samedi 28 décembre 2013

Sous mon bonnet...

Sous mon bonnet, y'a mon crane, nu comme un ballon, et, sous mon crane, y'a souvent la tempête.
Sous mon bonnet, y'a un mec, qui s'est pas maquillé et qui veut pas qu'on l'aime.
Sous mon bonnet, y'a Cotter, qu'aime pas qu'on le regarde.
Sous mon bonnet, y'a Cotter, qu'aime pas qu'on parle de lui.
Sous mon bonnet, y'a Vern, le gars des Manukau qu'a dit non aux All Blacks.
Sous mon bonnet, y'a Vern, l'autre, le bon père de famille un peu fleur bleue.
Sous mon bonnet, y'a Vern, l'autre, l'ami fidèle et taiseux.
Sous mon bonnet, y'a Vern, l'autre, celui qui s'est planté et qui va se planter.
Sous mon bonnet, y'a tout un tas de types, en fait.
Sous mon bonnet, y'a quatre cent vingt-et-une combinaisons, dont treize qui fonctionnent.
Sous mon bonnet, y'a cent compositions d'équipes différentes et un nombre incalculable de feuilles de matches.
Sous mon bonnet, y'a un ancien joueur sans gloire aux articulations qui grincent.
Sous mon bonnet, y'a un coach qui a le virus de la gagne et qui veut être contagieux.
Sous mon bonnet, y'a un jeu ambitieux et organisé.
Sous mon bonnet, y'a un technicien opiniâtre et perfectionniste, qui emmerde souvent le monde.
Sous mon bonnet, y'a un père de famille qui passe trop de temps au boulot.
Sous mon bonnet, y'a un type honnête qui n'aime pas les tricheurs.
Sous mon bonnet, y'a un chasseur précis.
Sous mon bonnet, y'a des rêves de gloires et des mauvais souvenirs.
Sous mon bonnet, y'a une trogne qu'a pas vraiment un beau nez.
Sous mon bonnet, y'a des neurones abimés par les troisièmes mi-temps.
Sous mon bonnet, y'a des gueules de bois en plomb.
Sous mon bonnet, y'a une gueule de Bout de Bois qui avait fui pendant cent ans.
Sous mon bonnet, y'a une gueule à faire peur dans les rucks.
Sous mon bonnet, y'a un mec qui attend sa statue.
Sous mon bonnet, y'a un fermier néo-zed qui aime pas qu'on l'asticote.
Sous mon bonnet, y'a le sang des proscrits et des réprouvés.
Sous mon bonnet, y'a Gallaher qu'aurait pas fait Pashendale.
Sous mon bonnet, y'a une veine temporale qui palpite contre la laine et qui dit "y'a d'la vie, y'a d'la vie, y'a d'la vie...".
Sous mon bonnet, y'a tout un cinéma, un tas d'idées bizarres, des tactiques, des séquences, des rushes et des scènes coupées.
Sous mon bonnet, y'a quelques principes et des secrets aussi.
Sous mon bonnet, y'a l'rugby, qui aurait deux ans et que j'réinventerais.
Sous mon bonnet, y'a un Français qui rêve de coacher l'Quinze de France.
Sous mon bonnet, y'a deux yeux bleus qui scrutent le champ profond.
Sous mon bonnet, y'a des lèvres qui font vibrer une membrane.
Sous mon bonnet, y'a des oreilles qui hument l'air du stade.
Sous mon bonnet, y'a un type, à qui les bonnets ne vont pas.

samedi 30 novembre 2013

Sivouvatu

Je croise Franck un matin, hagard, les yeux dans le vague, qui ne me salue pas. Je m'arrête, me retourne :
- Hey, Franck ! Ca va ?
Je le vois qui soupire, tête basse.
- Non, Vern, ça ne va pas trop, non...
Un silence.
- T'es au courant ?
- Ouais...
- C'est moche, hein ?
- Ouais...
- C'est dur, comme ça, en pleine saison...
Silence à nouveau.
- Bon...
Il lève les yeux vers moi.
- Bon...
- Bonne journée.
- Ouais, à tout à l'heure sur le pré.

Plus tard, je passe voir Jean-Marc. Les murs de son bureau sont tapissés d'impressions noir et blanc d'articles de sites de transferts de rugby. Rugbymercato.com dit : "Davies, le Gros Coup de Clermont". Rugbytransferts.fr dit : "Clermont recrute gros : Davies". Valeursrugby.tv dit "Davies : Clermont ? Le club de mon coeur." Rumeursdebruitsdevestiaires.com dit :"Davies : je viens à Clermont pour gagner des titres."
- Salut Jean-Marc. Qu'est-ce qui s'est passé, bon sang ?
- Je sais, je sais... Écoute Vern, il faut positiver : on a Buttin, Davies, Fofana, Nalaga... Malzieu qui revient en forme.
- Ne plaisante pas avec ça s'il te plaît...
Il coupe :
- Je suis sérieux.
- C'est bien ce qui m'inquiète... Méfie-toi, y'a des jours, j'ai vraiment envie d'accorder des interviews à La Montagne...

Le bus direction Perpignan. Aimé Giral et sa porte d'arène. Vestiaires. Couloir. Dolpic et strapping. J'enfile mon brassard noir. Je serre la main de Marc Delpoux.
- Vraiment désolé, Vern.
- Ouais, je sais, merci.

Fin du match. Gagné : une pensée pour un type bien parti trop tôt. Des supporters m'apostrophent à la sortie du stade :
- Vern ! Comment t'as pu laisser faire une chose pareille ? Tu te rends compte qu'on va être obligé de regarder les matches de Castres pour le voir, maintenant ?
Je leur réponds :
- Ça va, les gars ! Il y a des choses plus graves dans la vie. C'est que du rugby...
- Ah non, Vern ! Je t’arrête tout de suite, c'est bien plus que du rugby...
Un autre renchérit :
- Il a raison ! Sivivatu, ce n'est pas du rugby, Sivivatu, c'est... du funambulisme... de la danse... de la magie... C'est le Houdini des courses en travers ! C'est le type qui fait des trucs que Majax ne sait pas t'expliquer ! C'est le David Coperfield du Tchic - Tchac...
Je dis :
- Si tu aimes les métaphores à la Denis Lalanne, tu peux toujours candidater au MIDOL ou te lancer dans l'écriture d'un blog...
Et je m'éloigne en l'écoutant ânonner ses tentatives d'élucidations de Sivi... Curieux cette volonté de vouloir tout expliciter... Moi je sais bien qu'il n'existe pas de mots pour raconter ce que Sivi fait sur un terrain. Moi je sais bien que Sivi, c'est n'est pas du rugby. Moi je sais bien que Sivi c'est LE rugby.

