalisation massive est récente. Pour mémoire, les groupes (double) finalistes de 1994 et 1999 ne comportent que des joueurs français et ils étaient seulement 8 "étrangers" en 2001.

L comme Lauaki
Il est arrivé comme un OVNI, lancé comme un cheval furieux dans les défenses, incarnant l'improbable synthèse de la puissance et de l'agilité. Il s'est mis à faire des chisteras, des raffuts, des gri-gri, des passes après contact, qui finissaient, la plupart du temps, au mieux dans les chaussettes de ses coéquipiers, au pire dans les mains de l'adversaire. Et puis on s'est habitué à ce joueur imprévisible, injouable, alternant le pire et le meilleur. On guettait avec gourmandise, à chaque match, ce geste incroyable qui ferait la différence, ce petit moment de grâce et d'élégance. Sione Lauaki, météorite à la trajectoire stochastique dans la constellation bien tranquille de l'ASM, n'est resté qu'une année en Auvergne, et il faut bien reconnaître qu'il n'était certainement pas fait pour vivre à Clermont-Ferrand. Mais il demeurera, à n'en pas douter, dans les souvenirs des amateurs parmi ces joueurs d'exception, qui, en une fulgurance, font penser que si le rugby n'était pas devenu un sport sérieux, on aurait pu bâtir des équipes autour de ce genre de mecs, rien que pour le plaisir de les regarder étaler toute leur classe sur un terrain, sans aucun égard pour l'efficacité et sans autre ambition que l'esthétique et la beauté du geste ...

M comme Montferrand
Bien qu'uni à la ville de Clermont, sa rivale de toujours, depuis 1630, le quartier de Montferrand n'en conserve pas moins une véritable identité. Notons au passage que l'ASM n'est devenue officiellement "Clermont Auvergne" qu'en 2004, alors qu'elle portait les espoirs de toute une agglomération et de toute une région depuis bien longtemps... Aujourd'hui encore, on entend souvent quelques conservateurs parler de "Montferrand" pour désigner le club. Montferrand, justement, doit cette postérité à un célèbre manufacturier de pneumatiques et à une loi fédérale anti-publicitaire de 1922. "Désirant conserver les initiales du club, nous avons adopté le nom de la vieille et illustre cité parce que beaucoup de nos sociétaires y résident et parce que, sur son territoire, se trouvent nos terrains de jeux." déclarait alors Marcel Michelin (cité par Robert Boisson et Christophe Buron, ASM Le cœur rugby, Gérard Tisserand, 2002). Et de fait, l'AS Michelin n'est pas tout à fait morte dans l'imaginaire collectif, d'autant que l'industriel demeure le sponsor principal du club avec environ 10% du budget et que ses deux dirigeants les plus emblématiques (Jean-Marc Lhermet et René Fontès) sont d'anciens "Bibs".

N comme Nostalgie
Il était un temps, pas si lointain, où la tribune Auvergne s'appelait "populaire", où la tribune "Philiponeau" et "l'Espace Edouard" n'étaient que des gradins, derrière lesquels, depuis la pelouse, on pouvait apercevoir les maisons du quartiers ou les Hauts de Chanturgue, où l'on pouvait assister gratuitement aux matches depuis le "pesage". Là où aujourd'hui se trouvent des "salons" et les "first", des supporters torses nus agitaient des drapeaux et actionnaient des cornes de brume, sans respect aucun pour le buteur adverse. De l'autre côté du terrain, les gradins étaient la plupart du temps vides. Lors des dégagements en touche côté "populaire", il n'était pas rare que le ballon tombe derrière la tribune, après avoir rebondi sur le toit, dans un fracas de tôle qui ne faisait pas très riche. Ce que devenaient ces ballons, on ne le savait pas. On s'imaginait bien qu'il y avait un préposé au ramassage, qui avait le privilège paradoxal de recevoir des offrandes d'Eric Nicol, de Franck Mesnel ou de Christophe Deylaud, sans jamais savoir qui en était à l'origine. C'était l'époque des Verdy, Gaby ou Prégermain, celle des "employés de mairie" ou des "cadres chez Michelin", une époque où ça avoinait en toute impunité dans les regroupements, sans l'oeil inquisiteur de l'omnisciente caméra. C'était l'époque où le Racing avait un vrai sens de l'humour. C'était l'époque où Aire sur Adour venait chercher quatre-vingts points à chaque déplacement en Auvergne : on en avait pour son argent. Et lorsque La Rochelle récoltait à son tour ses soixante pions syndicaux, on en profitait pour se foutre de la gueule de Salviac, le soir, après les "panneaux" sur fond rouge, à Stade 2, présenté par Robert Chapatte. Le stade était moche, pour sûr, un peu à l'image de la ville, mais on pouvait arriver cinq minutes après le coup d'envoi, à la sortie du repas du dimanche, on trouvait toujours de la place... Et puis il y avait le "Du Manoir" où l'on allait traîner son ennui d'étudiant, les soirs de lose, dans la tristesse et la froideur de l'hiver auvergnat...

