vendredi 16 décembre 2011

Black Blues...

Ce matin, Jean-Marc et René sont passés me voir avant de partir pour l'aéroport. Ils avaient un air de componction mais je sentais que ce n'était qu'une façade et qu'ils tentaient de cacher une immense satisfaction derrière une mine compassée et de circonstance.
René prit la parole. Il portait sa médaille (en fait, il la porte tout le temps depuis sa décoration...) :
- Vern, en tant que maire d'Eygalières, chevalier de la légion d'honneur, et, incidemment, président de l'ASM Clermont-Auvergne, je tenais à te témoigner toute ma sympathie et nos regrets les plus sincères...
Il marqua une pause. A côté de lui, Jean-Marc baissait la tête et regardait vers le sol. Je voyais bien qu'il réprimait une impérieuse envie de rire. René lui-même avait du mal à poursuivre sereinement. Il poursuivit cependant :
- Je disais donc : nous sommes vraiment désolés que tu n'aies pas été choisi pour...
A cet instant précis, Jean-Marc, n'y tenant plus, partit dans un fou rire qui l'obligea à quitter la pièce. René sembla produire un effort surhumain pour se dominer et continua :
- ... pour devenir le sélectionneur des All Blacks. Voila... Saluuuut. A tout à l'heure !
Et il s'en fut sans autre forme de procès.
Une fois la porte refermée, j'entendis une énorme explosion de joie, des bouchons de champagne qui sautaient, des sifflets, des cris... Je crus reconnaître la voix de Jean-Pierre Romeu qui chantait, sur l'air de "on est en finale" :
- Woodcock-Woodcock, Woodcock-Woodcock, Woodcock-Woodcock-Woodcock-Woodcock !
Je me tournais vers la fenêtre, et je vis un cortège de véhicules qui défilaient en klaxonnant autour du stade avec des drapeaux jaunes et bleus et des supporters, torses nus malgré le froid, qui hurlaient :
- Il va rester ! Il va rester ! Il va, il va, il va rester !
Je m'assis, posai les coudes sur mon bureau, pris ma tête entre mes mains et me dis :
- Putain, deux ans...

mercredi 14 décembre 2011

La Bûche

Hier après midi, je faisais mon habituel tour des installations pour rechercher les caches des joueurs. Oui, j'ai pris l'habitude de débusquer les cachettes dans lesquelles certains tentent de dissimuler des barres chocolatées, des bonbons, des sucreries en tout genre, de la charcuterie, du fromage non maigre et des peaux de poulet. Ils sont devenus de plus en plus inventifs et je dois bien avouer qu'ils mettent ma vigilance à rude épreuve... Il faut dire que j'ai moi-même choisi l'équipe de diététiciens du club : un ascète de la secte des Naga Baba est en charge de l'approvisionnement en vivres, un coureur de fond éthiopien rédige les menus et la Règle de Saint Benoît est le seul livre de cuisine autorisé.
En passant dans les vestiaires, j'ai entendu à l'extérieur une rumeur joyeuse et des cris d'amusement. J'étais surpris car je n'avais pas programmé de séance de musculation à cette heure. C'était en fait la bûche de Noël de l'école de rugby. Comment avais-je pu manquer cela ? A cinq jours du match retour contre Leicester, je fus soudain tenaillé par l'angoisse...
Je me précipitais sur les lieux et, malheureusement, mes inquiétudes étaient fondées : j'assistais, impuissant, à un carnage...
Les enfants contemplaient, médusés, une scène d'orgie de Noël : une mêlée informe masquait le buffet. Mais je parvenais à distinguer Gerhard qui se gavait goulûment de bûche à la crème avec des grognements sonore de contentement, pendant que Julien Bardy, une barbe à papa à la main, empêchait quiconque d'approcher en montrant ses dents roses après chaque bouchée. Les premières lignes, au complet, se vautraient dans la chantilly pendant que Morgan, David et Brock, ayant remplacé les ballons par des sucreries, adressaient des passes au pied millimétrées aux trois-quarts.
Les Fidjiens, quant à eux, emplissaient de grands sacs postaux de tout ce qu'ils pouvaient trouver en mignardises, junk food et autres insultes à la diététique... Muri faisait des photos qu'il envoyait dans la foulée à Caucaunibuca.
Seul Jubon, en lévitation et en extase mystique, approchait des morceaux de gâteau au chocolat de sa bouche puis les repoussait au dernier moment en criant :
- Mal ! Mal ! Pas bien !
Sorti de ma stupeur, je décidais enfin d'agir. M'emparant de mon fouet de dompteur (oui, j'en ai toujours un à proximité...), je chassais les marchands du temple (et les enfants aussi, malheureusement, mais bon, un quart de finale de HCUP, "ça ne se galvaude pas") en hurlant.
Quelques heures plus tard, après avoir administré plusieurs vomitifs et effectué les lavages d'estomac qui s'imposaient, tout était revenu dans l'ordre. Avec Jean-Marc, je contemplais l'équipe terminer ses soixante tours de terrain, en me disant que j'allais afficher des photographies de Philippe Saint-André et de Serge Blanco à la cafétéria.
- L'année prochaine, on organisera une crèche vivante, me dit Jean-Marc. Je verrais bien Jubon en Vierge Marie, Roro en Saint Joseph, Le Belge en bœuf et le Merdeux en Petit Jesus...
Et il ajouta, un petit sourire au coin des lèvres :
- Et ça ne te dirait pas de faire le père Noël ?

