mardi 1 mai 2012

Douleur fantôme

Ce matin, j'ai fait un petit tour des locaux pour la reprise, histoire de sentir l'atmosphère...
J'ai commencé par le bureau de René. Il a paru surpris, et un peu gêné, lorsque j'ai passé la tête dans l’entrebâillement de la porte. Il était au téléphone, tripotant le ruban rouge à sa boutonnière :
- ... exporter ces excellentes méthodes pour amener le club dans une dimension supérieure. Euh... Je te laisse, Joe ! (raccrochant et se levant précipitamment, me prenant par l'épaule) Eh Vern ! Comment ça va ? On lâche rien et on continue à travailler dans le bon sens, hein ?
Ensuite, je suis passé voir Jean-Marc. Il venait de recevoir la convocation de Brock à la commission de discipline :
- Il avait vraiment tout verrouillé, Marc Lièvremont... Il avait même préparé Morgan pour l'indisponibilité éventuelle de nos deux ouvreurs !
Mais c'est en passant à côté de l'infirmerie que j'ai assisté à un phénomène des plus étranges. Entendant des plaintes appuyées, je me suis approché pour voir qui était ce douillet qui troublait notre deuil : je déteste ceux qui font du bruit après une défaite.
C'était Roro.
Il était assis, en slip, sur une table de massage avec le médecin du club. Le toubib tirait une mine perplexe pendant que Roro grimaçait en regardant le plafond, les bras tendus en arrière pour soutenir son dos, les mains agrippées à l'agrès, les phalanges blanchies par la crispation.
Il soupirait bruyamment :
- Je te dis que j'ai mal !
Le doc' semblait ne pas comprendre :
- Mais où ?
- Je sais pas ! Là, partout ! Ça fait un mal de chien, morbleu1 !
- Mais palsambleu ! je ne vois rien ! Aucun choc, aucun traumatisme ! Tu as reçu un coup pendant le match ?
-  Non, mais jarnicotonbleu, je peux te dire que la douleur, elle, est bien réelle !
Le médecin se retourna vers le mur lumineux sur lequel on voyait Roro en radiographies et en images à résonance médicale. Je le préférais en slip... Le doc' me prit à témoin :
- Ah ! Vern ! Puisque tu es là ! Regarde ça !
J'étais un peu surpris : comme le dit Elias Canetti de Peter Kien, il n'a pas eu d'yeux pour la misère d'autrui, il n'en a pas immédiatement pour celle qui l'atteint2. Alors, l'interprétation des photographies aux rayons X...
- Euh, tu sais, toubib, moi, les soirées diapo...
- Justement, Vern, justement ! Il n'y a rien ! Pas une déchirure, pas une hernie, pas un hématome profond, pas une métastase ! Rien ! Pas une gore pissouse d’égratignure ! Les analyses sont par ailleurs normales.
Le doc' gesticulait en détaillant fébrilement ses résultats. Il regarda Roro dans les yeux :
- Je suis désolé, mais tu es en excellente santé !
- Mais j'ai mal !
Moi :
- Des courbatures peut-être ?
Ils me toisèrent d'un air réprobateur et excédé. Puis le médecin, portant sa main à son menton en signe de réflexion, dit :
- Reprenons. As-tu déjà eu ce genre de douleur ?
- Ah ça oui !
- Quand ?
- La première fois, en 2001. J'avais 21 ans. En fait, non, la toute première fois, à 13 ans, en 1994. Et ensuite, en 1999, en 2001, donc, et en 2007. Ah oui ! Ça m'a fait un mal de chatron en 2007. Pareil en 2008 et en 2009. Grosse rechute en 2009 !
- Et à quelles périodes ?
- Tiens, c'est marrant, maintenant que tu me le dis, c'était toujours au printemps... En mai, ou début juin...
Le médecin était de plus en plus songeur :
- Étrange... Peut être en rapport avec les pollens... Certaines variétés voyagent d'une région à une autre et peuvent provoquer des réactions allergiques. Ou alors une maladie de la lymphe... Ou une incongruité d'humeurs opaques... Il faudrait peut être que je regarde du côté de la médecine tibétaine ou chinoise...
Roro, dans une grimace, l'interrompit :
- Je crois que je vais plutôt aller voir un rebouteux. Allez ! Salut !
Se redressant, il se laissa glisser sur ses jambes.
- Ouf ! Corne bouc, qu'est-ce que j'ai mal !
Et il s'en fut, se tenant la hanche, claudiquant péniblement.

Note 1 : naturellement, les propos injurieux envers les filles de joies et autres professionnelles de la camionnette et du trottoir ont été remplacés par d'autres jurons moins choquant à nos oreilles modernes, quoique certains soient blasphématoires.
Note 2 : Elias Canetti, Auto-Da-Fe, traduction de Paule Arhex, Gallimard, 1991.

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