De retour à Clermont. Devant l'ordinateur, j'écris ces lignes. Stéphane m'apporte les vidéos du match. Il dit, en posant les DVD sur le bureau :
- Du bon... Et du moins bon...
Je dis :
- Je sais.
Une pause.
- J'ai repris mon blog.
- C'est bien.
- Je sais pas.
- C'était pas une question.
- Tu fais partie des deux mecs qui m'ont réclamé une suite.
- Ça te rend aussi populaire que François Hollande.
- Ne plaisante pas avec ça.
- Je ne plaisante pas.
- C'est bien ce qui m'inquiète.
- Je peux voir ?
Je tourne l'écran. Il se penche. Je relis avec lui en silence. Il me dit :
- On y comprend rien à ton truc. Tu parles de Manu ou de Siti ?
- Des deux.
- Mais ça n'a rien à voir !
- Au contraire, je crois que ça a tout à voir.
Il se redresse, interdit.
- Ah ouais ?
- Ouais. J'ai pas mal de regrets dans ce métier. Pas mal de satisfactions aussi. Mais il en existe une qui m'est particulièrement précieuse. C'est d'avoir entraîné Sivivatu au sommet de son art.
- Et je ne vois toujours pas le rapport...
- Le rapport ? C'est bien simple : Sivivatu, c'est le genre de joueur qui, l'espace d'une fulgurance, te fait oublier un instant que la vie est absurde, ou que le Grand Arbitre puisse siffler, comme ça, sans raison, la fin du match à la 41ème minute...

dimanche 19 mai 2013

Le fantôme de Marcel

"L'échec est l'état normal de l'humanité. Il faut s'y habituer..."
Frank Zappa

Je suis assis dans la pièce obscure. Le stade est déserté. Tout est silencieux. La ville souffre en silence.
Je suis seul. Je n'ai pas envie de rentrer ce soir. Je n'ai plus jamais envie de rentrer, nulle part... Je prends ma tête entre mes mains. Jusqu’à présent, j'ai donné le change. Je n'ai pas cillé, pas souri, pas grimacé. J'ai pris la médaille qu'on m'a tendue, j'ai félicité Bernard, j'ai eu un mot pour les joueurs. Je suis allé à leur putain de conférence de presse. Nous sommes rentrés. L'avion... Un silence de mort... Tous hébétés. Tous incrédules. Même Morgan a fermé sa gueule... Le décrassage ce matin.
Entre temps, je reçois des SMS de Graham Henry : « Now you know ! » et de Maître Guy : « Le doublé était possible...Bien à toi... ».
Et puis je suis venu dans ce bureau qui abrite mes veilles, mes réflexions, mes doutes, mes conversations, mes rêves... J'y suis depuis des heures. Je n'en ai pas bougé. Je ne veux pas rentrer ce soir. J'ai envie de pleurer. Je serre ma tête entre mes poings. Putain, pas maintenant ! Ne craque pas ! Pas maintenant ! J'ai envie de tout casser, de tout envoyer balader. Je voudrais seulement m'allonger, la tête sur les genoux de ma femme, fermer les yeux et ne plus penser à rien. A rien... A rien...
Je soliloque, pathétique :
- Pourquoi ? Pourquoi est-ce que c'est si dur ?
- Je dirais que c'est encore plus dur à chaque fois...
Je sursaute. Qui a parlé ? Une voix étrange. Une voix d'outre tombe. Grave, solitaire, pesante... Dans un coin du bureau, je devine une silhouette diaphane. Un spectre... Un homme qui n'est pas un homme... Un fluide translucide aux contours incertains. Ses yeux brillent d'un éclat céruléen.
- Bonjour Vern. Tu ne me reconnais pas ?
Je frissonne. Il fait froid soudain. Rien ne bouge mais c'est comme si un vent glacial traversait la pièce. Je contemple la statue du Commandeur et me demande s'il ne va pas m'emporter avec lui aux Enfers.
- N'aie pas peur, Vern. Je ne te veux pas de mal et tu me connais bien. Je suis la cause de toutes tes déceptions. Je suis la raison de ton désarroi. Je suis celui qui t'a amené ici, dans cette pièce obscure et froide, au bord du désespoir. Je suis le fantôme de Marcel Michelin.
Je demeure interdit. Je ne crois pas aux fantômes. Mais, après tout, si on a réussi à perdre cette finale, les fantômes peuvent bien exister... Il reprend :
- Et pourtant, le désespoir, je le connais bien... Je l'ai fréquenté pendant de longs mois, à Buchenwald... Auparavant, j'avais appris la mort de mon fils...
J'ai l'impression qu'il sourit :
- Moi aussi, j'ai raté des finales... Ils s'y sont même repris à trois fois avant d'avoir ma peau ! Alors crois-moi, Vern, ce que tu vis ce soir, n'est qu'une péripétie...
Je sais tout cela. Mais la blessure est à vif et l'amertume ne fait que la réveiller...
Le fantôme se déplace à travers le bureau et se plante devant la fenêtre. Je crois qu'il regarde le puy de Dome.
- Tu sais, Vern, si ce volcan venait à se réveiller un jour, à n'en pas douter, cette ville serait rasée... J'ai toujours pensé que le puy de Dome donnait sa personnalité aux Clermontois : se lever, chaque jour, dominé par cette masse tutélaire et menaçante, voilà de quoi rendre philosophe et rappeler incessamment l'inanité de nos destins et la vanité de nos entreprises... Ce n'est pas un hasard si Pascal est Auvergnat... D'ailleurs, nous en parlons souvent, là-bas...
Pour la première fois de ma vie, et la dernière j'espère, je vois un fantôme soupirer. Il fait de plus en plus froid...
- Je sais, Vern, où tu te trouves. Moi aussi, j'ai perdu, et plus qu'à mon tour... Mais que veux-tu, dans le sport, comme dans la vie, il n'existe pas de justice, et de morale, encore moins. Les meilleurs, les plus entreprenants, ne sont pas toujours récompensés... C'est ainsi...
Il se retourne et me transperce de son regard enflammé de jaune et de bleu :
- Et maintenant, que vas-tu faire ?
J'hésite. A mon tour, je soupire :
- Je ne sais pas... Je suppose que la routine, l'entourage, les échéances, tout cela me ramènera au travail, et très vite... Mais je ne sais pas. Je ne sais pas si j'aurais la force d'analyser sereinement une nouvelle débâcle... Je ne sais pas si j'aurais encore la force de soulever cette carcasse appesantie, si j'aurais encore le courage d'empoigner mes outils et, dans la brume de l'incertitude, repartir au labeur... Je ne sais pas si j'aurais envie de me tromper une nouvelle fois...
- Tu ne t'es pas trompé, Vern. On ne se trompe pas, lorsqu'on échoue à cause de ses convictions.
Il y eut un nouveau silence. Puis un tourbillon violent fit s'envoler tous les papiers de mon bureau. Les feuilles claquèrent dans le tumultueux zéphyr et le fantôme disparut, comme il était venu. L'atmosphère se réchauffa d'un coup et je demeurai seul au milieu des documents répandus dans la pièce.
Après un temps qui put durer une seconde comme une heure, je décidai de rentrer chez moi.

