mercredi 29 août 2012

CAMOULOX !!!

Vous trouvez que les règles du rugby manquent de complication (exemple :
Règle 22.4 AUTRES FAÇONS DE MARQUER UN ESSAI :
(g) Joueur en touche ou en touche de but. Si un joueur attaquant est en touche ou en touche de but, il peut marquer un essai en faisant un touché à terre dans l’en-but de l’adversaire, à condition qu’il ne soit pas porteur du ballon.),

Vous êtes nostalgique du bon vieux temps des pardessus, des jus d'orange frelatés et des mêlées effondrées (quoique, pour cette dernière occurrence, la nostalgie soit superflue...),

Chaque intervention de Mourad Boudjellal ou de Bernard Laporte, chaque référence au professionnalisme, chaque aperçu d'une loge dans un stade provoquent chez vous de la tachychardie,

Vous continuez de chercher, par habitude, sur le programme du match, dans la composition de l'équipe, les emplois des joueurs (employé de mairie, agent commercial chez UPSA, ingénieur Michelin, exploitant agricole...),

Vous appréciez, à la terrasse d'un restaurant d'une ville moyenne du sud ouest de la France, un bon gigot-haricots arrosé d'un "Château Cubi 93 - cuvée spéciale iséroise",

Alors vous êtes faits pour le CAMOULOX !

Le CAMOULOX est un jeu dont les règles sont frappées du sceau de l'obscurité (pour ne pas dire de l'obscurantisme), du grand guignol, de l'absurdité et, surtout, de la stochastique. L'objectif connu, bien qu'implicite, de ce jeu (mais les avis des experts sont discordants) est de maintenir la mainmise sur le rugby français, et, si possible, gagner des parts de marché à l'International Rugby Board, organisme qui fait référence chez les législateurs du golf et du cricket, et organisme tutélaire du CAMOULOX.

Il s'est longtemps et officiellement joué à 80, puis à 16, puis à 14, mais en fait, on ne sait pas véritablement qui a le droit de jouer ou de ne pas jouer, d'autant que les règles ne sont pas reconnues, interprétées, appliquées de la même manière en fonction du contexte, du joueur, du lieu et des phases de la quatrième lune de Jupiter.

Le CAMOULOX est en fait une variante du célèbre Kamoulox, inventé par l'incomparable duo comique Kad & Olivier, eux-mêmes inspirés du jeu Simple comme bonjour de l'éternel trio comique Les Inconnus. Cependant, déçus par la relative simplicité du Kamoulox, des puristes fanatiques (aujourd'hui réfugiés dans les vallées les plus reculées de l'Ariège où ils pratiquent une forme particulièrement sauvage de CAMOULOX, impliquant notamment des ours) ont souhaité donner une nouvelle ampleur à ce jeu aux développements infinis. Pour faire simple, le CAMOULOX est au Kamoulox ce que les échecs sont aux dames, ce qu'une conférence de Pierre Villepreux est à la causerie du capitaine dans un vestiaire de fédérale 3, ce que la Critique de la Raison Pure est à une analyse tactique de Rugbyrama (Blaise Pascal, grand amateur de Kamoulox, aurait dit "un néant à l'égard de l'infini").

Mais, assez parlé, "Touchez, Stop, Jeu !"

Je vous propose de revivre la partie qui a opposé Pierre-Yves R., de Castres, à Mourad B., de Toulon, partie particulièrement violente mais d'un niveau rarement atteint et qui fut l'une des plus marquantes de l'année écoulée.

Mourad B., fidèle à sa tactique agressive, a obtenu l'engagement, en vertu de la règle georgienne 237.C, qui préconise que "les implants mammaires de Bakkies sont en adamantium". Malgré une manœuvre audacieuse ("Je vais à la Vallée du Giroud sur les genoux et je graisse la chaîne de vélo de Max Guazzini"), Pierre-Yves fut contraint de céder l'initiative, car "Henry Chavancy ne souhaite plus apparaître sur le calendrier".

Mourad enchaîna donc, non sans avoir effectué un triple lutz piqué qui lui permit de participer au concours de jeux de mots ridicules avec Mathieu Lartot au VVF de Pralognan La Vanoise, et d'avancer en case "Plaquage Samoan". Le public, enthousiasmé par ce coup puissant, fut d'autant plus séduit par la riposte de Pierre-Yves, joueur expérimenté et roué, à qui on ne la fait pas : "Je fais sourire Fabien Galthié et je mange un rat" résonna dans l'arène comme un coup de semonce et Mourad fut obligé d'écouter "5 minutes de Pierre Salviac", ce qui ne fut pas sans conséquence sur les choix tactiques du sélectionneur namibien à la coupe du monde.

