mardi 28 janvier 2014

Une lettre d'Ecosse

A l'occasion de la trêve internationale, je vous fais partager un courrier que j'ai reçu du ministre des sports écossais (traduction libre du gaélique).

Cher Monsieur, ou plutôt, cher Vern (vous permettez que je vous appelle Vern, Vern ?),

Au nom du premier ministre de la Nation écossaise, je vous souhaite, avec un peu d'avance, la bienvenue en Écosse. A ce sujet, et à vrai dire, nous avions caressé l'espoir de vous accueillir un an plus tôt. Mais, et malgré les assurances de M. Lhermet, nous avions bien compris l'intérêt que vous portiez à une véritable équipe de rugby capable de remporter des titres.
Bienvenue, donc, dans notre beau pays de lochs, de whisky et de moutons. Ne prévoyez pas de tenues trop légères, la température dépasse rarement les vingt degrés ici, mais je pense que les conditions climatiques extrêmes ne seront pas une découverte pour vous.
Laissons de côté les dépliants touristiques, vous aurez le temps d'apprécier la chaleureuse hospitalité de notre sympathique population : l’Écossais, bien que rude et incompréhensible (même pour un anglophone) au premier abord, n'en reste pas moins un personnage amène et amical pour peu que l'on accepte de lui payer une bière de temps en temps. Là encore, je pense que vous ne serez pas dépaysé.
Pour entrer dans le vif du sujet, je dois vous avouer que nous vous attendons avec impatience. L’Écosse, vieille nation mais jeune État, n'a finalement que peu d'occasions de faire parler d'elle en dehors sa production d'alcools, de tranches de saumon fumé et de pulls en cachemire. Son équipe nationale de rugby devrait à ce titre représenter une bonne part de la fierté nationale. Il se trouve, et il ne faut pas avoir peur des mots, que cette équipe incarne surtout le symbole de l'incapacité nationale. Nous comptons donc sur vous pour redorer notre blason quelque peu cabossé et redonner confiance et orgueil à notre population sévèrement éprouvée en termes de résultats rugbystiques. Notre dernier exploit international remonte à une improbable victoire d’Édimbourg contre le Stade Toulousain en H Cup, c'est dire...
Pour faire clair et simple, en Écosse, on ne plaisante pas avec le rugby, et nous avons eu trop d'humoristes sur le terrain au cours des dernières années.
D'ailleurs, vous le savez certainement, l’Écosse, alliée historique de la France, nourrit une animosité naturelle à l'encontre de son voisin méridional, oppresseur impérialiste, buveur de bière tiédasse, pervers monarchiste, et j'en passe, dont je tairai le nom mais dont vous voyez bien de qui je veux parler, suivez mon regard... Vous objecterez qu'il n'existe, a priori, dans le monde aucune nation digne de ce nom qui peut encadrer les Rosbifs. Certes. Mais la proximité et l'histoire que nous avons été forcés de partager avec cet inutile voisin rend le sujet particulièrement sensible dans les Highlands. C'est pourquoi je me permets d'insister lourdement sur l'impérieuse priorité qui est la votre de remporter toutes les rencontres qui nous opposeront au XV de la Rose, et plus particulièrement, celles qui auront lieu à Murrayfield. En cela, vous ne vous écarterez pas d'une vieille tradition française, et, j'oserais dire, auvergnate : L'une de vos missions est bien de transformer "Edimbourg-terre d'accueil" en "Citadelle imprenable".
D'autre part, je n'ai certainement pas besoin de vous rappeler que le dernier grand chelem du XV du Chardon remonte à 1990. A l'époque, Gavin Hastings jouait, avec, entre autres, Craig Chalmers et John Jeffrey. J'en ai des frissons rien qu'à y repenser, et le souvenir d'un extraordinaire mal de tête. Il s'agit en effet de la dernière cuite nationale à ce jour. Inutile de vous dire que les Écossais sont sevrés : les plus anciens seraient heureux de revivre, et les plus jeune de découvrir, l'expérience de boire sans modération et sans arrêt du samedi au samedi suivant et de se réveiller dans un lieu indéterminé avec une gueule de bois à la hauteur de l'évènement. Sur ce point, votre curriculum vitae parle pour vous : vous avez vaincu 100 ans de malédiction en Auvergne, vous n'aurez, je pense, aucun mal à vaincre un quart de siècle de disette sportive. D'autant que vous ne partirez pas d'aussi loin : en Écosse, nous avons, par exemple, réussi à nous entendre sur un hymne...
Pour finir, j'aimerais appeler votre attention sur la situation politique délicate dans laquelle le gouvernement auquel j'appartiens se trouve. Vous savez certainement que notre Premier ministre a imprudemment promis l'organisation d'un référendum d'autodétermination d'ici la fin de l'année. De deux choses, l'une : soit le parti indépendantiste l'emporte, et les maigres ressources du pays ne suffiront pas à maintenir un train de vie largement supérieur à nos moyens, soit le parti à la solde de l'envahisseur oppresseur impérialiste parvient à voler les élections et mon mouvement politique se trouverait alors dans une situation délicate, pour ne pas dire intenable, à la manière d'un sélectionneur qui remporterait la cuiller de bois pour son premier tournoi (je crois que vous saisissez parfaitement l'allusion). Bref, dans les deux cas, on sera dans la merde. Votre rôle sera alors crucial : vous aurez l'obligation de faire oublier au peuple écossais ces petits désagrément de la vie en lui offrant un rugby total, séduisant et surtout, efficace.
Voila, mon cher Vern, je sais que l’Écosse peut compter sur vous. En échange, nous ne lésinerons pas en cas de redressement spectaculaire : vous aurez votre statue, et vous verrez que les Écossais, eux, savent tenir parole...
A l'occasion, si vous passez par là, je serais heureux de partager un haggis avec vous.
Que la fleur du chardon vous protège...