jeudi 2 mai 2013

Argent pas facile

Après les dernières déclarations de Mourad, je discutais du sponsoring avec René. Celui-ci me proposa, à titre d'illustration, de l'accompagner dans une tournée de collecte de dons.
René m'avait donné rendez-vous au petit matin devant la porte du stade. Au début, je ne l'avais pas reconnu : il était déguisé en chauffeur - livreur et m'attendait devant une camionnette banalisée.
- Tu comprendras tout à l'heure, me dit-il sans autre explication.
Nous nous mimes en route, direction Egliseneuve d'Entraigues, petit village de marchands de draps à la splendeur défunte et victime de l'exode rural.
- Victime aussi du plateau de Durbise, marmonnait René au volant : quand il faut que tu te coltines les quinze derniers kilomètres dans le blizzard avec le tube, merci bien...
Effectivement, passé Besse-en-Chandesse, nous pouvions voir que nous rentrions dans la Haute Auvergne...
Arrivés à Egliseneuve, René gara la camionnette à cheval sur le trottoir dans la rue principale, devant une maison qui ne payait pas de mine. Sur la boîte aux lettres, était collé un ruban adhésif DYMO sur lequel on pouvait lire : LOGICA, Consulting Technologique. René fit grincer le portail défraichi et nous traversâmes une petite cour qui avait tout du bric à brac et de la brocante : des objets rouillés divers et variés s'entassaient entre des pneus et des carcasses de tracteurs, et, dans un coin, une vieille 504. Chose étrange, René avait à la main un carton. Il sonna à la porte. Après quelques instants, des bruits de multiples serrures se firent entendre. René cria :
- Un colis pour vous, Monsieur ! C'est l'Homme Moderne !
La porte s'entrouvrit et une tête de vieil auvergnat se fit apercevoir dans l’entrebâillement : yeux chafouins enfoncés entre un front ridé et des joues couperosées, surmontés d'un béret et long nez retroussé prenant racine dans une épaisse moustache grise...
Le vieil homme observa le paquet, puis leva les yeux vers René : il eut soudain comme une révélation et, avec une vivacité insoupçonnable, tenta de refermer la porte. Trop tard : René avait intercalé son pied. De l'autre côté de la rue, derrière les fenêtres, des rideaux s'agitaient : les voisins venaient au spectacle. J'aperçus une figure patibulaire qui disparut aussitôt que nos regards se croisèrent. Autant par peur du qu'en dira-t-on que par la virulence avec laquelle René poussait la porte, l'hôte des lieux fut obligé de nous céder le passage.
Une fois notre entrée garantie, René balança le carton sur un tas de La Montagne, en fait, une collection des vingt dernières années de La Montagne méticuleusement entassés et empaquetés avec de la ficelle. Voyant mon air étonné devant ce spectacle, notre homme lança avec un fort accent local un :
- Eh Miladiou ! On sait jamais...
qui me plongea dans une certaine perplexité.
René, tout en se débarrassant de sa combinaison de livreur, commença la conversation avec jovialité, comme il est de bon ton dans vos campagnes, et parlant fort, présumant de la surdité du bonhomme :
- Alors Monsieur Robert - j'ai modifié le nom - toujours la même voiture ?
- Eh Vindieu ! Ça coute cher ! Et puis l'essence, aujourd'hui...
- Bon, vous nous servez un petit canon ?
En aparté, René me dit :
- Je sais qu'il est tôt, mais c'est l'un de nos plus gros contributeurs, du genre que Mourad nous envie... Alors il faut faire des efforts...
Nous entrâmes dans la salle à manger où régnait une indéfinissable odeur que je ne saurais vous décrire : pour l'expérimenter, il faut avoir été dans la salle d'attente du médecin de campagne...
Monsieur Robert récupéra trois verres dans son évier qu'il récura à l'eau du robinet avec deux doigts aux ongles noirs, puis s'empara d'une bouteille de vin rouge consignée et sans étiquette. René, avec un sourire forcé, dit :
- Ah ! Je vois que nous avons droit à la cuvée de la maison.
En servant, Monsieur Robert répondit :
- Oh ! Les autres y sont pas meilleurs...
On trinqua au-dessus de la toile cirée dans les verres Duralex et René et moi réprimâmes une grimace à l'ingestion du colorant. Un homme capable de survivre à la consommation régulière d'un tel produit n'est pas du même bois que le commun des mortels...
- Alors Monsieur Robert, enchaîna René, ces comptes en Suisse ?
- Ouh Là ! Jamais ! J'ai toujours été au Crédit Agricole ! Y'a pas d'raison de changer. Au moins, on sait où sont ses petits...
- Bon Monsieur Robert, reprit René, vous savez pourquoi je suis là ?
Monsieur Robert eut une moue gênée et regarda fixement son verre.
- Notre petit chèque annuel, poursuivit René enjoué.
De mauvaise grâce, Monsieur Robert se leva et s'en fut farfouiller dans un tiroir de son bahut. Il en revint avec un chéquier. Il se mit à remplir le chèque. René fit claquer sa langue sur sa gencive :
- Allons, allons !
Puis, d'un signe de la main, il montra une photographie jaunie encadrée qui trônait au-dessus d'un buffet et que je n'avais pas remarquée : on pouvait y voir Monsieur Robert, jeune, et François Michelin.
Monsieur Robert lança un regard désaprobateur à la photographie, puis ajouta un zéro à son chèque.
- Voila, c'est mieux ! fit René en s'emparant du chèque.
Le mauvais moment passé, nous restâmes discuter encore quelques minutes, nous nous administrâmes un nouveau coup de rouge, puis nous regagnâmes notre camionnette. En redémarrant, René lança :
- Et l'autre qui croit que c'est facile...

