mardi 10 janvier 2012

Pédication

J'ai longtemps hésité avant de reprendre ma chronique, s'agissant de la sublime sortie de Mourad Boudjellal dans les vestiaires du Stade Marcel Michelin. L'occasion est superbe. Une déclaration comme celle-là fait d'ores et déjà partie de la légende du rugby, comme Lucien Mias disant à Amédée Domenech "Tu es le meilleurs d'entre nous, mais sans toi, nous sommes meilleurs", comme Jean-Pierre Rives estimant que "les Anglais ne perdent jamais, mais quelquefois, on les bat", et, plus proche de nous, comme Marc Lièvremont "emmerdé avec une question" mal placée.
La sodomie arbitrale, c'est, en effet, tout un programme, et ça donne des idées. Nous sommes nombreux, spectateurs du rugby, amateurs éclairés à la lumière des projecteurs des stades ou des écrans de télévision, à avoir ressenti cette douleur fantôme, ce vague sentiment de mal de cul, à la suite d'une partie qui a échappé à l'équipe que l'on soutient en raison d'une décision litigieuse, voire, d'un arbitrage partial. Cela alimente d'ailleurs des discussions infinies qui, elles aussi, font partie de la légende, apocryphe celle-ci, du rugby, celle incessamment recommencée de la marée des commentaires d'après matches, marée alimentée par l'absorption de substances alcoolisées. Cela mérite aussi une bonne catharsis.
Alors, pour votre divertissement et, j'espère, votre édification, j'avais imaginé d'envoyer M. Boudjellal, dans une mise en abîme du jugement arbitral, en procès, sous les regards réprobateurs et scrutateurs des édiles de la ligue nationale de rugby, gardiens d'un temple dont la belle façade cache certainement, comme toutes les institutions du même genre, quelques écuries d'Augias qu'un Hercule ne serait pas de trop pour nettoyer. Il y aurait eu un réquisitoire empreint d'indignation et d'accusation à l'encontre d'un homme qui vient de franchir une ligne rouge. On aurait entendu des références savantes sur les Sodomites, les Bulgares et autres sectateurs amateurs du plaisir postérieur. Mourad Boudjellal se serait défendu lui même, dans une plaidoirie dont il aurait eu le secret, pleine de comparaisons douteuses et de bons mots surprenants dont il a, seul, le secret. Jacky Lorenzetti aurait été au premier rang, déplorant publiquement ces excès et ces écarts, mais prenant des notes, en cachette, à chaque répartie régalant d'une verve varoise la salle bondée de journalistes et de badauds. Le président du tribunal, vieux magistrat sur le retour au physique de Gabin qui en aurait vu d'autres, aurait modéré, débonnaire, un débat qui, finalement, n'a qu'une importance relative face aux tsunamis, catastrophes nucléaires et autres campagnes présidentielles. Mais il aurait accueilli de bonne grâce une foule de témoins à charge et à décharge. En fonction du talent de la défense, le procès aurait tourné, par moment, à celui de l'arbitrage ou d'une ligue prodigue qui n'aurait pas fait de ce sujet sa priorité. Nigel Owens aurait comparu pour la défense, estimant que la sodomie était aussi, comme le plaquage, le coup de casque et l'agrippage de couilles dans les regroupements, source de plaisir et moment de fraternisation : "une fois qu'on est mouillé, autant nager..." aurait-il lâché pour finir. Pierre Berbizier, poussé à coups de baïonnettes par une garde prétorienne aux couleurs du Biarritz Olympique, aurait déclaré, sous la contrainte, que les arbitres français, et particulièrement M. Berdos, étaient les meilleurs du monde (s'il avait témoigné dans l'autre sens, il aurait été condamné à visionner, chaque jour, pendant toute la saison, Invictus, avec les bonus et le making of). Etc. Etc.
Ou encore, on aurait pu imaginer Pierre-Yves Revol en Ubu Roi, et Mourad Boudjellal en Bougrelas (autre nom inspiré d'un peuple à la réputation d'être sodomite...), dans un délire pataphysique qui nous aurait emmené aux confins de l'absurde. Au final, le président Ferrasse serait revenu des limbes du paradis (ou de l'enfer) de l'Ovalie, telle la Statue du Commandeur et, au nom du Sacro-saint Gigot-Haricot, aurait emporté avec lui le démiurge du RCT, refusant à jamais de se soumettre.