Ayant repris l'avantage, Pierre-Yves proposa un coup sûr : "Je vomis au banquet de la FFR et je fais du patin à glace au Stade de France". Hélas pour lui, c'était sans compter sur les capacités insoupçonnées de Mourad, qui, loin d'avoir été totalement abruti par l'épreuve précédente, sembla en tirer au contraire une inspiration accrue : "Je me mets un poteau de coin dans le cul, deux fois, et je chante la Peña Baïona".

Pierre-Yves parut abasourdi par ce coup pour le moins inattendu. Il est vrai que, habitué à des joueurs plus académiques, il se retrouvait pour la première fois confronté à un adversaire instinctif et n'hésitant pas à s'affranchir des coutumes ancestrales du CAMOULOX. Pierre-Yves marqua donc un temps de réflexion et choisit une option défensive : "Je passe une soirée à Tijuana avec Julien Caminati et je visite Marc Cécillon en prison".

Mourad, qui avait prévu le coup, riposta aussitôt : "Impossible, parce que Bernard Laporte rédige la préface des Essais de Montaigne et verse du vin de Gaillac sur la tête de Graham Henry !" Pierre-Yves se retrouva donc en case mystère, plus perplexe que jamais. Pierre Camou lui posa alors la question de confiance : "Quand l'équipe de Perpignan s'en va jouer à Montauban, ils engrossent, évidemment, quelques filles de Montauban..."
Pierre-Yves ne manqua pas l'occasion qui se présentait : "Mais quand l'équipe de Montauban s'en va jouer à Perpignan, Ben hé ! Ils engrossent, c'est évident, quelques filles de Perpignan !" et Mourad recula de 60 cases. Le public fut soulagé, le jeu pouvait reprendre, et les convenances étaient respectées.

Ce fut à Mourad de relancer. Profitant du fait que Pierre-Yves ignorait l'identité du capitaine de l'équipe de rugby à 7 de Tarawa aux Kiribati, il tenta le "Suprême de canard aux moules-chocolat par renversement de jeu à deux à l'heure à la Kevin Senio", ce qui obligea René Fontès à esquisser un pas de bourrée auvergnate en brandissant la prothèse dentaire de Pierre Camou. En effet, la chorégraphie propitiatoire aux ébats quantiques en milieux confinés est un adjuvant aux évanescences d'un passé recomposé... Pierre-Yves, qui jouait à "Je te tiens tu me tiens par la barbichette" avec Serge Blanco, en profita pour instruire un procès en béatification pour Dimitri Yachvili.

Mourad était de nouveau en jeu, et, dressé sur un toit en tôle ondulée, il chanta le Pilou Pilou avec une voix à l'hélium. Un frisson parcourut l'assistance. Pierre-Yves était plus en danger que jamais. Il tenta le tout pour le tout : "Je requalifie Masoe mais pas Hayman", ce qui n'était pour le moins pas fair-play, mais, qui, incontestablement, avait en efficacité ce qu'il n'avait pas en élégance. Pierre Camou eut un moment de doute. Allait-il accorder ce coup ? Après un bref conciliabule avec les assesseurs, il convint que le mouvement, pour simple qu'il parut, était en fait totalement surréaliste. Salvador Dali, présent dans le public à l'invitation d'André Breton, rendit hommage à Pierre-Yves, en connaisseur, par un frémissement de moustaches.

Mourad, vexé, relança de plus belle : "Je tente le drop avec mon fax et je mange de la lave en fusion". Ce coup ne fut pas sans provoquer l'émoi. Le KO n'était plus très loin... Pierre-Yves, refoulé en case "Stade de Boulogne-Billancourt", était acculé et ses options semblaient minces. Mais il avait plus d'un tour dans son sac : "Carte Guy Novès ! " (Rumeurs dans le public) "J'abonne Jean-Baptiste Elissalde au compte twitter de Mohammed Merah, je regarde "Total Recall" avec Friedrich Nietzsche, j'achète une résidence secondaire au Qatar, j'écris une comédie romantique avec le conseiller en communication de Marc Lièvremont et je me pisse dessus !"

Pierre-Yves, électrisé par sa tirade, était comme un cachet d'aspirine Pierre Fabre en effervescence. Son visage bronzé rayonnait par-dessus l'arène. Mourad hésita un instant... Le temps parut suspendu, comme pendant un arbitrage vidéo, entre le vraisemblable et le plausible.

"CAMOULOX !!!", hurla Pierre-Yves dans la foulée ! Pierre Camou leva la main et dit : "Accordé !", Mourad s'effondra, Eric Bayle s'égosillait au côté de Thomas Castaignède, qui, dans la tribune de presse, eut ce mot fameux "C'te CAMOULOX !", et la foule en délire acclama le vainqueur qui fut transporté en triomphe par la grande porte de l'arène sous une pluie de strings, de swedish penis enlargers, de Var Matin et autres accessoires hétérosexuels.