dimanche 28 avril 2013

Being a Munsterman

I am Irish. Born in Limerick, but living in Paris. Work for a bank from Monday to Friday. But when saturday comes... I'm a Munsterman. A Proud Member of the Red Army. The Justified and Ancient, Unbeatable Red Army. So thought I...
A few weeks ago, I decided to come down on my own to Montpellier to see my favourite playing against that famous French team which is said to be able to beat Les Bleus... The harder they come... I struggled to get some tickets for the game, but finally found one : right in the middle of the Yellow Army fans stand. Surrounded but not sunk, I was meant to be a red partisan in a yellow but not mellow ocean...
Drove down to Montpellier, rather than going by TGV. Don't know why. Maybe I wanted to meet L'Auvergne before the match, see where those fantastic fans were living and check if the volcanoes were really asleep... I was not disappointed : I will always remember my journey through the Col de la Fageole. I could not imagine it could be so snowy in the so-called "French enchanted April"... I eventually found my way through the blizzard... But most striking was that long and unfinished blue and yellow motor snake which winded from Clermont until Montpellier. For sure, I was on the track. For sure, the afternoon would not be a picnic on the pitch for Paul and his team mates...
Registered in the hotel, then headed to the stadium. Proudly wearing my red jersey, I must admit I was not so confident, alone in the yellow tide... But I felt reassured when some happy, friendly and joking French faces came to me to offer me a beer - French I was afraid, but always good to have... We began to talk : the few French I took vis à vis the worst English I ever heard in the world...
"Munster ! Good ! Good ! Red Army ! Good game ! Good !" they kept on saying, with the smiling face of the too-early-in-the-afternoon drunkeness... I did my best to reply "Merci beaucoup ! Santé !" but I was quickly separated from my new friends, in the search of my seat in the Canigou stand.
Once again, I was not disappointed : if you saw a little red spot in the middle of a yellow field, that was probably me... What an atmosphere ! I could not hear myself shouting during the game ! I was deaf after the end of it !
Indeed that was a huge game. It was a test match intensity down on the pitch, no wonder ! First half scared me : we were promised hell, and that was it... No ball, no scrum, no line out... A machine was walking on our side and no one could stop it... I was even happy to be only ten points below at half-time. Could have been worse...
Anyway, I felt more and more comfortable : the stadium was smelling beer. I took advantage of the break to look for a buvette. There, I found a lot of Yellow Army Fans in lively discussions about the game. I fraternized with some decent chaps speaking a better English. We spoke about that incredible blind-side flanker, jumping on every ruck, named Bardy. A Portuguese guy, they told me. I thought they were making fun of me, but, indeed, he was Portuguese... What a warrior, I said... We drank and spoke for a while. From that moment on, my memory is not so sharp it should have been...
I only remember that when I was back in the stand, the second half had begun a few minutes ago... The Reds were attacking in the Clermont side and suddenly, the thunder stroke from ROG. Yeeeaaaaahhhhh ! And the conversion ! Six below and twenty minutes to go ! Come on Munster ! That was a game changer and everything was set up for a nail-biting climax... I thought it was done when Nalaga got muddled up on his line. But then again, no... I was furious against Nigel Owens when he whistled that forward pass in the last minute. And then it was over... Incredible atmosphere : those guys were shouting, jumping, singing La Marseillaise, dancing, even crying, everywhere... For sure, they deserved their win and their joy. I was absolutely gutted, but forced to admit our defeat. And very proud of my team : they struggled until the end and never surrendered... I congratulated my French neighbours who told me several times "Sorry good game". I don't know why they all keep on telling the same line...
I staid a little while in the stand, waiting for the team to salute the fabulous Red Army, which had merrily come along from this marvellous Erin Shore I miss sometimes in the French capital... All these fighters, Paul, Keith, James, Casey, Conor, Ronan... Well done, boys, see you next year for the strike back of the Red Empire... I almost cried when I saw ROG saying good byes with his son in his arms... I don't know why, but when I saw him, I had in mind that silly Top Gun song from the Righteous Brothers You've lost that loving feeling...
Fuck ! I love you Ronan ! I love that team ! I love that game ! I even love you, you French Bastards, with your fucking great team and fucking great supporters !
Merci pour tout, les Auvergnats. Les Munstermen vous saluent, vous souhaitent bonne chance et vous disent à l'année prochaine pour la revanche !

