dimanche 18 mars 2012

Junior Bonnaire, la dernière du Bagarreur...

Unglücklich das Land, dem Helden nötig hat.
(Malheureux le pays qui a besoin de héros)
Bertolt Brecht, Das Leben des Galilei, Bild 13.

Une salle de presse, quelque part, dans le sud ouest de la France.

- Bon ! Senior Bonnaire le Bagarreur a mis fin à sa carrière internationale. Il faudrait peut être qu'on écrive quelque chose...
- Mmh... Pas facile de dire au revoir à tel joueur...
- On pourrait peut-être parler de ses plus grands exploits ?
- ...
- Tu te souviens d'un match exceptionnel de sa part ?
- ...
- En même temps, est-ce que tu te rappelles d'un mauvais match de sa part ?
- Non, c'est sûr... Ce mec là a eu une courbe de performances aussi plate que électroencéphalogramme d'un Samoan à une conférence de Pierre Villepreux et aussi élevée qu'une chandelle de François Steyn...
- Ça nous arrange pas...
- On pourrait peut être parler de son plaquage au poignet sur l'essai des Tonga en coupe du monde ?
- Bof... Au moins, lui, il y était, au plaquage, ce jour-là...
- Il a bien dû lui arriver un truc, tout de même, à ce mec !?
- Pas vraiment à vrai dire : né à Bourgoin-Jallieu, pas de blessure spectaculaire, pas de déclaration fracassante, pas de transfert à scandale, une calvitie précoce qui l'a prémuni de toute mode ou de tout désordre capillaire propre à engendrer des éjaculations journalistiques incontinentes...
- J'ajoute même : bon camarade, compétiteur invétéré, d'une longévité et d'une régularité remarquables. Il a joué les deux dernières coupes du monde, remporté quatre tournois dont deux grands chelems, un Brennus...
- Ses hobbies ?
- La pêche à la ligne dans les étangs de Marcoussis, le jardinage. Un mec normal, quoi...
- Enfin, normal, un rugbyman exceptionnel, tout de même...
- Calme, posé, fair play, humble, honnête. Le seul capable de partager sa chambre avec Morgan Parra...
- Ah ouais, quand même : une sorte de moine Shaolin... ou un maître Zen...
- Bon, en fait, votre gazier, il a rien d'exceptionnel...
- Ben si : il est tellement exemplaire qu'il en devient exceptionnel... M'enfin, c'est sûr que tu fais pas un journal people avec des mecs comme ça...
- D'un autre côté, on est le service des sports.
Silence.
- Non ?
- Officiellement, oui... Mais bon, ce n'est pas le problème du jour. Le problème, c'est de trouver une accroche sur un type qui a eu une carrière gérée comme une assurance vie.
- D'un autre côté, l'assurance vie, ça rapporte... Faut être patient, mais c'est plus sûr qu'un PEA, surtout par les temps qui courent...
- Mais qu'est-ce que tu racontes ? Ça n'a aucun rapport !
- Au contraire ! Julien Bonnaire, c'est la France des petits épargnants, ceux qui ont le devoir modeste et qui connaissent l'âpreté du gain. Pas des artistes extravagants, pas des flambeurs, c'est sûr, mais des artisans, des meilleurs ouvriers de France, je dirais même, des Compagnons. Comme ces anonymes qui ont construit des cathédrales, qui n'ont laissé comme signature que leurs initiales sur des piliers en pierre de Volvic et qui ont offert à des hommes aux costumes plus ostentatoires de célébrer leurs messes dans des lieux extraordinaires qui survivront à l'injure du temps...
- Un homme du long terme... L'anti-candidat à la présidentielle, quoi !
- Et pourtant, quel premier ministre il ferait... Si l'enfer des rucks pouvait être l'enfer de Matignon...
- Vous avez raison... Bonnaire, c'est l'anti-héroisme du quotidien. L'archétype de la classe pas moyenne, du modèle qui veut être payé pour ce qu'il produit exactement. Un mec tout en discrétion, en abnégation, en don de soi pour le collectif, capable de briller, mais qui n'est brillant que par nécessité.
- Le Pompidou du pack, en quelque sorte...
Silence.
- Pas très glamour tout cela...
- Ouais ! Ben ça nous dit toujours pas ce qu'on va pouvoir écrire sur lui...

1 commentaire:

  1. il lui est quand même arrivé de dégoupiller, mais bon, c'était pour défendre son 9 !

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