Ainsi s'acheva cette sublime partie de CAMOULOX. Le public, rassasié, en avait eu pour son argent et s'en fut vomir de la viande avariée dans des baraques à frites de la côte landaise ou soigner ses mélanomes sur des plages méditerranéennes ressemblant aux bords du Gange à Calcutta, tout en continuant d'entretenir son machisme, son racisme et son homophobie ordinaires. Mourad jura qu'il reviendrait, Pierre-Yves, beau vainqueur, lui tendit la main en lui proposant une revanche dès qu'un promoteur se présenterait.

Une fois de plus, le spectacle n'étant pas au rendez-vous sur les terrains, les acteurs du banc de touche avaient su se transcender pour offrir un opium de la meilleure qualité au bon peuple reconnaissant.

dimanche 26 août 2012

Re-création

- Maîîîîtreeuuhh...
- Quoi encore ?
- Maaiis, Maîîîîtreeuuhh, je m'ai fait mal à le muscle de la cuisseuh...
- Encore ?
- Ouiiiii...
- Et tu as très mal ?
David me regarde par en-dessous avec ses yeux d'enfant triste et lance, dans un souffle :
- Un peu...
- Bon, allez, va t'asseoir sur le banc et demande à Gerhard de t'amener à l'infirmerie.
- J'aurais pu y aller tout seul, je connais le chemin...
- Ça oui, on est payé pour le savoir...
Je regarde Franck, l'auxiliaire de vie scolaire et l'auteur de cette inutile saillie, d'un air réprobateur. Il écarte les bras, en signe d'impuissance :
- Ben quoi, Vern, c'est vrai !
- Franck, je t'ai déjà dit, pas devant les enfants. Bon, on en reparlera en conseil pédagogique.
De l'autre côté de la grille, Jean-Claude Skrela m'approuve bruyamment :
- Très bien, M. Cotter !
Franck soupire ostensiblement :
- Les parents d'élèves... L'autre jour, c'était le père de Rougerie... On n'est jamais tranquille pour travailler...
J'essaie de calmer Franck :
- Ça va, Franck, je m'occupe des parents d'élèves. Toi, regarde plutôt ce que... Oh mon Dieu !
Le petit Sitiveni, d'habitude si sage et appliqué, vient de mettre un coup d'épaule à un camarade de jeu d'une autre classe. Son maître d'école lève les bras au ciel en m'adressant un regard noir. Je ne peux qu'approuver le "sur'gé" qui punit immédiatement mon protégé de dix minutes de "temps calme". Siti quitte la cour de récréation boudeur, en marmonnant...
Quelques instants plus tard, c'est Jamie qui colle un taquet à un autre gamin. J'entends le "sur'gé" récriminer d'un ton péremptoire :
- Cudmore, encore vous ! L'année dernière, vous vous êtes tenu à peu près à carreaux. J'espère que vous n'allez pas recommencer vos bêtises de petite frappe ! Auquel cas j'aurai le déplaisir de vous coller une fois de plus. Méfiez-vous, le conseil de discipline vous a à l’œil !
- Mais, M'sieur, c'est pas moi ! J'ai glissé !
- C'est ça, c'est ça... En attendant, vous allez méditer votre geste en compagnie de votre camarade Sivivatu. J'espère que cela vous fera réfléchir.
Je suis consterné. Je vais encore devoir leur faire copier cent fois : "Je ne dois pas frapper un camarade"... Le "sur'gé" s'approche de moi :
- Dites donc, Vern, qu'est-ce qu'ils ont, vos élèves, aujourd'hui ! Je les trouve particulièrement indisciplinés.
Alors que s'engage la conversation, je vois Morgan par-dessus l'épaule du "sur'gé" en train de courir dans tous les sens, narguer les autres élèves, y compris ceux de sa classe, s'emparer du ballon, le jetter n'importe comment entre ses jambes et prendre tout le monde à témoin en criant, fier de lui :
- Eh ! Regardez ! Regardez ! Comme au cirque Pinder !
- Que voulez-vous, tenté-je de me justifier auprès du pion en chef, c'est le début de l'année. Ils ont pris de mauvaises habitudes en vacances. Même mon chouchou, l'élève James, est complètement désorienté. Rassurez-vous, je vais m'en occuper...
- En tout cas, si certains sont un peu dissipés, d'autres me paraissent déjà très appliqués : les jeunes Chouly, Bardy et Lapendry, par exemple...
- Oui, je leur ai donné des bons points. Ils travaillent dur. Damien Chouly vient d'une autre classe, mais il s'est vite intégré.
Là-dessus, je vois Thomas s'affaler lourdement sur le sol, après avoir trébuché, sous les moqueries de l'assemblée. Le "sur'gé" hausse les épaules et soupire.
- Je vous laisse, me dit-il en s'approchant de la scène, on dirait que le jeune Domingo a commis une maladresse.
J'entends alors une voix fluette derrière moi. C'est celle du petit Paul :
- Maître ! J'ai envoyé le ballon dans l'arbre, vous pouvez le décrocher s'il vous plaît ?

mercredi 22 août 2012

Nouveau départ

Bon... Corry, sur ce lancement de jeu, il me faut plus de décalage en bout de ligne. Ma'a, j'ai besoin que tu pèses dans l'axe en visant l'épaule intérieure du défenseur. C'est comme ça que j'espère créer le déséquilibre. Ensuite, Israël finit le travail.
- Vern !
- Quoi ?
- Vern !
- QUOI ? Tu ne vois pas que je suis en train de travailler une combinaison ?
Je flotte dans une brume oculaire désagréable. Mes paupières sont lourdes. Ma vue se brouille. Le visage imposant de Ma'a se dissipe dans une buée moite.
- Vern ! Réveille-toi !
J'ouvre les yeux. Je sens une main ferme qui me secoue l'épaule. Je vois le visage de Franck entre mes cils chassieux.
- Vern ! C'est moi ! L'entraînement va reprendre.
Où suis-je ? Quel est le temps ? Pendant quelques instants, j'éprouve l'étrange sensation de perte totale de repère spatio-temporel. C'est à la fois agréable et angoissant. Suis-je mort ? Où suis-je ?
Enfin, je reprends mes esprits. Je me suis endormi au soleil pendant la pause dans les travées du stade. J'entends les éclats de voix des joueurs sur la pelouse.
- Ca va ?
- Oui oui ! Ca va... Je rêvais...
- OK. On y retourne alors.
Franck s'éloigne et rejoint les joueurs qui se mettent en cercle autour de lui.
J'ai l'impression d'avoir dormi deux mois. Je me sens rouillé, j'étire mon dos, je cligne des paupières. Tout semble nouveau autour de moi.
L'entrainement...
Le cycle des saisons...
L'été rayonnant et plein de promesses...
L'automne fraîchissant et révélateur...
L'hiver glacé et sans concession...
Le printemps berceau de toutes les espérances et tombeau de toutes les joies...
Il faut s'y remettre, remonter en selle, dompter la bête, risquer de tomber à nouveau, ne jamais lâcher la bride, aiguillonner les flancs de l'étalon, ne faire plus qu'un avec lui, franchir les obstacles ou lancer le galop.
Tourner en rond dans les mêmes stades, réapprendre les mouvements mille fois appris, pousser le rocher en haut du volcan pour qu'il en dégringole aussitôt...
Soudain, malgré la chaleur, j'ai froid. Soudain, malgré l'équipe, je suis seul.
Aller à Mont-de-Marsan... Supporter les sorties de Laporte et Boudjellal... Perdre contre Toulouse, ou pire, à Biarritz... Tenter de battre le Leinster... Subir les inepties médiatiques... Répondre aux questions qui n'ont pas de réponse... Travailler, travailler, encore travailler... Partir le vendredi soir et revenir le dimanche dans la nuit... Ne pas voir ses enfants grandir... Être obsédé de la gagne, du détail, préparer tout dans les moindres détails et voir tout s'effondrer à la première action... Voir les joueurs sortir claudiquant du terrain... Rabâcher les mêmes messages, les mêmes exhortations dans les vestiaires, dans l'oreillette... Ramasser les ballons, les plots et les chasubles à la fin de la séance d'entraînement... Tout ça pour quoi ?
Pour une gloire incertaine, qui coûte tout et qui rapporte quoi ?
L'odeur du gazon fraîchement coupée... La poignée de main au gardien du stade au petit matin quand la ville dort et le Puy de Dôme a son chapeau... Les heures passées à visionner des matches et encore des matches... Inventer, deviner, innover... Opposer sa volonté et son intelligence à celles de l'adversaire... Sublimer la dialectique... S'accroupir au centre des joueurs en cercle et les rendre incandescents... Diriger une équipe de professionnels de haut niveau... Retrouver Maître Guy... Voir les jeunes se révéler, les vieux se transcender... Entrer dans le stade en fusion... Percevoir les commentaires venus de la tribune de presse mêlés aux cris des supporters... Le premier plaquage, le premier choc, la première mêlée, la première touche... Le premier essai... Les joueurs qui se congratulent ou s'aident à se relever... Le trac avant les matches, la pression qui monte... L'excitation du match... L'immense joie de la victoire...
- Oh Vern, tu viens ?
Franck m'appelle du centre du terrain.
- J'arrive, les gars, j'arrive !