jeudi 25 avril 2013

Complaisance

Le petit matin blême. Je regagne ma garçonnière, seul et titubant, triturant la clé à la recherche d'une serrure revêche. La porte est ouverte. Bof... J'ai du oublier de la fermer en partant... J'entre. Je n'ai qu'une envie, m'allonger dans mon lit king size à baldaquin, tirer la moustiquaire et dormir du sommeil de l'ivrogne.
Je vois une ombre assise dans le canapé.
- C'est toi, Brock ?
Pas de réponse. J'avance d'un pas chaloupé, échappant, tel Wesley Fofana dans la défense anglaise, aux plaquages de la table basse et du fauteuil club.
Ce n'est pas Brock. Brock avait encore des cheveux la dernière fois qu'il est venu ici. Je suis ivre, mais pas encore assez...
Je m'approche : P... Vern ! Il est vrai que je lui ai donné les clés.
- C'est à cette heure-ci que tu rentres ?
Je respire péniblement, réprimant une nausée, et prends appui sur l'accoudoir du canapé.
- Vern, qu'est-ce que tu fais ici ?
Je m'affale dans le fauteuil qui lui fait face. Dans la pénombre, sur la table basse, je devine le cimetière de pizzas, de bouteilles de bières et de paquets de chips éventrés que j'ai consciencieusement alimenté depuis plusieurs jours. Ce spectacle peu ragoutant me fait penser à la défense du Stade Français et la nausée me reprend : j'ai le vertige.
- Regarde moi dans quel état tu t'es mis... Et regarde moi le bordel dans cet appartement... Tu espères ramener quelqu'un comme ça ?
- Justement, répliqué-je dans un accès d'humeur : c'est ma meilleure défense. Jamais je n'oserai inviter une personne convenable dans ce capharnaüm digne du projet de vie collective du Racing. Ainsi, je suis sûr de ne pas fauter.
Satisfait de ma réponse, je cherche ses yeux perçants dans le noir. Il ne bronche pas, immobile. Je déteste lorsqu'il est comme ça. Je sens sa colère froide comme la soupe chinoise qui trempe dans le bol qui repose sur la table entre nous deux. Enfin, il se décide à attaquer :
- A quoi tu joues ? Cela fait plus d'un mois que tu n'as rien sorti. Je viens pour prendre de tes nouvelles, et je vois que tu te laisses aller... Complètement...
Je m'empare de la télécommande qui était cachée sous une feuille de papier vierge : le "Plan stratégique 2015" du XV de France, que je m'étais procuré à grand frais grâce à Richard Escot. J'allume la télé : j'étais resté sur une chaîne bolliwoodienne. J'aime le cinéma indien, c'est reposant : il y a des méchants tricheurs, des gentils méritants, et, à la fin, après bien des péripéties, les gentils gagnent, les méchants se repentent et la morale est sauve. La plupart du temps, on pleure de joie. Tout le contraire du sport professionnel...
- Avec tout le respect que je te dois, Vern, tu m'emmerdes. Je suis comme Sella à Agen : je ne sais pas quoi faire, je suis bloqué. Il n'y a plus rien qui sort...
Je contemple la belle héroïne à la peau mate et au nez légèrement aquilin. Le visage de Vern est éclairé à moitié par la lumière diffuse provenant de l'écran. Il n'a toujours pas sourcillé. Je poursuis :
- J'ai beau y penser tous les jours, rien... Même le MIDOL ne me fait plus réagir... Mourad et Bernard m'indiffèrent... Paul O'Connel me fait l'effet d'un joyeux drille... Salviac me manque... J'ai perdu toute velléité sarcastique. Je n'ai plus de fiel... J'ai le sens de l'humour d'un Mormon neurasthénique... Et tout cela, c'est ta faute !
J'observe Vern du coin de l’œil, tout en essayant de comprendre pourquoi la Belle a poussé du balcon le Gentil et non pas le Méchant. L'argent, certainement... Mon Divin Chauve paraît surpris, lui aussi. J'embraye :
- Et oui ! Figure-toi que j'ai été élevé dans les travées d'un Stade Marcel Michelin que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître... On y voyait des équipes comme Aire-sur-Adour ou Mazamet ! Alors contempler Sivivatu faire une passe après contact dans l'intervalle à Regan King, ben moi, ça me fait chialer de bonheur... Et surtout, ça me laisse coi. Tous les week ends, je pleure ! Et le lundi, quand je me demande ce que je vais bien pouvoir raconter pour faire ricaner trois pékins qui s'ennuient au bureau, eh bien, je flanche : je vois Mike Delany et je souris comme un adolescent en chaleur... Tout le monde nous encense. On pratique l'un des plus beaux rugby jamais joué en France et en plus, on gagne... Que veux-tu que je rajoute à cela ? Donc, pour compenser cet excès de plénitude, je glande devant la télé, je bouffe des plats à emporter, je sors et je picole... Avant, je pouvais compter sur l'ASM pour instiller une nuance d'inachevé et de déception dans ma vie... Aujourd'hui, je dois trouver un nouvel exutoire à ma déprime et mon insatisfaction...
Vern soupire. Il se lève, s'empare de la télécommande, éteint le téléviseur, au moment même où le bon flic original et sa plantureuse assistante ingénue commençaient à cuisiner le couple diabolique.
- J'aurais préféré une séance vidéo de meilleure facture, lance-t-il.
De nouveau le silence. Je cherche sur la table une canette de bière encore consommable. J'en trouve une que je porte à ma bouche. Je grimace et je recrache aussitôt le liquide tiède souillé par la cendre d'un mégot... Vern m'observe avec commisération. Indigné, je reprends :
- Et puis, je suis comme l'équipe : moi aussi, contrairement aux apparences, je grandis ! Et je ne veux  plus de billets faciles qui vont flatter mon lectorat.
Vern soupire à nouveau.
- Et ton livre, ça en est où ?
Les coups bas, maintenant...
- Il est prêt, enfin presque... J'attends que tu aies réalisé le doublé : la période sera plus propice à la vente...
Je soutiens son regard, avec une moue avinée que j'espère provocatrice, mais qui ne doit être que pathétique. Vern se lève, se dirige vers la porte, se retourne vers moi avant de l'ouvrir :
- Pour ta gouverne, réaliser le doublé, cela demande de l'opiniâtreté, de la précision, de la chance, du talent, et surtout, beaucoup de travail. Lorsque tu auras fini de procrastiner, on pourra en reparler...
Là-dessus, il sort et ferme la porte sans bruit.
Je me retrouve seul avec mes cadavres peu exquis. J'ai dessaoulé plus rapidement que prévu, je n'ai plus sommeil.
J'allume mon ordinateur, et, dans le petit jour, je tente une relance de l'en-but.

lundi 18 mars 2013

Trou de la Sécu

Ludo et Kevin étaient tranquillement assis dans la salle de repos en train de faire des sudokus et lire des magazines pour hommes, quand Morgan est revenu du Tournoi.
- Salut les COTOREP ! a-t-il lancé jovialement, et si sympathiquement, comme à son habitude.
Kevin et Ludo n'ont d'abord pas vraiment fait attention, habitués qu'ils sont de ces incises pertinentes et impayables. Mais ils ont aussitôt après levé la tête avec circonspection, certainement alertés par un bruit inhabituel, celui des béquilles sur le carrelage. Ludo et Kevin se sont consultés du regard, interdits, puis se sont tournés vers Morgan :
- Merde, tu es blessé ! a fait Rado.
- What happened ? a renchéri Kevin.
- Putain les gars, vous regardez pas les matches du tournoi ?
Ludo et Kevin ont eu l'air un peu gêné...
- Euh... Ben ouais... Tu sais... Y'avait The Voice... Et puis au début on a cru que c'était Le Plus Grand Cabaret du Monde - Le Bêtisier. Alors, tant qu'à regarder un spectacle commercial, autant voir de vrais artistes... Et puis question "jury" et debriefing, Jennifer est plus mignonne que Jacques Verdier...
- OK, ça va les gars, vous fatiguez pas, j'ai compris. D'un autre côté, je vous pardonne, moi aussi je me suis cassé avant la fin...
Kevin a alors osé un :
- Et... Ta blessure... C'est grave ?
- Ouaip, quatre semaines minimum, peut être plus...
Kevin et Rado ont alors pris l'air intelligent de ceux qui calculent dans leurs têtes... Puis l'air inquiet de ceux qui voient leurs vacances s'évaporer :
- Mais alors Toulon... Et le quart de finale...
- Et ouais les pygmées ! Vous allez faire remonter les statistiques RSE de la boite en temps de travail de minorités visibles !
Kevin et Ludo ont commencé à paniquer :
- Ah mais non ! C'est pas possible ! Nous on a signé pour les doublons et Mont-de-Marsan ! On veut bien dépanner pour Castres et Bayonne, grand maximum, mais au printemps, c'est ton tour !
- C'est vrai quoi ! Tu as pensé un peu à nous ? Tu crois vraiment que tu peux débouler comme ça avec tes béquilles et nous... et nous... et nous mettre dans la merde ! a renchéri Ludo.
Kevin, pensif :
- On est foutu... Si près de la retraite... John m'avait bien dit de pas venir...
Rado a balancé son Play-Boy de rage :
- Pfff ! J'ai plus goût à rien maintenant ! Autant signer au Stade Français... Là-bas, c'est sans risque... Mon agent m'avait prévenu... Kevin, passe-moi le 06 de la Skrèle, il a trouvé une combine pour se barrer...
C'est alors qu'un individu en costume est rentré tout excité dans la pièce :
- Ça y est, j'en ai un ! a-t-il crié en désignant Morgan.
Jean-Marc est arrivé juste après, essoufflé :
- Bonjour Messieurs. Je vous présente M. Falot, inspecteur de la sécurité sociale. Il vient enquêter sur les dépenses médicales excessives, selon lui, du club.
- Excessives, oui, oui, c'est un fait ! reprit aussitôt l'inspecteur. Cela cache quelque chose. Il y a une arnaque là-dessous, et je suis là pour la découvrir !
Le médecin du club entra à son tour :
- Mais enfin, M. Falot, il n'y a aucune arnaque. C'est un club de rugby, ici. La douleur, la blessure, font partie du quotidien !
- Ah oui ? Le sport n'explique pas tout ! En particulier pas ces dépenses élyséennes à la clinique de la Châtaigneraie, notamment pour un certain M. Skrela, la carte VIP au centre de radiologie et d'imagerie médicales, le partenariat avec les laboratoires Chibret... Même dans une équipe cycliste, il n'y en a pas autant... C'est parfois tellement grossier que j'en rirais presque : les guérisons miraculeuses de M. Rougerie, par exemple. Non non ! Ce n'est pas du rugby, c'est Lourdes !
Le médecin ne perdit pas sa contenance :
- Nous pouvons prouver tout cela !
- Eh bien prouvez-le, alors !
Le docteur sortit d'un grand carton à dessin une dizaine de radiographies qu'il étala sur le carrelage blanc :
- Voyez-par vous même !
L'inspecteur partit d'un grand rire :
- Vous me prenez vraiment pour la défense d'Agen. Je ne suis pas aussi naïf. C'est le squelette d'un homme de soixante ans !
- Mais pas du tout, au contraire, il s'agit de l'un de nos meilleurs joueurs !
Le docteur désignait du doigt une radio étiquetée "Gerhard Vosloo".
L'inspecteur reprit, inquisiteur :
- Et puis ce dossier médical que vous trainez derrière vous sur un diable (il montrait un tas de papiers d'un mètre de haut sur un petit chariot), vous allez me dire qu'il appartient à un joueur de 27 ans ?
- Exactement, c'est celui de notre pilier international, Thomas Domingo !
- Allons ! Allons ! Il n'est pas normal d'être aussi abimé avant d'avoir atteint trente ans...
Jean-Marc crut devoir intervenir :
- C'est le sport de haut niveau... Ça marque...
L'inspecteur considéra Jean-Marc un instant, puis répondit, désormais visiblement convaincu :
- Moi qui pensais que le sport c'était la santé : c'est décidé, demain je reprends la cigarette...
Furetant alors parmi les dossiers médicaux que le médecin lui présentait, il s'arrêta soudain sur l'un d'eux :
- Ah mais je vois que vous avez tout de même quelqu'un en bonne santé dans votre effectif !
Le médecin parut surpris. Il jeta un œil suspicieux sur la couverture du dossier, puis déclara, soulagé :
- Ah mais, c'est une erreur ! C'est le dossier médical du gardien du stade !