Minister for Commonwealth, Games and Sport 
Shona Robison MSP

mercredi 15 janvier 2014

Incertains

Il a déboulé comme un chiot turbulent dans notre jeu de quilles. Il a salué Franck, en disant :
- Salut Franck, pas trop stressé ? T'inquiète pour l'année prochaine : moi, je reste.
Il est passé devant Elvis et ses béquilles, en disant :
- Yo Elvis ! J'te passerai le 06 de mon orthopédiste... Oh ! Excuse, on a le même en fait ! Bon, ben non alors : doucement sur la rééduc. A ton âge, on ne sait jamais...
Il a branché Siti, en disant :
- J'ai appris pour Castres, c'est moche. Mais bon, je comprends que tu veuilles être le patron sur le terrain, et ici, y'en a un de nous deux qui est en trop, visage pâle !
Il est venu asticoter Thierry, en disant :
- Tu sais à quoi on reconnaît les grands joueurs ? Non évidemment. C'est pourtant simple : les grands joueurs, ils ne sont plus blessés pour les grands matches !
Il a poursuivi avec Rado, en disant :
- C'est bon, le Bleu. Tu peux arrêter de souiller ton short : je reprends les clés du camion.
Il s'est frotté à Jubon, en disant :
- Ho ! L'ancien ! Je comptais sur toi pour me défendre. Tant pis, je me débrouillerais tout seul, une fois de plus...
Il a avisé Roro, en disant :
- J'ai battu ton record de convalescence. Je m'en serais voulu de ne pas être là pour ta cinquantième cap européenne...
Il s'est approché de moi, mains dans les poches, yeux dans les yeux, en disant :
- Bon, coach. Je t'ai manqué, hein ? On la met au point cette stratégie ? J'ai l'articulation qui refroidit...

***

Fin de l'entraînement. Je traîne un peu dans le vestiaire. Plus personne... A moins que... J'entends un bruit, comme un sanglot réprimé. Je tends l'oreille. Il y a quelqu'un. Morgan est assis dans un recoin. Il ne m'a pas vu. Tête basse, il soliloque. Je me recule, curieux et intrigué. Qu'est-ce qu'il fabrique, ce... Mais oui, c'est ça ! Il parle à son genou !
- Tu vas pas me lâcher maintenant, hein ? Je veux que tu tiennes. Après, on verra. Tu peux hurler de douleur, tu peux me crucifier de souffrance, me torturer autant que tu voudras, mais je t'en supplie, tiens bon !
Je passe un œil. Je l'observe à la dérobée, qui grimace en contemplant son genou. Il relève la tête, regarde fixement le mur et poursuit :
- Putain, je vais pas y arriver, je vais pas y...
Il s'interrompt. Le ton de sa voix change. Je frissonne : on dirait Norman Bates dans Psycho...
- Si ! Tu vas y arriver ! Tu vas y arriver ! C'est pas comme si c'était la première fois. Tu as fait une finale de coupe du monde, tu vas pas baliser pour un pauv' match de poule dans un stade obsolète.
Il se lève. Se retourne. Ouvre son caisson. Je le vois qui farfouille, ouvre une enveloppe de laquelle il sort des morceaux de photo déchirée. Il commence à ré-assembler les morceaux sur la tablette du placard, hésite un moment, puis se ravise. Il lève la tête : je le vois, de profil, réprimer un rictus de tristesse. Il se reprend dans un soupir, brouille le puzzle et en remet les pièces dans l'enveloppe qu'il repousse au fond du placard.
Je me recule, pour rester hors de sa vue. Je tape dans la cloison, frotte mes pieds au sol et tousse. J'entends la porte du caisson qui se ferme, j'avance, j'apparais, il s'est retourné, il me voit. Il a l'air étonnamment calme et sûr de lui. Il fait :
- Ah ! C'est toi, coach ! Tu vas voir, on va bouffer du rosbif ce week-end !