mardi 13 décembre 2011

L'ASM en 26 lettres (4)

P comme Public
Existe-t-il un meilleur public dans l'univers que celui de l'ASM ? Bon, c'est sûr, il y a les supporters brésiliens de football, ceux de Liverpool ou de Sankt Pauli. Mais au rugby ? Bon, d'accord, la Red Army du Munster peut lui faire concurrence. Mais en France ? A n'en pas douter, il n'en existe pas de plus respectueux, de plus fidèle, de plus enthousiaste, de plus fair play, dans la victoire comme dans la défaite (la preuve ici). Ce public est en fait à l'image de l'Auvergne et de son club. Pas forcément très glamour, pas délirant non plus (quoique...), mais simple, franc, non dénué d'humour, et généreux à l'égard de ceux qui ont beaucoup donné pour le club. Bref, qu'il ne change pas...

Q comme Quatre-vingt-quatorze
L'une des plus belles épopées de l'ASM. La dernière avant le professionnalisme. Une bande de potes, emmenée par l'exceptionnel duo Victor Boffelli (l'Aurillacois qui partageait sa vie entre l'ASM et le Cantal) - Patrick Boucheix, un jeu total, du talent à tous les postes. Les Saint-André (frères), Ribeyrolles, Darlet, Juillet, Versailles, Bertrank, Costes, Lecomte, Heyer, Duchesne, Ladouce, Pradier (avec une réussite au pied insolente et un abattage monstrueux en défense), Lhermet, Mallaret, Marocco, Menieu, Prégermain, Rioux, Romeu, Nicol, entre autres... accomplirent de formidables phases finales, atteignant également la finale du Challenge Yves du Manoir. Des matches héroïques contre Toulon, puis Grenoble, en quart et en demi. Et une magnifique finale contre Toulouse, évidemment, qui avait été battu en quart du "du Manoir" quelques semaines plus tôt, avec la glissade de Bertrank, le formidable essai de Juillet et la seule réception que PSA n'aurait pas dû manquer dans sa belle carrière, sur une énième chandelle assassine de Deylaud...
Mais le plus marquant, ce fut certainement l'accueil qui fut réservé à l'équipe à son retour de Paris, à la gare, sur le trajet qui les menait au stade, et, finalement, au Michelin, où une émouvante communion avec les supporters concluait superbement cette grande aventure. Le mot de la fin était cependant revenu, je pense, à Jean-Marc Lhermet, le vieux lion, capitaine courageux et exemplaire, qui déclarait, dans l'instant de la défaite, alors que Philippe Saint André effectuait un tour d'honneur en larmes : "On donne du bonheur à beaucoup de gens, et c'est ça l'essentiel".