O comme Ô Toulouse
Dans la psyché auvergnate, il existe une bête terrifiante frappée du sceau de la malédiction. Cette bestiole, autant redoutée que respectée, s'appelle le Stade Toulousain. Sur les sept dernières dernières finales de l'ASM, quatre ont été perdues contre Toulouse, et, à chaque fois que le Stade a été écarté en demie, l'ASM a perdu sa finale. Les grandes années, celles où l'on va gagner au Stadium pendant la saison régulière (2008 et 2001 par exemple), se terminent d'ailleurs souvent mal (il est vrai que 2010 fait exception, mais il faut noter que, cette année-là, l'USAP a eu le bon goût d'écarter l'obstacle en demie)... Ceci est d'autant plus étonnant que Vern Cotter, depuis son arrivée en Auvergne, détient le meilleur ratio de victoires de tous les entraîneurs du Top 14 contre son pire ami, Maître Guy (60% de victoires depuis 2006, et encore, si l'on s'arrêtait à la fin de la saison 2009-2010, on atteindrait les 72% !). Toulouse reste cependant intouchable : budget de 25% supérieur, palmarès inégalable dans les conditions actuelles de concurrence, structuration et esprit de compétition exemplaires, qualité de jeu exceptionnelle. Le Stade demeure donc la cible et la référence, l'ennemi et l'exemple. L'ASM, qui semble bien partie sur la même voie, parviendra-t-elle a tracer sa route dans l'ombre du géant ?

La suite à la prochaine lettre !

De A à E.
De F à J
.

dimanche 4 décembre 2011

Du Super XV au Top 14...

L'ASM - CO de samedi a été emblématique du top 14. Pour les habitués, ce match tactique, joué sur un faux rythme et l'air de "fantasia pour rucks, chandelles et mêlées", n'a pas été particulièrement marquant. Pour d'autres, plus accoutumés aux envolées lyriques de l'hémisphère sud arbitrées par des borgnes, la transition a été plus délicate. Tel fut le cas pour Sitiveni Sivivatu... Flash back ou l'apprentissage du french rugby en 13 leçons.

2' : après un coup d'envoi foiré et deux mêlées, la balle arrive à l'aile petit côté. Habitué à recevoir des offrandes de Conrad Smith ou de Ma'a Nonu, Sivivatu, pas dans le timing, fait un en avant.
9' : après quelques temps de jeu typiques top 14 (turn over, chandelles, pénalités, en-avant, grosses séquences défensives, arbitrage litigieux...), Siv' s'ennuie sur son aile gauche. Il vient faire un tour à droite pour voir ce qu'il s'y passe. Intercalé, il poursuit au pied. Touche à 5 mètres, qui donne une bonne vieille séquence de pick and go.
10' : à la suite de l'action, le jeu est arrêté pour saignement. Lacrampe se plaint d'avoir été mordu au doigt...
15' : essai de Toulousains après rapine de Julien Pierre dans un ballon porté. Sitiveni n'a rien vu venir...
29' : Sivi' s'ennuie ferme. Le ballon lui échoit. Profitant de l'aubaine, il tente une relance depuis le parking. Lee Byrne et les avants sauvent la maison.
32' : heureux de recevoir le ballon une seconde fois en moins de 5 minutes, Sitiveni éructe de joie et envoie la gonfle en l'air depuis la touche dans un geste de contentement. Lee Byrne en reprend pour son grade. Pénalité pour Castres dans nos 22...
34' : belle relance de Byrne. Siv' est à hauteur à gauche. Trop Super XV, pas assez top 14. Tout droit, ruck et pénalité pour l'ASM dans la foulée. Pourquoi prendre des risques à se faire des passes ?
40' : mi-temps. Siv' vient me voir dans les vestiaires. Il me dit qu'il commence à comprendre comment ça marche...
47' : effectivement, il semble s'être mis au diapason, au moins celui de Vosloo et Bardy en tout cas : énorme plaquage offensif sur une attaque castraise, entraînant une récupération de balle.
50' : Ca y est, il a compris. Festival dans la moitié de terrain du CO. A n'en pas douter, l'essai qui s'en suit n'aurait pas été refusé si la vidéo n'avait pas existé et si l'arbitre de touche avait osé prendre ses responsabilités.
55' : après six mêlées à cinq mètres de l'en-but, Hines marque en force après qu'Elvis a pris en stop le n°9 castrais sur son dos. Si ça, ce n'est pas un pied de nez du Top 14 au Super XV : plutôt que d'accorder un essai après une belle action, on a préféré engendrer de longues et laborieuses minutes répétitives devant la ligne, pour un résultat identique...
71' : Parra intercepte et marque, après un contrôle de footballer, un essai à 0 passe. Cruel mais juste. Siv' continue d'apprendre les rigueurs de notre championnat...
77' : bonus offensif en poche, l'ASM continue de faire le jeu. Évidemment, Baï intercepte une passe hasardeuse de Rado pour King et annihile tout le bénéfice d'un match parfaitement construit en un raid solitaire à 0 passe. Siv' continue d'apprendre les rigueurs de notre championnat...
80' : le CO continue à jouer même s'il a tout à perdre à le faire... What on earth those frenchies are doing ? L'arbitre siffle la fin du match après un cafouillage. Fin de la leçon.