samedi 9 mars 2013

Parrattitude

Vous vous souvenez que j'avais débuté une série « d'entretiens de carrière » avec mes joueurs. J'avais naturellement reçu en premier mon capitaine, Roro, qui m'avait fait part de sa volonté de se recentrer. Aujourd'hui, je vais vous relater mon entrevue avec Morgan Parra.
Morgan est entré dans mon bureau avec son air incomparable d'ingénu insolent. Sourire en coin, il regardait partout autour de lui, avec une ostensible moue de satisfaction.
- Salut Vernon – tu permets que je t'appelle Vernon ? C'est la classe ton bureau...
En s'asseyant, il s'empara d'une photo de famille encadrée qui agrémente mon plan de travail :
- C'est tes gamins ? Ils ont l'air sympa...
Puis il reposa le cadre, se cala dans son fauteuil et me regarda droit dans les yeux :
- Qu'est-ce que tu veux savoir, coach ? Ah oui ! Je te mets à l'aise tout de suite, on peut se tutoyer.
Un peu abasourdi par cette entrée en matière pour le moins cavalière, je ne me départis pas de mon calme pour autant :
- Eh bien je pensais qu'on pourrait un peu discuter de ton avenir...
- Alors je t'arrête tout de suite : tout est déjà écrit, décidé !
La surprise dut marquer mon visage habituellement impassible :
- Ben oui ! Pas la peine de faire cette tête-là ! Il faut être lucide ! Magnéto – il mime avec son doigt le rembobinage d'une bande magnétique – 2009, j'arrive au club : je tâtonne, je me cherche, je m'impose. Brock nous fait son burn-out et je décide de prendre les choses en main. Résultat des courses, on gagne. Je te résume vite la situation en équipe de France. 24 ans, déjà cinquante sélections (mieux que Wilko!), un grand chelem et une finale de coupe du monde. Et encore, celle-là, si je ne me fais pas mccawer la tronche, on transforme la Nouvelle Zélande en Haïti après le passage d'un nuage de criquets... Bref, je te fais pas un dessin... En corollaire, je me suis déjà goinfré plusieurs générations de demis de mêlée : exit les Yachvili (trop vieux), les Dupuy (trop tuberculeux), les Tillous-Borde (trop musclé), les Doussain (trop transparent) ... Le Machenaud a fait illusion le temps d'un automne, mais bon, le pauvre, il joue au Racing... Je peux te dire que le sélectionneur qui va oser se passer de moi n'a pas encore été embauché comme consultant sur France 2... Donc... Étant donné que je suis là pour un bail et que je suis à peu près le seul qui réclame des responsabilités, je me donne deux ans, vue la conjoncture actuelle, pour devenir capitaine du XV de France. D'ailleurs, tu as pensé à l'après Rougerie ? Il va bien falloir songer à le remplacer un jour l'ancien du gaz... Parce que c'est sûr, c'est bien d'avoir un ambianceur de vestiaires, mais bon, Elvis, il a fait son temps... Place aux jeunes, hein ? Comme on dit !
Sur ce, il croisa ses jambes et posa négligemment ses baskets vintage sur le coin de mon bureau, précisément sur le tas de fiches de joueurs qu'on supervise avec la cellule de recrutement. J'allais reprendre la parole mais il n'en avait pas tout à fait terminé :
- Bon, et puis il faut voir les choses en face : si tu veux prendre les All Blacks, il va falloir vaincre autre chose qu'une malédiction. Regarde Joe : il frappe déjà à la porte de la sélection irlandaise et nous on en est encore à se palucher sur You Tube en regardant des vidéos de 2010 et des gif animés où tu chiales avec Mario. Nan, cette année, il faut ramener quelque chose, et , de préférence, pas le prix du meilleur public ou celui de la convivialité. Moi, je laisse ça à Bayonne... Cette année, je veux repartir de la Nuit du Rugby comme Gengis Khan est reparti de Samarkand et de Bagdad : tout doit disparaître !
Maintenant amusé par la faconde du Merdeux, je tente un trait d'ironie :
- Oui... Le doublé, sinon rien...
Il soutient mon regard avec un sérieux qui n'est pas loin de me déstabiliser :
- Pourquoi ? Tu pensais à autre chose ?
Il remballe alors ses jambes, et emporte avec elles une fiche qui tombe par terre, en feuille morte. Il s'en saisit aussitôt, la consulte avec un petit rire et me la tend, en me disant :
- Tiens, un Lourdais, comme toi... Tu m'excuseras, j'ai marché dessus... Allez, je te laisse, on m'attend à Marcoussis, ils ne peuvent plus se passer de moi.
Et il me laisse là, avec la fiche de Thierry Lacrampe imprimée de sa semelle...

lundi 4 février 2013

Ah ! Les vacances !

Ah ! Les vacances ! Enfin du temps ! Du temps pour penser à autre chose qu'au rugby. Du temps à consacrer à sa famille, à soi, au rangement du garage, à la coupe du gazon et du bois, à la clôture qui bée, au robinet qui ferme mal, à la Harley qui tousse, au chien qui a des gaz, à sa déclaration d'impôts, à ces douleurs récurrentes aux lombaires, aux tuiles faîtières qui branlent, aux dissensions dans le voisinage, à la situation économique du pays, aux enfants soldats en Afrique, à l'apparition des narco-Etats, aux quarks et à l'extension de l'univers, aux trous noirs et à la fin du monde, au sens de la vie, à la …
Ah ! Les vacances ! Vraiment, un bon moment ! Un moment où l'on ne vient pas vous rappeler à chaque instant que le doublé est impossible, que les doublons sont possibles, que Brock n'a pas de double, que si on ne gagne rien cette année, on ne gagnera jamais, que le Stade Toulousain joue mal mais qu'il est tout de même devant nous au classement, que ce n'était pas le Grand Leinster cette année...
Ah ! Les vacances ! Justement, je profitais de ces instants privilégiés en me promenant tranquillement dans la campagne avec ma femme et le chien, l'esprit vide de toute préoccupation extérieure.
- A quoi penses-tu mon amour ?
- Pas à la préparation physique des joueurs, en tout cas, Ah ça non ! Encore moins à la prochaine séance vidéo, ni à la composition de l'équipe, certainement pas !
Ma femme me regarda d'un air réprobateur...
- Je suis désolé, c'est plus fort que moi, je n'y arrive pas... Mais je vais faire des efforts, je te le promets.
Nous nous blottîmes l'un contre l'autre et continuâmes à marcher lentement.
- Qu'est-ce que tu fais mon amour ?
- Rien, rien ! J'ai un truc qui me démange dans la poche...
- Un truc qui s'appelle un téléphone portable... Donne-le moi s'il te plaît.
A contre cœur, je lui donnais mon téléphone, sur lequel j'avais téléchargé quelques actions du dernier match pour les analyser...
Après une heure interminable à profiter d'une balade en couple, des beautés de la nature, de la solitude du promeneur, à faire des passes vrillées au chien avec des pommes de pin, à déplacer avec le pied, à chaque pause, très innocemment et sans avoir l'air d'y toucher, des petits cailloux sur le sol pour simuler un lancement de jeu, ma femme finit par abdiquer :
- C'est bon, Vern, on rentre à la maison.
Le chien jappait joyeusement en me tournant autour, réclamant sa pomme de pin. L'espace d'un instant, j'ai cru que c'était Morgan qui me demandait s'il pouvait jouer le prochain match.
Une fois à la maison, je débouchais une petite bière hollandaise que j'avais appris à apprécier avec le temps. Elle ne m'avait pas donné d'aigreur cette année. Puis, je prenais un bon livre, au coin du feu, pour me détendre : Le Rugby, Noble Jeu, par Paul Audinet (je vous le conseille).
Ma femme finit par s'asseoir à mes côtés, puis m'adressa un nouveau regard noir lorsqu'elle vit l'objet de mon attention. Je protestais :
- Ça parle du rugby amateur !
De guerre lasse, elle prit un magasine sur la table basse : Rugby Attitude. Elle le jeta loin derrière. Rugby Mag. Nouveau renvoi aux 22. Rugby Info Clermont.
- Non ! Pas celui-là ! Il y a un poster de Brock au plaquage à l'intérieur ! C'est collector !
J'ai cru qu'elle allait s'énerver. Elle reposa le magasine :
- Où sont mes Vanity Fair et mes Vogue ? Et mon Voici ?
- Ah ! Pour les ragots, tu as le MIDOL !
Elle soupira bruyamment et s'empara de la télécommande. La télévision s'alluma sur ESPN Classic, une rediffusion de la RWC 2011. Ma femme tendit le bras pour changer de chaîne, appuyant frénétiquement sur le bouton. Rien à faire, la télécommande était bloquée... Je fis mon plus beau sourire gêné. Ma femme balança la télécommande sur le tas de magazines et s'en fut dans la cuisine.
Après quelques minutes, je ne tenais plus en place. Je pris mon manteau et mes clés de voiture :
- Chérie, je vais chercher du pain !
Elle n'eut pas le temps d'objecter qu'il était trop tard et qu'on avait de toutes façons déjà du pain, j'étais déjà en route vers le stade.
Il faisait nuit lorsque j'arrivais. Les bureaux étaient déserts. Je me mis au travail. J'eus soudain l'envie d'appeler Maître Guy. Il décrocha rapidement.
- Vern ? C'est toi ? Comment se passent les vacances ?
- Euh ! Bien ! Bien ! La famille, la maison, tout ça... Et toi ?
- Pareil ! Pareil ! La maison, la famille...
Un silence. Guy lâcha le premier :
- Je suis en salle d'analyse vidéo. J'ai eu un doute sur une combinaison en touche pendant un Albi – Montauban en 92... Il n'y a personne d'autre que moi ici, mais je suis bien.
- Moi aussi. Je bosse mon quart de finale. Je suis tout seul. Effectivement, c'est agréable de travailler entre professionnels.
Nouveau silence. Je demandais, un peu inquiet :
- Guy, tu ne crois pas que j'en fais un peu trop ?
- Au contraire, Vern, au contraire. Fais moi confiance, tu es sur la bonne voie !

dimanche 20 janvier 2013

Homeland

Centre d'interrogatoire secret de la cellule de recrutement de l'ASM - Quelque part en Auvergne.