R comme Rougerie
S'il n'en fallait qu'un... Il se dit dans les travées du Michelin que l'équipe n'est pas la même lorsqu'il n'est pas là. 100 kilogrammes de talent et de force pure, Aurélien Rougerie, Roro pour les intimes, le Lomu blanc pour les fans, est le capitaine emblématique du XV de l'ASM, le premier a avoir brandi le bouclier et le premier aussi, a avoir dérogé au protocole et l'avoir offert aux supporters avant de monter sur la ridicule estrade du sponsor du Top 14. Communiquant avisé et un rien provocateur, "grand frère" des lignes arrières auvergnates et françaises, égérie d'une marque de slips (oui, c'est comme cela que cela s'appelle), feuilleton capillaire, énigme pour le corps médical en raison de ses convalescences aussi rapides et nombreuses que ses accélérations, "fils de", formé au club, clermontois d'origine et de toujours, le French Kirwan est surtout un joueur de rugby exceptionnel, doté d'un physique hors norme, membre de l'équipe première dès l'âge de 19 ans, international à 21 ans (deuxième marqueur d'essais du XV de France en activité...) et reconverti au centre avec le succès que l'on sait. Que dire de plus, sinon qu'il ne manque à son palmarès déjà bien garni qu'une HCUP et une coupe du monde et qu'à ce rythme, il ne serait pas surprenant qu'on le retrouve un jour parmi les "officiels" du club, voire de la fédération...

S comme Seize pattes
Avec le Saint Nectaire, le Puy de Dôme et le pneumatique démontable, le monstre à seize pattes est la fierté de l'Auvergnat, une appellation d'origine contrôlée, souvent imitée, rarement égalée. Si la paternité de ce surnom est incertaine, cette dénomination qualifiait le glorieux pack des années 70, défait par deux fois en finale du championnat (1970 contre La Voulte des frères Cambérabéro, 1978 contre le grand Béziers), et vainqueur du "Du Manoir" en 1976, quelques jours après la mort tragique de Jean-François Philiponeau. Inutile de préciser qu'à l'ASM, on a bien compris que la mêlée était la maison mère du rugby et qu'il était vain de construire une maison sans de solides fondations. De nos jours, les Domingo, Ric, Chaume, Jacquet, Lapandry et autres Hézard, formés au club, perpétuent la tradition, pour le plus grand bonheur des inconditionnels de ce chef d’œuvre en péril qu'est la mêlée fermée...

T comme Talent
Oui, du talent, en Auvergne, on en a plein ! Alors, c'est sûr, on n'aura jamais la caisse de résonance de la capitale, ni même d'une grande métropole provinciale, parce que, allez savoir pourquoi, Clermont-Ferrand, nichée dans son écrin de nature, a la réputation d'être une ville noire et industrielle, sans éclat et sans relief. Pourtant, le relief, ce n'est pas ce qui manque dans la région. Alors certes, les plus récentes constructions du centre ville sont toutes plus hideuses les unes que les autres (sauf, peut être, le siège social de Michelin, je vous l'accorde...), mais à Clermont, on ne met pas son talent dans l'architecture. Et lorsqu'un architecte arrive en ville, il réussit même le tour de force, par obsession de la symétrie, de défigurer notre belle cathédrale... Non, à Clermont, le talent, on le place, ENTRE AUTRES, dans la musique, le cinéma, les présidents de la République (Montboudif et Chamalières, ça vous dit quelque chose ?), le fromage, le pâté aux pommes de terre et la charcuterie, l'industrie pharmaceutique, les universités (30 000 étudiants), les brasseries parisiennes, les pneumatiques et les cartes routières, l'agroalimentaire, l'aéronautique, les lip dub, la fabrication de billets de banque, et, naturellement, dans le rugby, l'ASM étant le plus grand pourvoyeur d'internationaux parmi les clubs français pendant la dernière coupe du monde (avec 14 sélectionnés), sans parler du nombre d'entraîneurs professionnels passés par le club, dont le dernier sélectionneur en date du XV de France... Il fallait que ce soit dit, c'est dit !
Je termine en précisant que ce billet n'a pas été commandité par l'office du tourisme (de toutes façons, la montagne, c'est toujours mieux sans les touristes...).

La suite à la prochaine lettre !

De A à E.
De F à J
.
De K à O.

