Il était une fois, dans une lointaine province de l'Ovalie Heureuse, un bon roi qui régnait avec bienveillance et sagesse sur son royaume et ses sujets. La bonhommie et la finesse du "Bon Roy René" était proverbiale. Sa province n'avait jamais été aussi prospère, ses habitants plus nombreux, ses récoltes plus abondantes. La population vivait heureuse et ne manquait pas de mesurer les bienfaits de la politique avisée de son suzerain à l'aune des turpitudes d'autres contrées : l'Ile de France se déchirait, le comte de Provence régnait dans la tyrannie, le Bearn était miné par les divisions, l'Euskadi brûlait et la Catalogne se relevait à grand peine. Quant au Duché du Lyonnais, il était perdu et son vassal dauphinois marchait sur la capitale...
Des ambassades venaient régulièrement présenter les hommages des autres suzerains au Roy René et le comblaient de bienfaits et de décorations. En échange, le Roy les accueillait avec faste et les visiteurs, quelles que soient leurs origines, pouvaient témoigner qu'ils avaient toujours été reçus avec les égards qu'ils méritaient. En général, ils repartaient les malles pleines.
Les Chevaliers accouraient du monde entier pour proposer leurs services. Une fois engagés, ils combattaient en arborant fièrement le blason de la province : D'or, au chef d'azur, chargé d'une étoile d'or et de deux pneumatiques. Ils étaient si braves et si féroces qu'ils étaient invaincus depuis des années à l'occasion des nombreux tournois qu'organisait le Roy sur ses terres.
La liste des paladins du Bon Roy René serait trop longue à énumérer. Leur légende était contée jusqu'aux confins de l'Ovalie et il était impossible de décider qui l'emportait en vaillance et en valeur. Le plus célèbre d'entre eux était le chevalier Roro au Panache d'Or. Mais chaque saison, de nouveaux preux étaient reçus à la cour et de nombreux pages étaient adoubés. Parmi eux, le baron Wesley à La Tulipe Noire et le chevalier Marcel aux Chausses Légères faisaient l'émoi des belles dames et recevaient les suffrages des petites gens massés le long des lices pour admirer leurs héros. Mais les plus anciens, tels Elvis Sans Peur et Sans Reproche ou Alexandre Le Grand Faucheur, portaient encore pavillon haut, et on lisait encore en eux la classe des grands capitaines et le souvenir de leurs exploits au cours des plus grandes batailles.
A la cour, le Bon Roy René régnait en maître incontesté, mais il savait prêter l'oreille aux bons conseils des Pairs d'Auvergne. Entouré du duc de Vichy, Jean Le Vieux Lion, et du comte de Thuir, Jean-Pierre Le Mineur, il avait cependant pour favori son premier ministre, un bourgeois de Zélande, le Sieur Vernon Cotter de la Baie d'Abondance, son Sully, son Richelieu, son Oliver Cromwell, à qui il accordait toute sa confiance et dont la popularité n'avait d'égales que sa discrétion et sa probité.
Mais le Roy René n'était pas seul maître à bord. Il avait lui même prêté serment d'allégeance au sévère empereur de Pneumatie, le Grand Bibendum, dont le palais tirait une grande partie de ses subsides. Néanmoins, le Roy jouissait d'une relative indépendance, bénéficiant lui-même de la confiance du Grand Conseil, habituellement occupé à guerroyer pour accroître ses territoires sur des terres étrangères et n'octroyant que peu d'intérêt à ce petit royaume pacifique qui vivait loin du bruit et de la fureur du monde...
Un jour, le Roy fit mander ses conseillers. Il les réunit dans la grande salle du trône, sous le regard des empereurs Marcel, François et Edouard dont les portraits gigantesques dominaient l'assistance et rappelaient à tous l'hommage lige du royaume à l'empire. Le Roy, dont les tempes chenues témoignaient de l'expérience et la sapience, s'adressa ainsi à ses vassaux :
- Messires, je suis heureux de vous voir tous réunis autour de moi. Vous avez été de toutes les batailles, de toutes les défaites et de toutes les victoires. Je n'ai certainement pas mérité toute la confiance et tout le respect que vous avez eu l'obligeance de consentir à mon endroit. Mais sachez que j'ai œuvré pour le mieux dans la limite de mes modestes capacités afin d'offrir au royaume la renommée et la prospérité qu'il mérite...