mercredi 30 novembre 2011

Une journée particulière

01h00 (du matin) : je me lève. J'allume la télévision par satellite. Il est 12h00 en Nouvelle-Zélande. Je regarde les informations sportives de la mi-journée pour prendre connaissance des rumeurs au sujet du futur sélectionneur des All Blacks.
07h00 (du matin) : je me (re)lève. J'allume la télévision par satellite. Il est 18h00 en Nouvelle-Zélande. Je regarde les informations sportives de la fin d'après-midi pour prendre connaissance des rumeurs au sujet du futur sélectionneur des All Blacks
07h30 : coup de fil à la NZRU. La secrétaire filtre mes appels. Note pour plus tard : penser à choisir l'option : "numéro caché".
08h00 : j'arrive au stade. Je consulte mes mails. Rien en ".nz". Je consulte mon courrier indésirable. Un mail des ravisseurs somaliens de John Senio qui demandent une rançon de 200 000 $. 270 spam à la suite d'un hoax d'Olivier Magne qui cherche à se venger en faisant croire que l'ASM distribue des abonnements gratuits à ceux qui forwardent dix mails vers l'adresse du club.
08h02 : je décroche mon téléphone. La tonalité fonctionne.
08h03 : je vérifie que mon portable a du réseau.
08h07 : j'actualise ma boîte de réception.
08h09 : j'appelle les "dérangements" pour vérifier que les câbles sous marins entre l'Europe et la Nouvelle Zélande n'ont pas été endommagés par une éruption volcanique.
09h05 : j'actualise ma boîte de réception. Je reçois une blague de Jean-Marc. Jean-Pierre m'invite au cent cinquantième anniversaire du club. Il me demande de répondre avant 2050.
09h14 : je fais le point avec le tueur à gages que j'ai engagé pour éliminer Steve Hansen.
09h22 : je rédige la compo de l'équipe du week end prochain.
09h40 : décrochage téléphone. Tonalité. Vérification portable. Envoyer - recevoir. Appel "dérangements" : check list OK. Il est 20h40 en Nouvelle Zélande. Toujours rien aux infos.
10h05 : je mets un sac en plastique sur le combiné du téléphone et j'appelle La Montagne, rubrique "Sports". Je prends l'accent d'Auckland :
- Allo ? Allo ? Vern Cotter ? Ici John Key. Yes ! Prime Minister. New Zealand needs you. J'ai parlé de vous au président de la NZRU. C'est en bonne voie. Comment ? Faux numéro ? Désolé.
Je raccroche et me connecte au fil info de "La Montagne".
10h34 : la rumeur prend. La Montagne sort l'info.
10h34 et 30s : Jacques Delmas m'appelle pour me demander à quelle date je libère le poste.
10h35 : décrochage téléphone. Tonalité. Vérification portable. Envoyer - recevoir. Appel "dérangements" : toujours rien (enfin si : la huitième blague de la journée de Jean-Marc...).
10h36 : Simon Mannix m'appelle pour me demander à quelle date je libère le poste. Je perds l'audition du côté du combiné.
10h37 : René propose de doubler mon salaire si je décide de rester.
10h40 : j'appelle le sorcier vaudou à qui j'ai demandé de marabouter Steve Hansen.
10h47 : j'appelle l'oyabun des yakuza de Tokyo et je mets un contrat sur la tête de John Kirwan.
11h00 : je fais un tour à l'entraînement. Je demande à Richie McCaw ce qu'il fait là alors qu'il est blessé. Brad Thorn me répond que c'est Julien Bardy. Je réplique :
- Impossible, Brad, il est Portugais !
Brad a l'air surpris et dit :
- Non mais moi c'est Nathan.
Comme tout le monde se fout de ma gueule, je remonte dans mon bureau.
11h10 : j'actualise ma boîte de réception. Un nouveau message dans courrier indésirable ! Les ravisseurs de John Senio proposent 5 000 $.
11h18 : Phil Greening m'appelle. Il se plaint d'avoir été agressé par Jacques Rougerie.
11h30 : Jean-Marc entre dans mon bureau avec la compo. Il me dit :
- Vern, c'est quoi cette première ligne Woodcock - Mealamu - Francks ?
11h31 : René propose de quintupler mon salaire si je décide de rester.
12h00 : j'appelle l'ambassade. Aucune catastrophe naturelle n'a ravagé le pays. Je ne comprends pas : toutes les télécommunications fonctionnent là-bas.
12h30 : je déjeune avec Regan King et Kevin Senio. Tout d'un coup, je respire mieux.
13h30 : le mieux ne dure pas. Je fais une crise d'angoisse en apprenant qu'il n'y a aucune lettre pour moi au courrier postal. Le médecin du club me fait visionner France - Nouvelle Zélande 1987 pour me calmer.
15h00 : Check list. Courrier indésirable : les ravisseurs de John Senio proposent de payer pour qu'on le reprenne.
15h01 : René me propose d'entrer dans le capital de Michelin si je décide de rester.
15h05 : Henry Tuilagi m'appelle. Il se plaint d'avoir été attaqué par Jacques Rougerie.
15h08 : décrochage téléphone. Tonalité. Vérification portable. Envoyer - recevoir. Appel "dérangements" : toujours rien.
15h15 : Jean-Marc me dit qu'il vient d'organiser une conférence de presse pour démentir les rumeurs de mon départ. Il me donne le papier que j'aurai à lire.
15h16 : René propose de me céder le stade Marcel Michelin si je décide de rester.
16h00 : Conférence de presse. "Je suis Clermontois ! Je ne me fais aucune illusion, Steve Hansen a une bonne longueur d'avance. Cela fait 8 ans qu'il travaille avec l'équipe et il ne devrait pas y avoir de surprises".
16h18 : je rappelle les yakuza. Ça traîne tout ça !
16h20 : je rappelle le tueur à gages. Ça traîne tout ça !
16h22 : je rappelle le sorcier vaudou. Ça traîne tout ça !
16h24 : ma souris explose.
16h26 : la touche F5 de mon clavier est inutilisable.
16h28 : l'administrateur réseau envoie un mail pour prévenir que le club fait l'objet d'une attaque en déni de service sur son serveur de messagerie.
16h30 : mon écran implose.
16h32 : mon portable s'éteint définitivement.
16h34 : le téléphone sonne !
16h35 : c'était Jean-Pierre Romeu qui vérifiait que j'avais bien reçu l'invitation.
16h37 : le maire de Clermont me propose de se désister en ma faveur si je décide de rester.
17h00 : je quitte le stade.
18h00 : j'arrive chez moi. J'allume la télévision par satellite. Il est 05h00 du matin en Nouvelle Zélande. Je regarde Good Morning Auckland. Il paraît qu'il y a un sujet sur le futur entraîneur des Blacks...