lundi 12 décembre 2011

Chasse aux Tigres - Premier Round

Ce fut une parodie de catch à laquelle nous avons assisté dimanche après midi dans l'ambiance surchauffée de la Michelin Arena. Le public, comme à son habitude, était au rendez-vous, confirmant au passage que la recrudescence bimensuelle des actes de violence et de vandalisme dans l’agglomération clermontoise n'a rien à voir avec la pleine lune, les cycles menstruels ou l'inhalation de vapeurs caoutchouteuses, mais correspond bien aux matches à l'extérieur de l'ASM qui privent le Jaunard de son exutoire hebdomadaire.
Les Tigres étaient arrivés avec beaucoup d'intention et la volonté de faire mal, au besoin en profitant des largesses de l'arbitrage. C'était sans compter sur la rigueur de l'homme en rose qui n'a pas toléré le moindre débordement, renforçant l'impression selon laquelle la WWE tente à tout prix d'éliminer les phases de combat qui risqueraient de choquer le grand public. On est loin des empoignades viriles et pas toujours franches des grandes années : la propreté du spectacle y gagne ce que la légende et le folklore y perdent. Mais reste-t-il de la place pour la légende lorsqu'il y a vingt caméras autour du ring épiant chaque fait et geste des acteurs ? La légende s'écrit toujours a posteriori, sur la foi de ceux qui y étaient et en recomposant les dires forcément parcellaires des uns et des autres, enjolivés au besoin. Aujourd'hui, l'analyse et la technique ont remplacé l'imagination et la rêverie. Les plus beaux mouvements, comme ceux du Stade Toulousain vendredi soir ou du Racing samedi, sont dévalués par l’œil obscène de l'objectif qui révèle, après coup, impartial et implacable, l'en-avant ou le départ hors jeu de Bobo... La controverse, les débats qui n'en finissaient plus pour savoir si Benazzi a bien aplati ont perdu leur part de romantisme. Avant, on avait des regrets, aujourd'hui, nous avons, au mieux des remords, au pire des scrupules. La place du doute, même, est réduite à la portion congrue. Et comme le dit si bien Nietzsche (non, Boucherie Ovalie n'est pas le seul site de rugby à citer Nietzsche), "ce n'est pas le doute, c'est la certitude qui rend fou." (Ecce Homo).
Mais revenons à nos tigres... Animés d'une envie d'affrontement et de contact à faire pâlir d'envie les adeptes les plus exaltés de l'ultra-violence, alignant une première ligne aussi physique que chambreuse qui ne tarda pas à se faire remarquer en cintrant le "Kayzer Ben" sur la première mêlée et en mettant au supplice Vincent "Le Belge" Debaty, qui suppléait au pied levé Lionel "The Beast" Faure, victime d'une rixe backstage, les Tigers s'en tenaient à un catch simple et efficace : foncer dans le tas, faire mal, foncer dans le tas, faire mal. En face, la sympathique amicale jaunarde, toujours très enjouée et en jambes, avait haussé le niveau d'intensité et il faut bien avouer que les faces Julien "Good Guy" Bonnaire et Alex "The Tube" Lapandry rivalisaient dans l'agressivité, tandis que Gerhard "The Vosloo Facts" Norris trouvait enfin à qui parler. On assista donc à des joutes intéressantes marquées par quelques Mountain Bombs, Back Body Drops ou Arm Drags, Dato "The Georgian Yeti" Zirak se blessant même grièvement sur une manchette moldave dans un accès de générosité.
Mais c'est sur un autre terrain que les Blellows (Blue & Yellow) construisirent leur victoire. Profitant de la faiblesse psychologique (et intellectuelle certainement...) de Alessana "Speed And Heaviness Do Not Do Everything" Tuilagi, membre de la célèbre fratrie de catcheurs (He's not heavy, He's my brother) de l'autre hémisphère (le droit, celui des instincts...) et de Georgie "Baby Face" Chuter, qui eurent toutefois le panache de tenter un superbe double Space Tornado Ogawa simultané sur Morgan "Ze Insupportable" Parra et Le Belge (pas Francis, l'autre). C'en était trop pour le très sensible M. Rolland qui décida de mettre le holà à une partie qui commençait à peine à s'échauffer. Il faut dire que Martin "The Bearded & Chitchatty Bulldog" Castrogiovanni, Nathan "The Tall & Vicious" Hines et Morgan "Tête à Claques" Parra avaient, chacun dans leur style, instillé ce qu'il fallait de venin pour que la partie prenne un tour plus conforme à ce que l'on est en droit d'attendre d'un challenge automnal... Les deux entraîneurs tentaient le tout pour le tout pour sauver le spectacle en faisant rentrer Jamie "The Butcher Lumberjack (and he's okay)" Cudmore et Tommie "The Forgotten / He-Panzer" Waldrom, en vain...
Les Tigers ne pouvaient que plier et, malgré une belle résistance, se firent imposer la prise de finition par le jeune face Wesley "All I Do Is Perfect" Fofana. Il s'en fallut même de peu pour que le KO survienne, mais une dernière maladresse de Sitiveni "Faut Qu'j'arrête La Truffade, Je Peux Plus Courir" Sivivatu mettait fin aux espoirs des Jaunes.
La revanche a lieu dans une semaine : nul doute que les catcheurs d'Outre Manche auront à cœur de prouver qu'ils valent mieux que cette insipide copie. Reste à savoir si le squad montferrandais, décimé par les blessures, saura relever le gant...