La femme, d'âge et d'origine indéterminés, est assise, les coudes sur la table. Elle tente de se donner une contenance, son fume-cigarette négligemment tenu entre deux doigts fins. Elle ne parvient pas, cependant, à dissimuler sa nervosité. Ses grands yeux noirs vont de droite et de gauche et ne trouvent pas un point où se fixer, ce qui est par ailleurs assez déstabilisant pour l'interlocuteur : on ne sait jamais où elle regarde, et, partant, ses intentions à votre encontre. Son physique ne laisse pas indifférent : elle est indiscutablement belle, racée, élancée mais elle ne donne aucune impression de fragilité. Ses articulations sont fines, mais on devine un corps musclé et entretenu soigneusement, quoique féminin, sous sa robe fourreau noire.
A mes côtés, un scout déclare :
- Elle a des heures de vol, mais elle est encore tankée, l'Ancienne... Un poil de chirurgie esthétique et elle est repartie comme en 1996...
Derrière la glace sans tain, je l'observe attentivement. Soudain, j'ai l'impression qu'elle me fixe à travers le miroir. A-t-elle senti ma présence ? Il faut dire que cela fait un bail que je la piste, cherche, courtise, piège... Je l'ai croisée très régulièrement depuis mon arrivée en Auvergne, sur différentes opérations. Je l'ai souvent doublée, mais, au final, elle a -presque- toujours emporté la mise... Derrière moi, Stéphane fait tourner des images :
- C'est bien elle. Regardez : on la reconnaît en 2008, jamais très loin du professeur Novès. Elle est également présente en 2001. En revanche, on n'a plus aucune image d'elle depuis presque trois ans.
- C'est vrai qu'elle a bien vieilli... dis-je, songeur... Qu'est-ce qu'elle fait là ? Et cette tenue ?
Jean-Marc entre. Il prend la conversation au vol :
- Elle est habillée pour un gala. Elle devait partir à Londres pour une opération demain. Le gala lui servait de couverture. A vrai dire, elle est un peu en froid avec ses collègues en ce moment. Elle a trouvé un prétexte pour ne pas partir avec l'équipe... et elle s'est présentée au Bureau, dans cette tenue, la nuit dernière. Depuis, on fait des recoupements... Je l'interromps :
- Un piège ? Un agent provocateur ?
- Un transfuge plutôt... On a bien étudié le dossier. Tout concorde. Elle a cessé pratiquement toute activité à Toulouse depuis deux ans. Elle est publiquement en désaccord avec la nouvelle ligne du parti. Elle désapprouve totalement la façon dont sont conduites les affaires par le Grand Maître Guy. Nos informateurs nous disent qu'elle a coupé tous les ponts avec le numéro 3. La dernière personne à qui elle accordait sa confiance était McAllister. Mais le torchon brûlait déjà fort depuis quelques mois...
- On dirait bien qu'elle est en train de passer à l'est.
Le président était entré à son tour et avait prononcé cette phrase avec un ton d'apparente satisfaction. Il semble encore plus fatigué qu'à l'habitude. Il avait été réveillé en pleine nuit dans son nid d'aigle des Alpilles et avait pris un jet privé en catastrophe.
- Elle est moins belle qu'Angelina, mais je l'accepte volontiers à Eygalières... Vern, qu'en penses-tu ?
Tous les regards se tournent vers moi. Je demeure silencieux un long moment. Cette pièce anonyme et froide me rappelle tant de souvenirs : c'est ici que j'ai fait mon plus gros coup après l'échec de l'opération McIntyre. Je me revois en train de cuisiner Brock. C'est ici que j'ai retourné mes deux meilleurs agents, alors exfiltrés d'une Berjallie en décomposition avancée...
- Nous allons bien voir...
Et j'ouvre la porte qui donne sur la salle d'interrogatoire.
Dans la lumière jaunâtre et tamisée qui efface les rides, fugitive, lâchée par les siens, fragile, elle est plus désirable que jamais. Dans sa robe de soirée, on dirait une vamp sortie tout droit d'un film noir. J'ai envie de lui dire "Philip Marlow" pour qu'elle me réponde "Vivian Sternwood" en me tendant lascivement sa main gantée... Je me dis que nous avons le même âge, celui de la maturité, et que nous avons tant de choses à accomplir ensemble. Une idée me traverse l'esprit : partons, maintenant, aux Antipodes. Là-bas, nous deviendrons invincibles ! Mais je me ravise, il est trop tôt, et il y a encore beaucoup à accomplir ici...
Je m'assois, nous sommes face à face.
En fait, c'est elle qui lance la conversation :
- Vern ! Quel plaisir ! Je suis venue pour vous, savez-vous ?
- Pour moi... Et pour l'équipe aussi...
- Certes... Vous avez beaucoup d'atouts et d'arguments -pensive- des choses que je ne retrouve plus à Toulouse... Que voulez-vous, une femme comme moi a besoin de changements, d'étonnement, d'incertitude, de mouvement, de classe, enfin. (Elle prend un public imaginaire à témoin.) L'efficacité seule ne m'intéresse pas. Je trouve cela tellement vulgaire...
Je coupe :
- Mais qu'est-ce qui me prouve la sincérité de votre démarche ?
Elle avance la tête et me regarde dans les yeux. Je me dis que je ne dois pas craquer :
- Ecoutez-moi bien Vern. Depuis la mort de William Webb, ce sport n'est plus le même. Comme vous, je suis de la vieille école : je ne fais pas cela uniquement (elle appuie sur ce mot) pour l'argent et le résultat. Je ne suis plus heureuse à Toulouse, et je suis fachée avec la moitié du staff et de l'équipe. Vous le savez, tout est écrit dans vos dossiers...
Elle soutient mon regard, avec un air de défi, puis se détourne.
- Et pourquoi nous ? Pourquoi pas Toulon ?
Elle rit, s'esclaffe presque...
- Allons ! Vern ! Vous me faites marcher ! Toulon... Et pourquoi pas le Racing, tant que vous y êtes ? Vous savez bien que notre métier se pratique dans l'élégance et la discrétion. Et pour tout vous dire, j'abhorre la brutalité de ces sudistes... Non, j'ai besoin qu'un Sivivatu me fasse danser, je veux que Wesley me donne le tournis, que Bonnaire me tienne dans ses mains douces mais fermes, que Brock me double-saute...
Elle commençait à s'échauffer. Le sud-ouest poussait sa corne... Je mettais fin à son monologue ambigu, en faisant glisser du doigt un dossier sur la table :
- Voici votre programme des semaines à venir : tout d'abord, un petit lifting et une cure thermale dans un établissement très privé de Royat. Ensuite, reprise de l'entraînement. J'espère que vous serez prête pour le printemps.
- Allons, Vern ! Je suis déjà prête. Je n'attendais que ça...
Je me levais pour prendre congé.
- Ah oui ! J'oubliais, votre nouvelle identité...
- Quel joli nom de code m'avez-vous trouvé ?
- Jeu à la Clermontoise.