L'ASM en 26 lettres (2)

F comme Fight
A Clermont, on aime bien le fight. On pourra toujours nous dire qu'à côté des Vincent Moscato, Alain Carminati ou Marc Cecillon, l'ASM, avec ses Cudmore, Privat ou Ménieu, pour ne citer que les plus récents, est encore loin des sommets, il est rare, cependant, que l'on s'enlève dans les regroupements en Auvergne. Et ce n'est pas un certain Olivier Mallaret, qui fut le premier challenger de Moscato, non pas sur un ring, mais sur une pelouse au cours d'un corps à corps épique qui s'est longtemps poursuivi alors que le ballon avait eu le temps de parcourir une bonne soixantaine de mètres à l'autre bout du terrain, et à côté duquel le face à face Cudmore - O'Connell à Limerick en 2008 fait figure de je-te-tiens-tu-me-tiens-par-la-barbichette, qui démentira. Et puis n'est-ce pas le grand Bernard "Dada" Chevallier qui a déclaré : "Un coup de poing, c'est pas salaud, c'est nerveux" ?

G comme Gaétan Hery
"J’ai posé la balle, regardé rapidement où étaient les poteaux et j’ai tapé aussi fort que possible." C'est ainsi que L'ASM, dans l'élite depuis 1925, a sauvé sa tête le 16 avril 1995, dans un match de la tristement célèbre "Coupe Dédé Moga" (élégante traduction française de "play down"), contre le SBUC de Bernard Laporte, à l'issue d'un match dont seul le rugby est capable de nous gratifier (un arrière-goût de ce que cela à dû être ici). L'ASM doit certainement à Gaétan Héry, auteur du coup de pied de la gagne, qui entraîne aujourd'hui les Réchappés, un bout de son bouclier de Brennus, car sans lui, nul ne sait ce qu'il serait advenu du club après une rétrogradation en division inférieure dès les débuts du professionnalisme...

H comme HCUP
La HCUP est une belle femme qui semble chaque saison (du moins depuis que Vern est là...) promise à l'ASM mais qu'un plus beau parti (en général irlandais) nous ravit invariablement. Le système est tel que, les mauvais résultats entraînants des poules compliquées et réciproquement, le speed dating se termine souvent avant la fin du premier tour... Toutefois, la coupe aux grandes oreilles (et à la gueule de pilier) permet chaque année aux supporters de l'ASM (et d'un autre club qui, après avoir terrassé la bête, va souvent au bout) de profiter au Michelin de l'un des plus beaux matches de l'année et de trouver un prétexte pour aller picoler loin de Maman en Irlande...

I comme Image
L'image de l'ASM est très particulière dans le monde de l'ovalie. Si la structuration, la politique d'investissement à long terme, les résultats du centre de formation et la régularité suscitent l'admiration, le club souffre indéniablement d'un déficit d'image, en comparaison d'autres écuries du top 14 qui n'ont pourtant pas la même constance au plus haut niveau mais dont les avanies remplissent régulièrement les colonnes des gazettes. A l'ASM, il ne se passe jamais rien. Pas de caprices de star. Pas de transferts pharaoniques. Il faut dire qu'à l'ASM, il n'y a pas de star. Non que l'on ne pourrait s'en payer, ni qu'aucun joueur ne pourrait accéder à ce statut. Non, ce n'est tout simplement pas dans l'ADN du club. De même, les intrigues y sont peut être moins passionnées, et surtout plus dissimulées qu'ailleurs. Le pire ennemi du club, c'est Olivier Magne, c'est dire... Pas de déclarations fracassantes du président, et lorsque le manager ose faire une sortie un peu provocante, les ténors de la réaction à l'emporte pièce le mouchent aussitôt. D'ailleurs, comment voulez-vous qu'un club aussi sérieux, à l'électroencéphalogramme médiatique d'une vache Salers, porte drapeau d'une ville aussi people que Davit Zirakachvili et aussi humble et discret dans la victoire que dans la défaite puisse intéresser quelqu'un désireux que faire de l'audience sur du spectaculaire à bon compte ?..

