mardi 28 février 2012

Retour de Bayonne

Bayonne...
Il a bien fallu que je leur annonce la nouvelle :
- Bon, les gars, le week end prochain, c'est Bayonne...
Stupeur dans le vestiaire.
- Déjà ? Mais on les a déjà joués l'année dernière...
C'était Jean-Marcellin : il existe une part de candeur dans son talent. Je me demande même si sa candeur n'est pas son talent.
- Et oui les gars, c'est le principe des matches allers - retours...
Elvis reprenait son rôle de grand frère. On sentait bien le poids sur ses épaules pourtant larges. Combien de temps résisterait-il encore avant de s'effondrer définitivement ? Le déambulateur l'aidait beaucoup, mais tout de même, j'en demandais trop à un homme de son âge.
- Si on faisait deux poules de huit sans retours, ça n'arriverait pas des choses pareilles... Voir ça en 2012...
David Skrela lisait mon blog. Je le remerciais du regard pour cet hommage déguisé, mais révélateur de notre impuissance. Il allait falloir aller jouer à Bayonne.
- Et il faut que cela tombe pendant les doublons... C'est toujours les mêmes qui ramassent...
D'habitude, j'aurais ordonné à Alexandre Audebert d'aller faire trois tours de terrain, mais à cet instant, je ne pouvais pas vraiment le blâmer de cet aveu de découragement temporaire...
- On ne pourrait pas prétexter un terrain gelé ? une alerte à la bombe ? la perte du triple A de l'Auvergne ?
Le Tube tentait le tout pour le tout.
- Non Alex, c'est mort. D'un autre côté, si on les bat, ils seront en Pro D2 l'année prochaine, et on en sera débarrassé pour un bout de temps...
- Vous croyez que ce qui s'est passé à Bourgoin arrivera à Bayonne, coach ?
C'était Benoit Cabello qui nous rappelait sa vieille parenté berjallienne. Lui qui avait également talonné à Brive savait ce que c'était que de jouer le maintien dès la troisième journée...
- Je ne sais pas Benoit... Je ne sais pas... Les Basques sont puissants... et durs au mal... Mais l'Union Soviétique s'est bien effondrée du jour au lendemain après avoir vaincu la plus puissante armée du monde...
Ils méditèrent tous cette vérité en hochant la tête et regardant leurs crampons.
Pourquoi cette phrase avait-elle fait sens pour mes joueurs ? Parce que j'avais tenu à ce qu'ils assistent à un séminaire intitulé "Luttes de pouvoir(s) et succession révolutionnaire, une nouvelle optique de la dialectique marxiste - une vision du XXème congrès du PCUS par le prisme de l'Aviron Bayonnais", organisé par la faculté de Rugby de Clermont-Ferrand et sponsorisé par Optic 2000. Les plus grands spécialistes de l'URSS, Jacques Sapir, Marc Ferro, Emmanuel Todd, Hélène Carrère d'Encausse, Alexandre Adler... s'étaient réunis pour tenter un début de commencement d'explication sur ce qu'il se passait à Bayonne. Le CNRS était sur le coup, mais les meilleurs Think Tanks américains avaient abandonné, quant à Julian Assange, il se déclarait incompétent : tous, en tout cas, en étaient frappés et s'accordaient sur l'immense complexité de la question. Il faudrait attendre la déclassification, dans une cinquantaine de saisons, de certaines archives (et encore...) pour amorcer des hypothèses étayées. D'ici là, on ne pouvait que se perdre en conjectures.
Mais je voulais que les joueurs sachent et comprennent. Je leur avais fait lire le Retour de l'URSS de Gide. Ils devaient par tous les moyens se rendre compte de la situation, de l'autre côté du mur, et réaliser ce qui pouvait conduire une grande idée servie par des gens talentueux à la catastrophe...
Certes, il y avait déjà eu Bourgoin. Mais, la chute du CSBJ était l'histoire trop souvent racontée de la lente décadence annoncée d'un État qui se néglige et qui vit sur sa gloire révolue, une forme rugbystique de l'Homme Malade Ottoman... Et l'opacité des coutumes basques, le secret de leurs usages, les incertitudes quant à leur base idéologique, la difficulté à repérer et discriminer les grands courants qui s'opposaient et se combinaient, sans parler de la rivalité séculaire qui les confrontait à un puissant voisin, rendaient une analyse de la situation bayonnaise aussi aléatoire qu'une relance de Sione Lauaki sur un départ au ras de la mêlée dans ses 22 mètres...
Tiens, ce pauvre Sione... Il était, pour ainsi dire, passé à l'Ouest... Les nouvelles qui nous parvenaient de lui n'étaient pas bonnes... Outre un niveau de jeu pathétique, l'hygiène de vie discutable de sa nouvelle patrie semblait avoir des répercussions sur sa santé... La satisfaction d'avoir recruté Gerhard, puis Damien Chouly, ne pouvait me consoler de cet immense gâchis...
Alexandre Adler avait bien tenté de nous décrire ce qu'il appelait les "faisceaux" (certainement par analogie avec l'optique) et avait évoqué celui qu'il avait surnommé le petit père du peuple de Jean Dauger, ancien optométriste de nuit à Genève, qui, après avoir écarté l'ensemble de l'opposition régionaliste, régne brutalement et sans partage, n'hésitant pas à conduire des purges au sein des élites et des cadres du club. La dernière en date, l'éviction du crypto-trotskiste Ellissalde, qui avait sauvé l'Aviron il y a quelques années en réorganisant l'armée bleue et blanche, témoignait de la pression qui pesait sur les planificateurs bayonnais, dont les résultats n'étaient pas à la hauteur des prévisions, ou plutôt des ukases, du Gosplan...

Quoi qu'il en fut, il fallait aller jouer à Bayonne. Et si je savais que nous ne gagnerions certainement pas sur le front de l'Ouest, j'avais au moins pris mes responsabilités politiques.

Lorsque nous arrivâmes, je dis à Siti d'aller saluer son pote Joe Rockoçoko. Siti me répondit :
- Joe ? Mais ce n'est pas lui !
Il ne l'avait pas reconnu. Il faut dire qu'il trainait son mal être à l'aile, comme l'âme en peine d'un Rugby-Champagne éventé. Ce n'était pas Joe Rokoçoko, c'était le fantôme de Joe Rokoçoko. Il semblait mâché comme après un plaquage samoan, comme s'il avait passé une saison dans l'enfer d'un goulag d'Ovalie du Nord. Je le vis sortir du stade, après le match, anonyme comme un Fidjien en exil. Il ressemblait à Delasau pendant sa période montalbanaise. Temps de jeu, que de crimes on commet en ton nom... Il portait une toque en fourrure et des chaussures à fermetures éclair. Grises. Il cherchait à se protéger du froid. Le système avait broyé le talent, la grâce, l'éclat. Siti n'avait pas souhaité lui rendre visite. Par superstition, certainement. Par délicatesse, aussi...

Au final, cela ne se passa pas si mal... Ce match, on le joue dix fois, on le gagne neuf fois. Mais je crois que les joueurs ont eu pitié. Ils ont respecté par-dessus tout cette équipe qui se bat avec les armes qu'on lui a données, pour une patrie confisquée, pour un peuple affligé qui fête les matches nuls comme les plus grandes victoires...

2 commentaires:

  1. Sous des parures humoristiques, Vern montre dans beaucoup de ses billets des remarquables connaissances historiques, sociologiques, économiques, sociétales, politiques, sportives... qui feraient pâlir de jalousie les plus grands des éditocrates ! Je tenais à le faire remarquer parce que c'est pas évident d'apprendre autant sur tout ces domaines dans un pays qui n'est pas le sien. Un grand coup de chapeau ;)

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  2. une dictature c'est quand les gens sont communistes ! les bayonnais sont communistes ?
    Crèvez pourriture communiste !

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