Mais finalement, non, rien de tout cela. Sur ce coup là, Mourad Boudjellal m'a fait rire à gorge déployée, je l'avoue (et il a récidivé ici). Mais du rire causé par celui qui ose tout (et on sait ce qu'Audiard dit de ceux qui osent tout...), par la provocation gratuite et un peu malsaine. Et, de fait, cela crée un sentiment ambigu. A titre personnel, je trouve le président Boudjellal attachant. Ses sorties outrées tombent souvent justes, et, pour celui qui sait les prendre avec un certain recul (voire de l'humour), sont une oasis de fraicheur et de rigolade dans ce désert de politiquement correct et de communication pleine d'arrières pensées mercantiles. Boudjellal n'est certainement pas exempt de ces arrières pensées, mais on sent chez lui une franchise foncière et une conviction roborative dans ce monde d'hypocrisie. Pourtant, dans cette franchise et cette conviction, je décelle aussi, il faut le reconnaître, et souvent, une dose non négligeable de mauvaise foi qui fait partie du folklore de ce sport, mais qui devient désagréable lorsqu'elle est répercutée, par les media en particulier, hors de ce folklore.
Au final, Mourad Boudjellal représente parfaitement la dérive de la société médiatique qui confond la plupart du temps sincérité et vérité, en faisant du débat public un pur spectacle. Et cette dérive est d'autant plus dangereuse que ceux qui occupent et qui usent avec le plus de talent de la caisse de résonance constituée par la possibilité de s'exprimer sur tout, partout et avec n'importe qui, décrédibilisent et délégitiment ceux qui tiennent, disons, des discours plus raisonnables (car ils raisonnent mieux et résonnent moins). Puisqu'ils sont sur un même pied(estal) d'égalité dans le traitement qu'on réserve à leurs déclarations et que ces déclarations sont diffusées le plus souvent sans aucun esprit critique, toutes les opinions ont la même valeur et, ce ce fait, la vérité est enfouie dans une montagne de baratin. Le rugby est du spectacle et ce qui l'entoure, d'une certaine manière, est aussi du spectacle. C'est lorsque la frontière ténue entre le spectaculaire et le réel est franchie qu'il convient de s'interroger sur ce que l'on peut, ou pas, accepter d'un homme public, président d'une entreprise de spectacle.