J comme Joueur issu de la formation française
La formation est l'une des marques de fabrique du club, en fait depuis 1995, date des débuts de ce qui ne s'appelait pas encore "centre de formation". Sous la houlette de Alain Gaillard et de Jean-Marc Lhermet, puis de Bertrand Rioux, elle a donné des résultats exceptionnels (Domingo, Buttin...), mais aussi certainement d'autres joueurs moins talentueux qu'on ne connaît pas, justement parce qu'ils sont moins talentueux, ou dont on ne veut pas se rappeler parce qu'ils sont partis jouer ailleurs. Pourtant, les "joueurs issus du centre de formation" sont, par essence, extraordinaires, car, avec leur tatouage de l'ASM au fer rouge sur le front, ils sont les cache-sexe modernes du professionalisme qui permettent d'avoir l'illusion qu'un rugby du terroir existe encore. Et qu'importe qu'ils viennent de Dunkerque ou des Fidji... Quant à ceux qui ne sortent pas des centres de formation, on se doute bien qu'ils ont appris la passe sur un pas quelque part, mais où ? Sont-ils les produits d'une autogénèse, d'une formation spontanée ? Ont-ils appris le rugby sur le tas, jouaient-ils sur un terrain vague de la banlieue parisienne, préférentiellement du côté de Massy, lorsqu'ils ont été repérés par la BAC qui leur a dit : "Le rugby ou la prison ?" Ont-ils vu Pascal Papé leur apparaître dans une grotte et leur dire, leur montrant un ballon : "Tolle, Lude !" ? En définitive, ces joueurs-là seront peut être les derniers à avoir été éduqués plutôt que formés...

La suite à la prochaine lettre !

De A à E ici.

mardi 29 novembre 2011

La photo du jour : Nuit du rugby

Et le Marius d'Or est attribué à Thierry Dusautoir pour sa tentative manquée d'imitation de Fabien Galthié...

lundi 28 novembre 2011

Solstice d'automne (2)

La nuit dernière, s'est déroulée la huitième nuit de la cruaut... du rugby. Cette année, c'est moi qui ai supplié René de ne pas y aller. On n'a rien a y gagner, sinon des coups bas et la moquerie de nos adversaires.
Ça a très mal commencé : lorsque j'ai vu le menu, j'ai interdit aux joueurs de toucher à leur assiette. On n'allait pas gâcher le régime de cosmonaute que je leur impose depuis cinq ans en une soirée. De toute façon, je ne sais même pas ce que ça veut dire "Paleron de Boeuf". M'étonnerait pas qu'il y ait du clambutérol là-dedans. Ensuite, le dessert était une véritable provocation pour Morgan : Mont-Blanc aux Châtaignes « Souvenir de Nouvelle-Zélande ». Bref, j'étais très énervé avant même que cela ne commence.
René était plutôt content. Le pavillon d'Armenonville lui rappelait le pavillon Gabriel et il l'a encore ramené sur Eygalières et Michel Drucker. Jusqu'au moment où on a croisé Olivier Magne. Celui-ci a pris l'expression de Missoup lorsqu'il rencontre Remy Martin en soirée et a délicatement et leeeeeeeentement fait glisser son pouce en travers de sa gorge. René s'est réfugié entre Julien Pierre et Roro, n'a plus levé les yeux de son assiette de la soirée et a refusé que ses deux gardes du corps le quittent, même pour aller aux toilettes...
Après, le long calvaire s'est poursuivi. Ce genre de soirée me rappelle les mariages : tous les célibataires espèrent "pécho", mais finissent bourrés. Tout le monde aimerait être assis à une autre table et s'emmerde cordialement, en espérant que le prochain spectacle soit moins nul que le précédent. Alors ça se baguenaude d'un groupe à l'autre en serrant des paluches et en prenant des photos avec son téléphone ou en envoyant des textos. Ça occupe et ça évite d'avoir à entretenir une conversation dont on se fout avec son voisin de table qui doit être le technico-commercial en chef d'un des partenaires de la soirée et qui se fait des souvenirs pour une décennie...
La remise des prix a été nominale : on a tout paumé, comme d'habitude, sauf les Marius, où Jubon a été distingué pour son unique faiblesse de la World Cup. Même notre essai du bout du monde, le seul truc qu'on a fait à peu près correctement l'année dernière est passé à l'as... Et j'ai failli rendre tout mon quatre heures lorsque le demi d'ouverture remplaçant du XV de France a été élu meilleur joueur. J'avais déjà eu un hoquet lorsque j'avais entendu les noms des sélectionnés...
Masoe, Boutati, Vosloo, Chavancy, Ouedraogo, Bonnaire, Tekori, Servat, Dupuy, Lauaki, Gorgodze, Wilko, Papé, Harinordoquy, Qovu, Clerc... On a bien pensé à vous les gars...

Nota : Pour revivre mon précédent épisode de VDM, ici.

L'ASM en 26 lettres

Pour bien écrire (sur) l'ASM, il faut un lexique.



A comme Association
Au départ et jusqu'à aujourd'hui, l'ASM est un club omnisports, dont l'un des objectifs est "d'encourager pour tous les âges la pratique la plus large et la plus longue possible" (Marcel Michelin). Les sections sont nombreuses, mettant à l'honneur sports individuels (tennis, natation...), collectifs (basket, football) et de combat (boxe, judo...). Signalons au passage que l'ASM figure parmi les plus grands clubs de lutte en France, avec un âge d'or qui débute dès la création de la section en 1920 et se poursuit jusqu'au début des années 80 (période pendant laquelle une moisson de plusieurs dizaines (!) de titres de champions de France seniors est récoltée...). Et remarquons que si nous étions Géorgiens, Tchétchènes ou Arméniens, on ne nous bassinerait pas à longueurs de saisons avec les dix finales perdues de la section rugby et le bi-hebdomadaire de référence, "Centre Olympique, le journal de la lutte", aurait son siège à Clermont-Ferrand...

B comme Bourgeois
Selon les déclarations d'un dénommé Mourad B., de Toulon, l'ASM est un "club bourgeois". Pour Flaubert, est "bourgeois quiconque pense bassement" (rapporté par Guy de Maupassant, La Revue Bleue, 19-26 janvier 1884). Pour Émile Zola, la bourgeoisie est "l'acte d'accusation le plus violent que l'on peut faire contre la société française" (citation). Quant au "Grand Jacques", il n'en pense pas moins. Bref, on s'aperçoit que le bourgeois n'est pas à la mode. Ça tombe bien, parce qu'à Clermont, la mode, on s'en fout (il suffit d'aller à la boutique pour s'en rendre compte)... Rappelons cependant que sous l'ancien régime, les bourgeois jouissaient de droits civils et politiques, en tant qu'habitants d'une ville affranchie de la justice féodale. La bourgeoisie, qui fut en grande partie à l'origine des Lumières et de la Révolution française, peut donc compter légitimement parmi les précurseurs du citoyen de nos sociétés démocratiques. Enfin, la famille Michelin, bourgeoise s'il en est, n'est pas sans incarner l'identité humble, discrète, laborieuse mais riche de talent (et riche tout court), dont les Auvergnats peuvent être fiers.

C comme Cette année c'est la bonne !
Combien de fois n'a-t-on entendu cette antienne dans les travées du Michelin, dans les comptes rendus élogieux des journalistes ou au bar des supporters ? Si bien que l'expression la plus juste aurait du être "Ce mois-ci, c'est le bon", voire "Ce match-ci, c'est le bon", tant les promesses du dimanche précédent contrastaient avec le marasme du dimanche suivant. L'ASM fut longtemps la meilleure équipe de tous les temps a n'avoir jamais gagné un championnat. Et encore aujourd'hui, l'Auvergnat, qui s'y connaît en élevage de bovidés, et qui, de ce fait, est par nature pessimiste et méfiant, a toujours des doutes, alors que le club n'a jamais semblé aussi fort, sur sa capacité à enchaîner les résultats au plus haut niveau...
Nota : on aurait pu avoir "C comme Cotter", mais à bien y penser, pour les explications, ce qui est écrit ci-dessus marche encore...

D comme Derby
On ne sait pas trop pourquoi, mais les Clermontois n'aiment pas les Brivistes, à moins que ce ne soient les Brivistes qui n'aiment pas les Clermontois. En résulte une rivalité bon-enfant entre les supporters des deux équipes phares du Massif Central, qui tient certainement plus au besoin atavique de se trouver un ennemi proche pour s'assurer de sa virilité que d'une réelle concurrence. En effet, la Corrèze (c'est où, ça, la Corrèze ?), n'a rien à voir avec l'Auvergne, l'histoire récente des rencontres entre les deux clubs est pour le moins apaisée, les joueurs passent d'une équipe à l'autre sans soulever la vindicte de la tribune Auvergne, qui n'hésite d'ailleurs pas à reprendre l'hymne du CAB... De nos jours, notre seul vrai derby, en définitive, c'est le match contre l'USAP, dans lequel le rugby sort, il faut le reconnaître, rarement vainqueur (argument massue prouvant que c'est bien un derby)...