jeudi 8 décembre 2011

En jaune et bleu, j'exilerai ma peur

A la suite du petit incident de l'autre fois, Jean-Marc et René m'ont obligé à participer à une séance de thérapie de groupe. Je me suis donc retrouvé, un soir, dans un local non loin de l'usine de Ladoux, avec des membres de l'amicale des supporters anonymes. Nous étions une dizaine, assis en cercle. Le thérapeute a pris la parole en me désignant :
- Aujourd'hui, je vous demande d'accueillir un nouvel arrivant. Comment vous-appellez-tu ?
- Je m'appelle Vern.
Tous reprirent en coeur :
- Bonjour Vern.
Le thérapeute dit :
- Pour mettre Vern à l'aise, je vous propose que plusieurs d'entre vous racontent leur expérience, avant que nous lui donnions la parole.
Après un silence, un homme d'âge moyen au physique ordinaire prit la parole.
- Je m'appelle ***, j'ai 35 ans. Je suis ce qu'on peut appeler un "supporter addictif". Je ne vis que pour et par l'ASM. Le matin, lorsque je me lève, mon premier réflexe est de me connecter sur le site officiel du club, puis sur cybervulcans.net...
Il fit une pause et réprima un sanglot avant de poursuivre :
- ... puis sur Rugbyrama...
Un mouvement de désapprobation parcourut l'assemblée. J'entendis à côté de moi une femme chuchoter :
- Quelle horreur !
Le thérapeute tenta de pacifier l'atmosphère :
- Allons, allons ! Laissez-le terminer.
- Chez moi, tout est jaune... ou bleu. Les murs, la vaisselle, les meubles. Même ma carte de crédit est à l'emblème de l'ASM. Enfin, était... Comme je me rendais chaque jour au stade pour rencontrer les joueurs, assister aux entraînements, j'ai perdu mon travail. Ma femme m'a quitté et est partie s'installer en Corrèze...
Un second murmure de stupéfaction emplit la salle. L'homme fondit en larmes.
- Merci beaucoup, ***, de ce témoignage très émouvant, reprit le thérapeute. Qui souhaite témoigner à son tour ?
Une jeune femme leva timidement la main.
- Je m'appelle ***. Je suis tombée amoureuse de Brock James à son arrivée au club.
J'eus un réflexe instinctif de jalousie, mais je me contins. Je l'écoutais attentivement, elle parlait d'un air exalté :
- J'ai compris qu'il était l'homme de ma vie lorsque je l'ai vu taper son premier coup de pied de renvoi au Michelin. C'était beau comme la rencontre sur une table à opium d'un aspirateur et d'une soupière.
Je conviens que le beau est toujours bizarre, mais là, tout de même... A côté de moi, le femme grogna :
- Mais c'est indécent !
La jeune femme continua cependant :
- Et le jour où j'ai appris qu'il se mariait, je suis tombée dans une profonde dépression. Par désespoir, j'ai tenté de me suicider en regardant l'intégrale des tentatives de pénalités de Gérald Merceron pendant sa dernière année à l'ASM...
L'assistance eut de nouveau un mouvement de dégoût collectif. La femme à mes côtés eut un haut le cœur. Quant à moi, je comprenais totalement le désarroi de cette personne. J'avais vécu le même déchirement...
Certainement encouragé par ce qu'il venait d'entendre, un troisième individu raconta son histoire :
- Je m'appelle Olivier, j'ai 38 ans. Je suis un ancien international de rugby à XV, l'un des plus doués de sa génération, mais je n'ai pas été invité au centenaire du club, alors que j'ai perdu toutes les finales auxquelles j'ai participé...
Un nouveau murmure se fit entendre. A côté de moi, la femme soupira bruyamment.
Un quatrième intervenant prit alors la parole. Il était très âgé, mais au-delà de son apparence physique, il semblait totalement désabusé, comme revenu de tout :
- J'ai 91 ans. J'ai assisté à toutes les finales de l'ASM depuis 1936. Sauf une. La bonne. Ce soir-là, j'ai voulu faire plaisir à ma femme qui supporte le Clermont Foot en l'emmenant au restaurant - le 29 mai, c'est son anniversaire. En rentrant, elle a été renversée par un supporter ivre...
Et la femme à mes côtés de lâcher :
- Imbécile !
Enfin, un homme d'âge moyen et à l'apparence moyenne se décida à parler, la tête entre les mains, les yeux rivés sur ses pieds :
- Je me prends pour Vern Cotter. J'écris un blog sous le nom ridicule de Vern Dublogue.
Je me retins d'aller lui coller un beigne. Même s'il le méritait, je me dis qu'il n'en valait pas la peine. Les autres le regardaient avec mépris et commisération. La femme à côté de moi susurra sans desserrer les dents :
- Il y en a qui n'ont vraiment que ça à foutre...
Dans la foulée, le thérapeute demanda au groupe de remercier les cinq courageux et s'adressa à moi :
- Alors, Vern, dites-nous la raison de votre présence ici.
- Eh bien... J'aurais pu devenir entraîneur des All Blacks mais finalement je vais rester à l'ASM parce que Roro n'a pas appuyé assez fort en finale de la coupe du monde...
Je voyais la consternation autour de moi. La femme à mes côtés se terrait dans un mutisme impénétrable. Même le thérapeute ne savait pas quoi dire. Le silence devenait de plus en plus lourd jusqu'à ce que le maître de cérémonie reprenne le fil du match :
- Et vous Madame, racontez-nous votre histoire - il s'adressait à la femme à mes côtés.
Celle-ci parut particulièrement gênée, toussa et finit par déclarer :
- J'étais supportrice inconditionnelle de l'ASM. Fin 2006, j'en ai eu marre, je n'en pouvais plus et j'ai décidé de soutenir le Biarritz Olympique...

