jeudi 8 décembre 2011

En jaune et bleu, j'exilerai ma peur

A la suite du petit incident de l'autre fois, Jean-Marc et René m'ont obligé à participer à une séance de thérapie de groupe. Je me suis donc retrouvé, un soir, dans un local non loin de l'usine de Ladoux, avec des membres de l'amicale des supporters anonymes. Nous étions une dizaine, assis en cercle. Le thérapeute a pris la parole en me désignant :
- Aujourd'hui, je vous demande d'accueillir un nouvel arrivant. Comment vous-appellez-tu ?
- Je m'appelle Vern.
Tous reprirent en coeur :
- Bonjour Vern.
Le thérapeute dit :
- Pour mettre Vern à l'aise, je vous propose que plusieurs d'entre vous racontent leur expérience, avant que nous lui donnions la parole.
Après un silence, un homme d'âge moyen au physique ordinaire prit la parole.
- Je m'appelle ***, j'ai 35 ans. Je suis ce qu'on peut appeler un "supporter addictif". Je ne vis que pour et par l'ASM. Le matin, lorsque je me lève, mon premier réflexe est de me connecter sur le site officiel du club, puis sur cybervulcans.net...
Il fit une pause et réprima un sanglot avant de poursuivre :
- ... puis sur Rugbyrama...
Un mouvement de désapprobation parcourut l'assemblée. J'entendis à côté de moi une femme chuchoter :
- Quelle horreur !
Le thérapeute tenta de pacifier l'atmosphère :
- Allons, allons ! Laissez-le terminer.
- Chez moi, tout est jaune... ou bleu. Les murs, la vaisselle, les meubles. Même ma carte de crédit est à l'emblème de l'ASM. Enfin, était... Comme je me rendais chaque jour au stade pour rencontrer les joueurs, assister aux entraînements, j'ai perdu mon travail. Ma femme m'a quitté et est partie s'installer en Corrèze...
Un second murmure de stupéfaction emplit la salle. L'homme fondit en larmes.
- Merci beaucoup, ***, de ce témoignage très émouvant, reprit le thérapeute. Qui souhaite témoigner à son tour ?
Une jeune femme leva timidement la main.
- Je m'appelle ***. Je suis tombée amoureuse de Brock James à son arrivée au club.
J'eus un réflexe instinctif de jalousie, mais je me contins. Je l'écoutais attentivement, elle parlait d'un air exalté :
- J'ai compris qu'il était l'homme de ma vie lorsque je l'ai vu taper son premier coup de pied de renvoi au Michelin. C'était beau comme la rencontre sur une table à opium d'un aspirateur et d'une soupière.
Je conviens que le beau est toujours bizarre, mais là, tout de même... A côté de moi, le femme grogna :
- Mais c'est indécent !
La jeune femme continua cependant :
- Et le jour où j'ai appris qu'il se mariait, je suis tombée dans une profonde dépression. Par désespoir, j'ai tenté de me suicider en regardant l'intégrale des tentatives de pénalités de Gérald Merceron pendant sa dernière année à l'ASM...
L'assistance eut de nouveau un mouvement de dégoût collectif. La femme à mes côtés eut un haut le cœur. Quant à moi, je comprenais totalement le désarroi de cette personne. J'avais vécu le même déchirement...
Certainement encouragé par ce qu'il venait d'entendre, un troisième individu raconta son histoire :
- Je m'appelle Olivier, j'ai 38 ans. Je suis un ancien international de rugby à XV, l'un des plus doués de sa génération, mais je n'ai pas été invité au centenaire du club, alors que j'ai perdu toutes les finales auxquelles j'ai participé...
Un nouveau murmure se fit entendre. A côté de moi, la femme soupira bruyamment.
Un quatrième intervenant prit alors la parole. Il était très âgé, mais au-delà de son apparence physique, il semblait totalement désabusé, comme revenu de tout :
- J'ai 91 ans. J'ai assisté à toutes les finales de l'ASM depuis 1936. Sauf une. La bonne. Ce soir-là, j'ai voulu faire plaisir à ma femme qui supporte le Clermont Foot en l'emmenant au restaurant - le 29 mai, c'est son anniversaire. En rentrant, elle a été renversée par un supporter ivre...
Et la femme à mes côtés de lâcher :
- Imbécile !
Enfin, un homme d'âge moyen et à l'apparence moyenne se décida à parler, la tête entre les mains, les yeux rivés sur ses pieds :
- Je me prends pour Vern Cotter. J'écris un blog sous le nom ridicule de Vern Dublogue.
Je me retins d'aller lui coller un beigne. Même s'il le méritait, je me dis qu'il n'en valait pas la peine. Les autres le regardaient avec mépris et commisération. La femme à côté de moi susurra sans desserrer les dents :
- Il y en a qui n'ont vraiment que ça à foutre...
Dans la foulée, le thérapeute demanda au groupe de remercier les cinq courageux et s'adressa à moi :
- Alors, Vern, dites-nous la raison de votre présence ici.
- Eh bien... J'aurais pu devenir entraîneur des All Blacks mais finalement je vais rester à l'ASM parce que Roro n'a pas appuyé assez fort en finale de la coupe du monde...
Je voyais la consternation autour de moi. La femme à mes côtés se terrait dans un mutisme impénétrable. Même le thérapeute ne savait pas quoi dire. Le silence devenait de plus en plus lourd jusqu'à ce que le maître de cérémonie reprenne le fil du match :
- Et vous Madame, racontez-nous votre histoire - il s'adressait à la femme à mes côtés.
Celle-ci parut particulièrement gênée, toussa et finit par déclarer :
- J'étais supportrice inconditionnelle de l'ASM. Fin 2006, j'en ai eu marre, je n'en pouvais plus et j'ai décidé de soutenir le Biarritz Olympique...

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