Addendum :
Un certain "Aurillacois Masqué" me fait justement remarquer que le derby, dans le Massif Central, est une pratique trioliste, je cite :
"Hé oui car il s'agit bien d'un derby à trois équipes, sûrement le seul. La troisième équipe ne joue plus en Top 14 depuis... Elle s'entend plutôt bien avec l'ASM, et fait front avec elle face à l'adversité Limousine. Elle fournit volontiers et régulièrement, joueurs voire entraineur. Les Brivistes EUX, viennent kidnapper des joueurs presque innocents, des traitres aussi.
Cette équipe, fit il y a quelque temps déjà, une nouvelle apparition "en 1ère division" (dixit les vieux sages du pays assis dans la tribune populaire). Mais cette année là elle fut (tenez-vous bien) Championne du monde de France d'Auvergne et du Limousin. Cette équipe vous l'aurez deviné est le Stade... (le seul l'unique) Aurillacois.
Ces matches Brive - Aurillac, étaient très souvent ponctués par un rite, qui consistait à s'offrir les fruits d'un arbre que l'on trouve dans une région du Cantal : la Châtaigneraie. Cette région est, comme par hasard, limitrophe de la Corrèze. Tandis que les supporters, eux, comparaient les qualités respectives de leur charcuterie, le spectacle était plus dans les tribunes que sur la pelouse."

E comme Espoirs
N'est-il pas symbolique que les meilleurs résultats du club soient obtenus, chaque année, par les équipes de jeunes ? Oui, l'ASM est le club de tous les espoirs. A ce titre (pas celui de champion, bien sûr), l'ASM fait se poser de graves questions métaphysiques : Vaut-il mieux être un très grand club du futur ou aurait-il mieux valu avoir été un très grand club du passé, comme Béziers par exemple ? Les plus logiques répondront que cette question est absurde, d'autant que, si nous devenons un jour un très grand club du passé, c'est que nous sommes d'ores et déjà un très grand club du futur. Les Toulousains, quant à eux, répondent : "Facile, les deux." On est libre de penser que c'est cet état d'esprit qui nous différencie d'eux...
Mais je préfère laisser le dernier mot à un autre Auvergnat :

Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé, pour l'arrêter comme trop prompt : si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient : et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent, d'ordinaire, nous, blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu'il nous afflige et s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver. (Blaise Pascal - Pensées - Pensée XVII, Chapitre deuxième, section 3, La Volonté).

Profitons donc de ce présent pas si mal qui est offert au supporter : le passé, c'est le passé et le futur n'existe pas...

La suite à la prochaine lettre !

samedi 26 novembre 2011

Si loin, si proches...

Bon on a pris l'eau pendant une semaine (ou presque...) chez les Catalans et on a failli faire de même chez les Montpellierains. A chaque fois qu'on va en stage, c'est la même histoire. On rentre avec un point qui fait notre affaire, finalement : comme Toulouse a eu la mansuétude de s'abaisser au niveau du jeu de Brive et que Castres et Toulon sont adeptes du partage, au plan comptable, on n'est pas si mal : deuxièmes, en embuscade derrière le Stade, qui préfère avoir un horizon dégagé (Maître Guy aime bien sentir le souffle chaud des poursuivants sur sa nuque, ça lui permet de conserver un bon niveau de stress et d'angoisse). De notre côté, c'est la position d'outsider qui nous convient le mieux, avec ce qu'il faut d'avance sur la meute pour ne pas non plus tomber dans la panique.
Il faut dire que derrière, c'est la WWE : après les coups de théâtre, en backstage, des limogeages de Simon "The Killer-Screamer" Mannix et de Jack "Double-Tricard" Delmas, le Top 14 ressemble à des Survivor Series totalement déjantées, où les lowcards se refont la cerise aux dépens d'anciennes gloires devenues midcards, où des mega-push sur le retour ayant perdu une grande part de leur ring-cred repointent le bout de leur nez... Bref, ça feud dans tous les sens, on ne sait plus qui est heel et qui est face, mais c'est ce qui fait la beauté de ce Smackdown Fourteen.
A part ça, quelques nouvelles du groupe :
- On a attendu Elvis une demi-heure dans le bus à la fin du match. Il faut dire qu'il marche comme si il traînait une chaîne et des boulets, alors il a un mis un peu de temps à venir des vestiaires jusqu'au parking...
- Dans le même ordre d'idée, Daniel Kotze, le boute en train, a offert à Kevin Senio "L'Eloge de la Lenteur"...
- Bonnaire a préféré se télétransporter pour rentrer à Clermont. Il prétend qu'il pourrait le faire avec le bus, mais que nous n'avons pas encore franchi assez de chambres du Shao-Lin.
- Brock avait l'air particulièrement détendu à la fin du match, au contraire de David qui n'était vraiment pas dans son assiette cette après-midi. J'ai fouillé dans ses affaires (quoi ? Je suis son père, j'ai le droit !) et j'ai trouvé une poupée vaudoue à l'effigie de David avec un clou rouillé planté dans le pied...

mercredi 23 novembre 2011

Indignons-nous !

Toujours pendant le stage au Canet, alors que je passais par le vestiaire après l'entraînement et que je croyais être seul, j'ai entendu des soupirs dans un coin. Je me suis rapproché et j'ai vu une masse informe dans la pénombre. Me rapprochant encore, j'ai surpris Julien Bonnaire, assis sur un banc, coudes sur les genoux, avec une moue dubitative. Il tenait quelque chose entre ses mains : c'était son "Oscar d'Argent Midi Olympique".
- Que se passe-t-il Julien, ça ne va pas ?
- Tout ça pour ça... me répondit-il dans un souffle.
- Ah ! Je comprends, le compétiteur que tu es est déçu de ne pas avoir reçu l'Oscar d'Or ?
- Non non ! Vincent le mérite amplement. Il est beau, il est bon, il sent bon les matériaux des fondations aux finitions, il marque plein d'essais, plaque à tours de bras, il est sympa, doué, efficace, il s'investit dans l'associatif et comme la plupart des hommes, il se sent de plus en plus concerné par l'état de sa peau (la preuve ici). C'est moi, mais avec des cheveux, en fait ! Sauf qu'en plus, il joue à Toulouse. Alors bon, je ne suis pas surpris.
Il marqua une pause.
- Non, c'est autre chose...
- Tu as du mal à te reconcentrer sur le Top 14 après la coupe du monde et la coupe d'Europe ? Je comprends, ça me fait toujours ça avant d'affronter Montpellier et Castres. Mais tu sais, ce sont d'excellentes équipes maintenant...
- Non, ce n'est pas ça... En fait, tout cela n'a aucun sens...
Je m'assis à ses côtés :
- Quoi "tout cela" ?
Il se leva soudainement en se crispant et hurla :
- Tout ! Tout ! Comment peut-on jouer au rugby, comment peut-on s'y intéresser alors que des gens sont torturés en Syrie, que d'autres sont condamnés à vingt ans de prison en Thaïlande pour avoir émis des SMS injurieux contre le roi, que des petites filles sont éventrées en Afghanistan, et que, chez nous, l'on se vautre dans le luxe le plus insolent alors que l'on crève de faim à nos portes ? Non, tout cela n'a aucun sens !
Il tremblait de rage et de dégout. On aurait dit qu'il se préparait pour le Haka. Il jeta un regard de profond mépris à son trophée.
- Où est la Têt (note : c'est la rivière qui passe non loin de là) ? Je vais m'alléger de tout cela !
Il se mit en marche. Je tentais de l'agripper pour le retenir. En fait, ce fut lui qui me traîna hors du vestiaire.
Dehors, cherchant son chemin tel un illuminé, il fulminait comme Gerhard Vosloo qui aurait raté un plaquage, mais avec l'indicible tristesse de Fabien Galthié sur le visage. J'essayais de le raisonner :
- Voyons, Julien, tu ne peux rien à tout cela. Tu es joueur de rugby. Tu donnes de la joie au public !
En vain :
- Mais grand bien leur fasse ! Regarde-les qui vont au stade comme à la messe, oublier la médiocrité et l'absurdité de leur existence ! S'ils te donnent une bonne image de toi, tant mieux. Moi je ne peux plus feindre de m'intéresser à eux, alors qu'au fond de nous, tout n'est qu'intérêt, cruauté, égoïsme. Nous ne nous intéressons qu'à nous. Parlez-moi de moi, il n'y a que ça qui m'intéresse.
Il reprit un instant sa respiration et repartit de plus belle :
- Et chaque jour, la presse entretient ce grand mythe, ce grand mensonge, fait de nous des héros, nous impose dans la vie des gens, à la radio, à la télévision, sans recul ni pudeur, file les carrières comme les Parques les destinées, et nous vivons d'eux comme ils vivent de nous, dans une symbiose écœurante de renoncement et de compromission... Il y a même des abrutis qui écrivent des blogs sur nous ! Quant à ces trophées, à quoi serviront-ils, puisque dans soixante ans, nous serons tous morts, toi, moi, celui qui me l'a remis ?
Il fit une nouvelle pause, et me regarda avec une immense détresse dans les yeux, avant d'ajouter :
- Mais ce qui me fait le plus vomir, c'est que l'on se souviendra peut être plus de moi que du jeune Birman qui se sera fait massacrer dans une cave de Rangoon... Tant que tout cela n'aura pas changé, je ne pourrais plus cautionner ce business absurde. Terminé ! Tu m'entends, terminé !
Et il s'est mis à envoyer valdinguer son trophée en donnant des coups de pieds répétés dedans. Enfin, il laissa s'échapper la pression pour s'effondrer en larmes.
Il pleurait vraiment comme un enfant désespéré. Je crois bien que je pleurais aussi, silencieusement, en le regardant. Ce désespoir dura longtemps, - il me parut prodigieusement long. Mais, pour finir, comme un enfant les larmes peu à peu eurent raison de lui.
Nous avons poursuivi notre marche jusqu'à ce que la mer nous arrête. Le crépuscule levait ses voiles successifs d'augures sombres et nocturnes. Sur la plage, des gamins jouaient au rugby. Le ballon était presque aussi gros qu'eux. Ils se l'envoyaient maladroitement, sans égard pour les en -avant, et se roulaient joyeusement dans le sable. Le monde n'existait plus qu'eux et nous, nous, deux vieux cons sentimentaux, et eux, totalement pris par leur jeu et indifférents à la beauté du spectacle qui les entourait.
Les regardant dans leur innocence, réfléchissant à tout ce que Julien venait de me dire, ne sachant s'il fallait traiter la vie de chienne ou de fée, je ne pus m'empêcher de les imaginer dans quelques années et je me suis alors demandé à quel âge on devenait un salaud.

Nota : très librement et humblement inspiré de "L'impuissance" (juillet 1944), nouvelle de Vercors, dont la citation en italique est issue.