Le Roy marqua une pause, pensif. Le duc Marc en profita pour faire un pas en avant. Après une révérence, il prit la parole :
- Sire, des qualités de Votre Majesté, l'humilité n'est pas la moindre. Et si nous avons tous notre part dans le Grand Dessein que vous avez conçu, la plus grande vous revient, assurément, d'avoir su gouverner le vaisseau dans les remous et les eaux troubles et de n'avoir pas été le nautonier conduisant la province aux Enfers.
Le duc Marc, après une nouvelle révérence, reprit sa place parmi les conseillers.
Le Roy, esquissant un sourire bienveillant pour son plus vieux compagnon d'armes, fit un vague signe de la main en direction du duc et poursuivit de sa voix douce mais ferme :
- Allons, cher Duc, vous me flattez. Nous savons tous ici à qui nous devons le spectaculaire redressement du Royaume et ses récents succès. Nous n'en fumes que les prophètes et mon bon premier ministre, Vernon, en fut l'artisan le plus admirable et le plus opiniâtre. Mais il est juste de porter aux nues l'entreprise collective plutôt que l'effort individuel. Nos ménestrels, avec leurs héros, leurs exploits, leur obsession de l'action d'éclat et des records, l'oublient trop souvent, à chanter les prouesses des uns quand ceux-ci devraient révérer les autres de s'être sacrifiés dans l'ombre...
Le Roy s'interrompit à nouveau. Aucun des hommes réunis autour de lui n'eut l'inspiration de poursuivre la discussion, préférant méditer en silence les sages paroles de leur suzerain. Celui-ci reprit donc avec gravité :
- Le temps est pour moi le plus dangereux rival, et la vieillesse la plus intime compagne. J'aurais aimé poursuivre ce règne heureux, mais je suis venu tard et m'en repars trop tôt. Il est l'heure à présent de vous dire adieu et de céder mon trône à un homme de bien, qui portera encor plus haut notre renom et qui j'en suis certain calmera vos alarmes.
Tous étaient stupéfaits, mais aucun ne dit mot.
Le jugement rendu était irréfragable.
Un huissier ouvrit avec fracas les portes de la salle. Il aboya vers l'extérieur :
- Le Roy est mort ! Vive le Roy !
Les Chevaliers accouraient du monde entier pour proposer leurs services. Une fois engagés, ils combattaient en arborant fièrement le blason de la province : D'or, au chef d'azur, chargé d'une étoile d'or et de deux pneumatiques. Ils étaient si braves et si féroces qu'ils étaient invaincus depuis des années à l'occasion des nombreux tournois qu'organisait le Roy sur ses terres.
La liste des paladins du Bon Roy René serait trop longue à énumérer. Leur légende était contée jusqu'aux confins de l'Ovalie et il était impossible de décider qui l'emportait en vaillance et en valeur. Le plus célèbre d'entre eux était le chevalier Roro au Panache d'Or. Mais chaque saison, de nouveaux preux étaient reçus à la cour et de nombreux pages étaient adoubés. Parmi eux, le baron Wesley à La Tulipe Noire et le chevalier Marcel aux Chausses Légères faisaient l'émoi des belles dames et recevaient les suffrages des petites gens massés le long des lices pour admirer leurs héros. Mais les plus anciens, tels Elvis Sans Peur et Sans Reproche ou Alexandre Le Grand Faucheur, portaient encore pavillon haut, et on lisait encore en eux la classe des grands capitaines et le souvenir de leurs exploits au cours des plus grandes batailles.
