jeudi 9 février 2012

Mon top 10 des phrases à la con du rugby

1. "Les (choisir une équipe) ont été réalistes/ont fait preuve de réalisme"
Le réalisme est un mouvement artistique qui "cherche à dépeindre la réalité telle qu'elle est, sans artifice et sans idéalisation" (Wikipedia). Le Littré nous indique quant à lui que le réalisme est une "doctrine qui suppose que nous connaissons le monde extérieur comme une réalité objective". Je sais que le sport, et le rugby en particulier, possèdent de grands artistes et quelques intellectuels, mais je doute que ceux qui emploient ce vocable à de nombreuses reprises chaque week end, pour qualifier une équipe étant parvenue à marquer dans un nombre restreint de temps forts et à l'emporter alors qu'elle était dominée, le fassent en connaissance de cause. Alors, par pitié, par égard et par amour pour la langue française, Messieurs les joueurs, les entraîneurs et les commentateurs, cessez d'employer le terme "réalisme" à tort et à travers : laissez Champfleury tranquille et parlez-nous plutôt d’efficacité, de lucidité, de performance, de rendement, voire, d'efficience...

Addendum : le réalisme et l'objectivité m'obligent à conférer ce que vous venez de lire au commentaire très pertinent de Martin Quelsot (voir plus bas dans "Commentaires").

2. "Mêlée intéressante"
C"est la version rugby du "corner intéressant", malheureusement popularisé par Christian Jeanpierre au football. Ce dernier l'emploie régulièrement dans ses commentaires, mais il est loin d'être le seul, au grand regret de l'analyste rationnel... Cet adjectif particulièrement recherché est en général utilisé pour qualifier une phase de jeu qui se déroule non loin de la ligne d'en-but, mais pas que. Je suis toujours à la recherche d'un technicien qui m'expliquerait à partir de quel endroit du terrain un ballon ou un lancement de jeu serait plus "intéressant" qu'un autre, en terme d'efficacité ou de danger pour l'adversaire.

3. Les valeurs du rugby
Souvent opposées à celles du football, le sport roi et concurrent (peut être parce qu'il est le seul où l'utilisation du pied est autorisée et où le gardien fait systématiquement des arrêts de volée et des en-avants volontaires ?), les valeurs du rugby sont invoquées à tout bout de champ pour exalter la camaraderie, la solidarité, le dépassement de soi, le fair play, etc... En fait, les valeurs du rugby sont les valeurs du sport en général, et ce n'est pas parce qu'elles transparaissent moins (ou sont moins mises en valeur...) dans d'autres activités, qu'elles ne peuvent pas être incarnées avec autant de pertinence. Ou alors, si l'on souhaite les réserver au rugby, il faut les assumer dans leur ensemble. Donc, ne pas oublier que font partie des valeurs du rugby : se faire tabasser, en tant que joueur de fédérale, sur le bord du terrain par des supporters, distribuer des marrons en douce de l'autre côté du ruck ou de la mêlée (et ce, chez les amateurs comme chez les professionnels...), boire plus que de raison et se bastonner, sans raison, justement, avec des inconnus à la sortie d'un bistrot, dans la foulée, s'endormir dans sa voiture, moteur allumé pour le chauffage avec le protège-dents encore en bouche, utiliser son image pour faire du business, conchier les arbitres pendant et après chaque journée de championnat, et, pour les happy few, profiter à fond des réceptions d'après matches organisées par la FFR...

4. Le French Flair
Moi, le French Flair, depuis que je joue et entraîne en France, je ne l'ai jamais aperçu, même de profil (ou alors c'était le French Blair)... Le jeu qui s'en rapproche le plus, c'est peut être celui de Toulouse, mais on l'appelle justement "jeu à la toulousaine", parce que c'est construit et structuré sur des fondations en béton armé (conquête + technique individuelle). Non, on pourrait à la rigueur parler de Fidjian Flair : relancer n'importe comment en faisant n'importe quoi, juste pour le plaisir. Effectivement, ça me plaît bien, enfin, quand je le regarde à la télé, parce que le premier qui fait ça à l'ASM, il est pas près de rejouer (sauf Sivivatu, Anthony Floch et JM Buttin). Bref, tout ça pour dire qu'après Berbizier et Laporte, et malgré la parenthèse Skrela - Villepreux, la France a revendu les droits du French Flair pour se payer Marcoussis, où on apprend apparemment du bon rugby bien formaté. De toute façon, le French Flair, ça n'intéresse plus les jeunes...

5. "A un moment donné" (variante : "A m'en donner")
C'est le "A partir de là" du rugby. Expression qui nous vient du lointain sud-ouest, avec des petits relents de cassoulet qui nous rappellent que le rugby était encore un sport de bouseux il y a peu, avant les calendriers, les pom pom girls et les barbus... Seuls ceux qui ont conservé l'accent de Gaillac (ou qui feignent d'avoir conservé celui de Dax) peuvent cependant l'employer.

6. La métaphore ou la référence culturelle du MIDOL
Et oui... Les Cahiers du Rugby n'existant pas encore, même si le Rugbynistère ou Boucherie Ovalie sont sur la bonne voie, je me coltine le MIDOL deux fois par semaine pour voir un peu ce qu'il s'est passé sur les pelouses de France et d'ailleurs. Je passe sur les fautes d'orthographe ou les impropriétés que je ne manque pas de relever (la preuve ici - c'est vrai, je ne suis pas parfaitement bilingue...) car ce qui me fait le plus marrer, ce sont les métaphores à deux balles, ou les références à des œuvres, sensées colorer l'article, mais dont l'absence d'originalité le dispute à la platitude, et dont je me délecte chaque lundi et vendredi. En fait, le MIDOL, c'est très Marty 2012 : on ne fait pas dans l'originalité, encore moins dans la finesse. On est au sud de la Dordogne, pas de doute là-dessus. Il y a un petit côté amateuriste et franchouillard, un brin provincial, à la fois roboratif et agaçant. Ça sent plus le "gigot - haricots" que la grande cuisine...

7. "C'est la fête d'Heaslip"
Blague favorite de Mathieu Lartot, qu'il n'hésite pas à proférer à chaque match de l'Irlande ou du Leinster. La première fois, on a tendu l'oreille, croyant à une erreur. La deuxième, on a franchement rigolé. Ensuite, on s'est félicité que France 2 ne diffuse que la HCUP et le tournoi... Variante, lorsque l'Irlande perd : "ce n'est pas la fête d'Heaslip". Invariablement suivie du pari sur le scooter de Fabien Galthié, qui, a lui seul, aurait pu sauver Motobécane de la faillite.

8. "No scrum, no win"
Citation apocryphe d'un dicton anglais, souvent mal compris. Car si c'est une condition nécessaire, elle n'est pas suffisante. La France l'a vérifié à plusieurs reprises à ses dépens. A l'ASM, je lui préfère "No pain, no game".

9. "Pour l'emporter, il faut gagner les duels"
Le degré zéro de l'analyse. Façon élégante de dire : "Pour gagner, il faut leur marcher sur la gueule" ou périphrase de "Il faut rivaliser dans le défi physique". Bref, tout cela est tautologique : le rugby étant un sport de combat, empreint de violence, il vaut mieux avoir l'ascendant physique sous peine de grave déconvenue. Mais cela n'empêche pas commentateurs et joueurs de rappeler ce dogme à chaque occasion.

10. "C'est un joueur rugueux"
Non Jamie Cudmore n'est pas revêtu de toile émeri, Grégory Le Corvec ne raye pas l'émail, Remy Martin ne s'est pas enduit de goudron pour le dernier calendrier des "Dieux du Stade". Le commentateur aime les litotes mais hésite aussi à accuser certains joueurs de préférer "Roller Ball" à "Invictus". Pour éviter de froisser les susceptibilités et ne pas effrayer la ménagère, on émet donc l'hypothèse que ces traces de doigts sur la joue sont causées par un échauffement cutané engendré par un frottis inopiné plutôt que par l'application préméditée d'un steak de phalanges à grande vitesse sur la joue d'un adversaire. Heureusement, les marques de cosmétiques s'intéressent de plus en plus aux systèmes épidermiques des rugbymen et devraient rapidement lisser les dernières impuretés...

4 commentaires:

  1. Lartaud: attaquer la ligne... casser les plaquages... Il en arrive à nous faire regretter Salviac...

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  2. Ben j'avais laissé un commentaire tout à l'heure, et je le vois pas! Qu'est-ce que j'ai bouiné???!...
    [c'était pour dire "J'adore!" et "je croyais que c'était Fabien Galthié à l'origine de "la fête d'Heaslip"...]
    Ah...j'avais oublié le truc à la fin, qui sert à prouver que je ne suis pas un robot!

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    1. Cher Vern, comme d'habitude, un article très intéressant et drôle.
      Mais il me semble que quand on parle de réalisme en rugby, ou dans le sport en général, on se réfère plutôt à la notion de réalisme politique qu'au réalisme artistique.
      Par conséquent Bismarck et sa "realpolitik", et non Champfleury: c'est de ce point de vue que l'expression prend tout son sens et sa pertinence.

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    2. Cher Martin,
      Merci de ton intérêt pour le Blog de Vern. J'avoue que je n'y avais pas pensé, mais il faut m'excuser : j'avais du mal à imaginer que derrière les victoires d'Alexandre (Audebert), il y avait Bismarck et Kissinger... Mais je dois te remercier car ma vision réaliste politique du rugby m'avait caché une évidence : les joueurs et les commentateurs sont en fait et d'une part, des Messieurs Jourdain de la science politique, puisque je doute que la plupart d'entre eux ait jamais étudié les relations internationales, d'autre part de grands idéalistes et des amoureux du beau jeu : lorsqu'ils emploient le terme "réaliste", ils avouent implicitement qu'il a été dérogé à une déontologie qui veut que l'on ne marque des points qu'à l'occasion d'actions magnifiques ou par sanction d'une domination incontestable, et, d'une certaine manière, ils s'en excusent avec un fair play doublé de modestie. Je ne retire donc pas ce que j'ai écrit, ce ne serait pas du jeu, mais je reconnais mon erreur. Et désormais, j'arrêterai de maugréer devant mon téléviseur quand j'entendrai ce mot qui m'invitera d'ailleurs à méditer sur la relation qu'entretiennent rugby, esthétique et éthique...

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