Pour terminer, j'aimerais vous faire partager quelques réflexions sur l'arbitrage qui me sont venues à force d'entendre des arbitres se faire insulter pendant et après chaque rencontre...
L'arbitrage est une science inexacte, il fait partie du jeu comme les rebonds incertains du ballon de rugby, parfois (souvent) il existe autant d'arguments pour siffler un fait de jeu que pour ne pas le siffler, et, sur un match ou une saison, on peut, je pense, comptabiliser autant "d'erreurs" d'arbitrage pour que contre une équipe.
Tout d'abord, un peu d'étymologie. Arbitrer vient du latin et signifie : "être témoin, juger". Le rugby est une discipline (voir ici) et cette discipline implique que l'on se soumette à des règles. L'une de ces règles, qui est peut être la plus difficile à accepter, est que l'arbitre a raison, même lorsqu'il a tort. C'est une sorte de contrat social, un fait générateur du lien qui existe entre les hommes qui pratiquent et regardent ce sport. Hors, on ne peut justement pas, à la lumière des deux précédents éléments, accepter le (ce) sport si l'on n'accepte pas une part de subjectivité dans l'arbitrage (le jugement). Sinon, les matches seraient arbitrés par des machines ou par les joueurs eux-mêmes. Pour l'instant, ce n'est, semble-t-il, pas à l'ordre du jour...
Le rugby a cela d'extraordinaire, par rapport aux autres sports collectifs, qu'il laisse une part encore plus grande de latitude à l'arbitre. En fonction d'une application plus ou moins restrictive des règles, le jeu s'oriente différemment. On parle bien d'arbitrage HCUP, d'arbitrage hémisphère sud, etc... Les clubs eux-mêmes étudient les décisions des arbitres pour préparer leurs matches et sensibilisent leurs joueurs aux fautes qu'il sifflera plus volontiers.
Le rugby se joue donc à trois : 2 équipes de 15 et 1 arbitre (plus ses assesseurs, de plus en plus présents dans le jeu).
Ceux qui pensent que l'on pourrait avoir un arbitrage scientifique (synonyme de "parfait" dans cette acception) se trompent car même en science, l'exactitude n'existe que rarement (dans la pratique du moins, le reste c'est la théorie, qui elle même n'est souvent qu'une modélisation de la réalité). Ceux qui auront fait un peu de mécanique quantique (Jonny Wilkinson par exemple) pourront même vous dire que parfois, les choses n'ont qu'une probabilité d'être et on ne peut être jamais sûr de leur état à un endroit donné...
Plus concrètement, l'expérience montre que même la vidéo ne peut pas toujours trancher. Certains vont trouver des arguments (dans le règlement) pour dire qu'un essai est valable, d'autres pensent qu'il ne l'est pas. Là aussi, c'est un homme (l'arbitre) qui va juger, en son âme et conscience (sauf à considérer que les arbitres sont malhonnêtes ou partiaux).
Quoi qu'il en soit, additionner ou retrancher les points ou les actions induits par des "erreurs" ou "interprétations" de l'arbitre est totalement vain. Ce sont les évènements qui modifient bien souvent les causes qui les ont amenés (Ernst Jünger - La chasse au sanglier). Dire qu'une équipe aurait gagné si l'autre avait vu, par exemple, son essai refusé est absurde, puisque l'enchaînement des évènements aurait été différent et nul ne peut prévoir ce qui ne sera jamais arrivé... D'ailleurs, qui dit que si l'arbitre avait arbitré un des nombreux rucks discutables d'un match dans un sens inverse, le match aurait basculé d'une autre manière ?
Enfin, on est bien dans une inflexion générale à vouloir tout parfaitement contrôler. L'erreur doit être bannie et l'arbitre, homme de décision par excellence, qui plus est représentant de l'autorité et symbole de la soumission à une hiérarchie a priori librement consentie, est d'ailleurs le bouc émissaire idéal d'une société en défiance qui doute de ses élites et qui refuse le risque. On peut naturellement comprendre cette recherche de la perfection dans le domaine aéronautique, mais en sport, cela paraît moins crédible...

4 commentaires:

  1. Bien vu ! :)

    Référence à Ernst Jünger, appréciée…^^

    Je crois que Mourad Boudjellal est aux prises avec un problème identitaire, articulé sur deux versants :

    1/il cherche désespérément, à chaque occasion, de sortir un « bon mot », faire de l’Umour quoi… (Bon, n’est pas Woody Allen qui veut.)

    Cette propension pourrait s'originer sur le fait que:

    2/ dans la récente version comique varoise de « l’État c’est moi! », le Roi Soleil de Toulon s'identifie de manière absolue au RCT: le Ercété c’est LUI! (c’est donc à Lui qu’on en veut, qu’on fait mal, c’est Lui qu’on sodomise, etc.)

    Sa méconnaissance totale du monde du rugby, le sport collectif par excellence (avant qu’on ne lui serve le club sur un plateau, il n’a jamais eu, ne serait-ce que la moindre proximité, avec l’équipe de rugby de Toulon…) le tient radicalement à l’écart des us et coutumes rugbystiques, que par ailleurs il méprise souverainement, n’y ayant pas accès.

    Or ce qui fait le ciment d’une communauté (impitoyable), ce ne sont pas les lois écrites auquel les sujets sont censés obéir sans sourciller, mais bien les règles implicites, tacites, nées de la pratique qui régissent en vérité les significations, les comportements et les attitudes de chacun.
    L’étranger est celui qui rit de tout, sauf d’une plaisanterie. (Jakobson)

    L'époque voit paradoxalement d'un bon œil l'étranger semi-intégré. À condition qu'il soit riche…^^

    Il n'y a pas si longtemps, Toulon c'était ça =) http://www.youtube.com/watch?v=_pDTqLMfcdE

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  2. @Christian
    Merci de ce commentaire et pour le lien vers ce magnifique reportage sur le Grand Daniel Herrero...

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