mardi 6 décembre 2011

L'ASM en 26 lettres (3)

K comme Kiole
Seti Kiole. Fred Weber. Brendan Reidy... Quelques noms parmi tant d'autres. Depuis les années 60, Clermont-Ferrand est une terre d'accueil pour les rugbymen venus d'autres contrées de l'Ovalie. L'ASM compte, pour la saison 2011-2012, dix-neuf "étrangers" dans son effectif professionnel, soit une proportion de 44%. Parmi eux, nombreux sont ceux qui sont des pièces maîtresses de l'équipe qui est parvenue à conquérir le bouclier en 2010. Ces exilés, parfois originaires d'endroits où l'Auvergne doit représenter une forme absolue d'exotisme et d'étrangeté, méritent donc un petit hommage. Mais cette internationalisation massive est récente. Pour mémoire, les groupes (double) finalistes de 1994 et 1999 ne comportent que des joueurs français et ils étaient seulement 8 "étrangers" en 2001.

L comme Lauaki
Il est arrivé comme un OVNI, lancé comme un cheval furieux dans les défenses, incarnant l'improbable synthèse de la puissance et de l'agilité. Il s'est mis à faire des chisteras, des raffuts, des gri-gri, des passes après contact, qui finissaient, la plupart du temps, au mieux dans les chaussettes de ses coéquipiers, au pire dans les mains de l'adversaire. Et puis on s'est habitué à ce joueur imprévisible, injouable, alternant le pire et le meilleur. On guettait avec gourmandise, à chaque match, ce geste incroyable qui ferait la différence, ce petit moment de grâce et d'élégance. Sione Lauaki, météorite à la trajectoire stochastique dans la constellation bien tranquille de l'ASM, n'est resté qu'une année en Auvergne, et il faut bien reconnaître qu'il n'était certainement pas fait pour vivre à Clermont-Ferrand. Mais il demeurera, à n'en pas douter, dans les souvenirs des amateurs parmi ces joueurs d'exception, qui, en une fulgurance, font penser que si le rugby n'était pas devenu un sport sérieux, on aurait pu bâtir des équipes autour de ce genre de mecs, rien que pour le plaisir de les regarder étaler toute leur classe sur un terrain, sans aucun égard pour l'efficacité et sans autre ambition que l'esthétique et la beauté du geste ...

M comme Montferrand
Bien qu'uni à la ville de Clermont, sa rivale de toujours, depuis 1630, le quartier de Montferrand n'en conserve pas moins une véritable identité. Notons au passage que l'ASM n'est devenue officiellement "Clermont Auvergne" qu'en 2004, alors qu'elle portait les espoirs de toute une agglomération et de toute une région depuis bien longtemps... Aujourd'hui encore, on entend souvent quelques conservateurs parler de "Montferrand" pour désigner le club. Montferrand, justement, doit cette postérité à un célèbre manufacturier de pneumatiques et à une loi fédérale anti-publicitaire de 1922. "Désirant conserver les initiales du club, nous avons adopté le nom de la vieille et illustre cité parce que beaucoup de nos sociétaires y résident et parce que, sur son territoire, se trouvent nos terrains de jeux." déclarait alors Marcel Michelin (cité par Robert Boisson et Christophe Buron, ASM Le cœur rugby, Gérard Tisserand, 2002). Et de fait, l'AS Michelin n'est pas tout à fait morte dans l'imaginaire collectif, d'autant que l'industriel demeure le sponsor principal du club avec environ 10% du budget et que ses deux dirigeants les plus emblématiques (Jean-Marc Lhermet et René Fontès) sont d'anciens "Bibs".

N comme Nostalgie
Il était un temps, pas si lointain, où la tribune Auvergne s'appelait "populaire", où la tribune "Philiponeau" et "l'Espace Edouard" n'étaient que des gradins, derrière lesquels, depuis la pelouse, on pouvait apercevoir les maisons du quartiers ou les Hauts de Chanturgue, où l'on pouvait assister gratuitement aux matches depuis le "pesage". Là où aujourd'hui se trouvent des "salons" et les "first", des supporters torses nus agitaient des drapeaux et actionnaient des cornes de brume, sans respect aucun pour le buteur adverse. De l'autre côté du terrain, les gradins étaient la plupart du temps vides. Lors des dégagements en touche côté "populaire", il n'était pas rare que le ballon tombe derrière la tribune, après avoir rebondi sur le toit, dans un fracas de tôle qui ne faisait pas très riche. Ce que devenaient ces ballons, on ne le savait pas. On s'imaginait bien qu'il y avait un préposé au ramassage, qui avait le privilège paradoxal de recevoir des offrandes d'Eric Nicol, de Franck Mesnel ou de Christophe Deylaud, sans jamais savoir qui en était à l'origine. C'était l'époque des Verdy, Gaby ou Prégermain, celle des "employés de mairie" ou des "cadres chez Michelin", une époque où ça avoinait en toute impunité dans les regroupements, sans l'oeil inquisiteur de l'omnisciente caméra. C'était l'époque où le Racing avait un vrai sens de l'humour. C'était l'époque où Aire sur Adour venait chercher quatre-vingts points à chaque déplacement en Auvergne : on en avait pour son argent. Et lorsque La Rochelle récoltait à son tour ses soixante pions syndicaux, on en profitait pour se foutre de la gueule de Salviac, le soir, après les "panneaux" sur fond rouge, à Stade 2, présenté par Robert Chapatte. Le stade était moche, pour sûr, un peu à l'image de la ville, mais on pouvait arriver cinq minutes après le coup d'envoi, à la sortie du repas du dimanche, on trouvait toujours de la place... Et puis il y avait le "Du Manoir" où l'on allait traîner son ennui d'étudiant, les soirs de lose, dans la tristesse et la froideur de l'hiver auvergnat...

O comme Ô Toulouse
Dans la psyché auvergnate, il existe une bête terrifiante frappée du sceau de la malédiction. Cette bestiole, autant redoutée que respectée, s'appelle le Stade Toulousain. Sur les sept dernières dernières finales de l'ASM, quatre ont été perdues contre Toulouse, et, à chaque fois que le Stade a été écarté en demie, l'ASM a perdu sa finale. Les grandes années, celles où l'on va gagner au Stadium pendant la saison régulière (2008 et 2001 par exemple), se terminent d'ailleurs souvent mal (il est vrai que 2010 fait exception, mais il faut noter que, cette année-là, l'USAP a eu le bon goût d'écarter l'obstacle en demie)... Ceci est d'autant plus étonnant que Vern Cotter, depuis son arrivée en Auvergne, détient le meilleur ratio de victoires de tous les entraîneurs du Top 14 contre son pire ami, Maître Guy (60% de victoires depuis 2006, et encore, si l'on s'arrêtait à la fin de la saison 2009-2010, on atteindrait les 72% !). Toulouse reste cependant intouchable : budget de 25% supérieur, palmarès inégalable dans les conditions actuelles de concurrence, structuration et esprit de compétition exemplaires, qualité de jeu exceptionnelle. Le Stade demeure donc la cible et la référence, l'ennemi et l'exemple. L'ASM, qui semble bien partie sur la même voie, parviendra-t-elle a tracer sa route dans l'ombre du géant ?

La suite à la prochaine lettre !

De A à E.
De F à J
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dimanche 4 décembre 2011

Du Super XV au Top 14...

L'ASM - CO de samedi a été emblématique du top 14. Pour les habitués, ce match tactique, joué sur un faux rythme et l'air de "fantasia pour rucks, chandelles et mêlées", n'a pas été particulièrement marquant. Pour d'autres, plus accoutumés aux envolées lyriques de l'hémisphère sud arbitrées par des borgnes, la transition a été plus délicate. Tel fut le cas pour Sitiveni Sivivatu... Flash back ou l'apprentissage du french rugby en 13 leçons.

2' : après un coup d'envoi foiré et deux mêlées, la balle arrive à l'aile petit côté. Habitué à recevoir des offrandes de Conrad Smith ou de Ma'a Nonu, Sivivatu, pas dans le timing, fait un en avant.
9' : après quelques temps de jeu typiques top 14 (turn over, chandelles, pénalités, en-avant, grosses séquences défensives, arbitrage litigieux...), Siv' s'ennuie sur son aile gauche. Il vient faire un tour à droite pour voir ce qu'il s'y passe. Intercalé, il poursuit au pied. Touche à 5 mètres, qui donne une bonne vieille séquence de pick and go.
10' : à la suite de l'action, le jeu est arrêté pour saignement. Lacrampe se plaint d'avoir été mordu au doigt...
15' : essai de Toulousains après rapine de Julien Pierre dans un ballon porté. Sitiveni n'a rien vu venir...
29' : Sivi' s'ennuie ferme. Le ballon lui échoit. Profitant de l'aubaine, il tente une relance depuis le parking. Lee Byrne et les avants sauvent la maison.
32' : heureux de recevoir le ballon une seconde fois en moins de 5 minutes, Sitiveni éructe de joie et envoie la gonfle en l'air depuis la touche dans un geste de contentement. Lee Byrne en reprend pour son grade. Pénalité pour Castres dans nos 22...
34' : belle relance de Byrne. Siv' est à hauteur à gauche. Trop Super XV, pas assez top 14. Tout droit, ruck et pénalité pour l'ASM dans la foulée. Pourquoi prendre des risques à se faire des passes ?
40' : mi-temps. Siv' vient me voir dans les vestiaires. Il me dit qu'il commence à comprendre comment ça marche...
47' : effectivement, il semble s'être mis au diapason, au moins celui de Vosloo et Bardy en tout cas : énorme plaquage offensif sur une attaque castraise, entraînant une récupération de balle.
50' : Ca y est, il a compris. Festival dans la moitié de terrain du CO. A n'en pas douter, l'essai qui s'en suit n'aurait pas été refusé si la vidéo n'avait pas existé et si l'arbitre de touche avait osé prendre ses responsabilités.
55' : après six mêlées à cinq mètres de l'en-but, Hines marque en force après qu'Elvis a pris en stop le n°9 castrais sur son dos. Si ça, ce n'est pas un pied de nez du Top 14 au Super XV : plutôt que d'accorder un essai après une belle action, on a préféré engendrer de longues et laborieuses minutes répétitives devant la ligne, pour un résultat identique...
71' : Parra intercepte et marque, après un contrôle de footballer, un essai à 0 passe. Cruel mais juste. Siv' continue d'apprendre les rigueurs de notre championnat...
77' : bonus offensif en poche, l'ASM continue de faire le jeu. Évidemment, Baï intercepte une passe hasardeuse de Rado pour King et annihile tout le bénéfice d'un match parfaitement construit en un raid solitaire à 0 passe. Siv' continue d'apprendre les rigueurs de notre championnat...
80' : le CO continue à jouer même s'il a tout à perdre à le faire... What on earth those frenchies are doing ? L'arbitre siffle la fin du match après un cafouillage. Fin de la leçon.