A la cour, le Bon Roy René régnait en maître incontesté, mais il savait prêter l'oreille aux bons conseils des Pairs d'Auvergne. Entouré du duc de Vichy, Jean Le Vieux Lion, et du comte de Thuir, Jean-Pierre Le Mineur, il avait cependant pour favori son premier ministre, un bourgeois de Zélande, le Sieur Vernon Cotter de la Baie d'Abondance, son Sully, son Richelieu, son Oliver Cromwell, à qui il accordait toute sa confiance et dont la popularité n'avait d'égales que sa discrétion et sa probité.
Mais le Roy René n'était pas seul maître à bord. Il avait lui même prêté serment d'allégeance au sévère empereur de Pneumatie, le Grand Bibendum, dont le palais tirait une grande partie de ses subsides. Néanmoins, le Roy jouissait d'une relative indépendance, bénéficiant lui-même de la confiance du Grand Conseil, habituellement occupé à guerroyer pour accroître ses territoires sur des terres étrangères et n'octroyant que peu d'intérêt à ce petit royaume pacifique qui vivait loin du bruit et de la fureur du monde...
Un jour, le Roy fit mander ses conseillers. Il les réunit dans la grande salle du trône, sous le regard des empereurs Marcel, François et Edouard dont les portraits gigantesques dominaient l'assistance et rappelaient à tous l'hommage lige du royaume à l'empire. Le Roy, dont les tempes chenues témoignaient de l'expérience et la sapience, s'adressa ainsi à ses vassaux :
- Messires, je suis heureux de vous voir tous réunis autour de moi. Vous avez été de toutes les batailles, de toutes les défaites et de toutes les victoires. Je n'ai certainement pas mérité toute la confiance et tout le respect que vous avez eu l'obligeance de consentir à mon endroit. Mais sachez que j'ai œuvré pour le mieux dans la limite de mes modestes capacités afin d'offrir au royaume la renommée et la prospérité qu'il mérite...
Le Roy marqua une pause, pensif. Le duc Marc en profita pour faire un pas en avant. Après une révérence, il prit la parole :
- Sire, des qualités de Votre Majesté, l'humilité n'est pas la moindre. Et si nous avons tous notre part dans le Grand Dessein que vous avez conçu, la plus grande vous revient, assurément, d'avoir su gouverner le vaisseau dans les remous et les eaux troubles et de n'avoir pas été le nautonier conduisant la province aux Enfers.
Le duc Marc, après une nouvelle révérence, reprit sa place parmi les conseillers.
Le Roy, esquissant un sourire bienveillant pour son plus vieux compagnon d'armes, fit un vague signe de la main en direction du duc et poursuivit de sa voix douce mais ferme :
- Allons, cher Duc, vous me flattez. Nous savons tous ici à qui nous devons le spectaculaire redressement du Royaume et ses récents succès. Nous n'en fumes que les prophètes et mon bon premier ministre, Vernon, en fut l'artisan le plus admirable et le plus opiniâtre. Mais il est juste de porter aux nues l'entreprise collective plutôt que l'effort individuel. Nos ménestrels, avec leurs héros, leurs exploits, leur obsession de l'action d'éclat et des records, l'oublient trop souvent, à chanter les prouesses des uns quand ceux-ci devraient révérer les autres de s'être sacrifiés dans l'ombre...
Le Roy s'interrompit à nouveau. Aucun des hommes réunis autour de lui n'eut l'inspiration de poursuivre la discussion, préférant méditer en silence les sages paroles de leur suzerain. Celui-ci reprit donc avec gravité :
- Le temps est pour moi le plus dangereux rival, et la vieillesse la plus intime compagne. J'aurais aimé poursuivre ce règne heureux, mais je suis venu tard et m'en repars trop tôt. Il est l'heure à présent de vous dire adieu et de céder mon trône à un homme de bien, qui portera encor plus haut notre renom et qui j'en suis certain calmera vos alarmes.
Tous étaient stupéfaits, mais aucun ne dit mot.
Le jugement rendu était irréfragable.
Un huissier ouvrit avec fracas les portes de la salle. Il aboya vers l'extérieur :
- Le Roy est mort ! Vive le Roy !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire