J'étais à la chasse. La chasse, vous le savez, c'est mon hobby, quelque chose que j'aime, quelque chose de précis. Je chasse le daineken, un croisement du dahut des montagnes (spécimen très rare que seuls quelques trappeurs ont pu accrocher à leur tableau, et dont mon ami, Maître Guy, s'est fait le spécialiste) et du daim retourné (espèce très commune en France, notoirement répandue du côté de Grenoble et curieusement très prisée par les Sud-Africains, du moins c'est ce que Craig Joubert m'a dit). Le daineken est un animal récemment introduit en Europe, qui, après une période d'adaptation difficile, a obtenu un grand succès auprès des chasseurs. On peut même affirmer qu'il est devenu un gibier noble. A la différence de son cousin, le gramlin, de taille et de robustesse moindres, dont la survie dans vos contrées rudes n'est pas assurée et qui n'est qu'un rogaton dont le veneur peut toutefois se contenter lorsqu'il rentre bredouille de pistes plus exigeantes. J'ai moi-même su m'en contenter à l'occasion et sa chair, lorsqu'elle est bien cuisinée, peut être très agréable.
Je chasse également le brennus commun des forêts françaises. Celui-là se fait toujours précieux et, quand bien même on en a ramené un certain nombre dans sa gibecière, il fait toujours la joie de la cuisinière et des enfants, qui aiment bien son pelage mordoré, dont on peut d'ailleurs faire des couvre-chefs, sortes de casquettes-trophées à rabat qu'aiment à revêtir les chasseurs, et qui permettent de différencier ceux qui n'ont que des dumanoirs (variété de fourmilier français sympathique et peu craintif) à leur palmarès et ceux qui ont eu l'habileté (ou la chance) de débusquer un brennus.
La chasse au brennus est en général plus éprouvante que celle du daineken, du moins commence-t-elle tôt le matin et finit le plus souvent tard dans l'après midi, après une traque de longue haleine. Le plaisir procuré par une prise n'a d'égal que la frustration engendrée par un tir manqué alors que ce bel ongulé est à portée de fusil, dans la ligne de mire... Ces dernières saisons, j'en ai manqué trois, dont deux à bout portant... Si la chasse au brennus fait donc appel à la rusticité et à l'endurance, le pistage du daineken est plus sportif et intense. Il se déplace rapidement et discrètement. On le voit, et ensuite, on ne le voit plus. Pour ma part, je n'en n'ai jamais aperçu qu'à la jumelle ou empaillé dans le pavillon de chasse de Maître Guy. C'est une très belle bête, fière, puissante, intelligente. Elle ne se laisse pas circonvenir facilement. Beaucoup pensaient l'avoir capturée avant qu'elle ne leur échappe au dernier moment. Par certain côté, elle me rappelle le Brennus, mais en plus sophistiquée. Les Irlandais la chassent exclusivement et très bien et Joe Schmidt, avec qui j'ai longtemps parcouru la lande le fusil à la main, en est l'un des meilleurs spécialistes.
J'étais donc à la chasse. Je pensais être seul dans le coin lorsque j'entendis un coup de fusil et un cri déchirant venant de derrière un bosquet. Je m'approchais en silence, mu par une prudence instinctive. Je n'avais pas eu tort de me montrer circonspect : à travers les taillis, j'assistais à une scène de carnage. Une relégation ! C'est la première fois que j'en voyais une d'aussi près ! Son fusil encore fumant était ouvert et tenait en équilibre entre son bras et son torse. Une queue de loup dépassait de sa grande gibecière. Je frissonnais.
Il faut dire que nous autres chasseurs n'apprécions pas les relégations. Ce sont des êtres peu recommandables, des coureurs des bois qui ont élu domicile dans les endroits les plus reculés pour se livrer à une chasse particulièrement sauvage et injuste. Peu leur importent l'âge, l'espèce ou les mérites de leur proie, seul le meurtre les intéresse. Heureusement, ils sont d'assez mauvais tireurs et il faut vraiment que la cible soit affaiblie pour qu'ils soient efficaces. Mais ils utilisent des armes de piètre qualité qui blessent et estropient les animaux. Ceux-ci parviennent parfois à s'enfuir mais, la plupart du temps, sont voués à une mort lente et inéluctable. Car ces braconniers, qui n'ont pas grand chose à se mettre sous la dent, le gibier le plus noble étant trop malin pour eux, sont d'une infinie patience et sont capables de pister la même proie pendant de très longues périodes, quittes à la faire crever d'épuisement à force de la poursuivre.
La relégation qu'il m'était donné de contempler ce jour-là était particulièrement hideuse. On aurait dit un spectre. Elle portait d'amples vêtements sales et rapiécés de couleurs aussi disparates que le ciel et grenat, le rouge, le jaune ou le noir. Son visage émacié et creusé par la faim et la méchanceté était surmonté d'une crête hirsute. Je lisais dans son regard la joie malsaine et coupable des charognards qui tombent sur l'aubaine. Elle jetait des regards inquiets alentour mais elle était trop affairée pour m'apercevoir. J'en profitais pour m'approcher encore et je pus mettre un nom sur sa victime : un pottoka ! Une sorte de gros âne un peu pataud mais très attachant. Je me refusais à les tirer, d'autant qu'ils étaient classés parmi les espèces en voie de disparition. Lorsqu'ils venaient brouter sur mes terres, je les évacuais sans ménagement : ces bestioles-là peuvent faire beaucoup de dégâts pour les cultures, mais elles ne s'aventurent heureusement que très rarement hors de leurs territoires de pâture.
La relégation s'approcha précautionneusement de la pauvre bête, qui était à terre mais que je voyais respirer encore. Visiblement, le pottoka était depuis longtemps en sursis, si j'en croyais les nombreuses blessures à peine cicatrisées qu'elle portait sur son flanc. Je ne laisserai jamais de m'étonner de l'énergie déployée par ces gros mammifères très exposés aux prédateurs et de leur capacité de survie. Il faut dire que des amoureux de la nature bien intentionnés leurs prodiguent régulièrement des soins, sans toutefois parvenir à renforcer durablement l'espèce.
La bête ne voulait pas mourir et je la voyais qui tentait de se remettre sur ses pattes en expirant bruyamment par ses naseaux. La scène était pathétique : d'un côté, l'animal, blessé et exténué, ahanant, de l'autre, la relégation, sachant par expérience qu'elle n'était pas à l'abri d'une ruade mortelle et ne sachant comment s'y prendre pour achever son œuvre destructrice.
J'eus la tentation d'armer mon fusil pour abréger les souffrances du pottoka, mais la relégation était désormais dans le champ de tir. Il était trop tard de toute façon. Alors que l'âne s'étirait dans un dernier effort désespéré pour se mouvoir hors de portée de son bourreau, la relégation finit pas sortir un long coutelas ébréché et murmura à l'oreille du pottoka :
- Cette fois-ci, vieille carne, tu ne m'échapperas pas...
Mais soudain, la bête orgueilleuse lança un fantastique coup de pied et envoya valdinguer son chasseur quelques mètres plus loin. Sonné par le choc, ce dernier ne put que relever la tête pour voir sa proie se relever péniblement, s'enfuir en claudiquant et disparaître derrière les fourrés.
La relégation hurla :
- Ce n'est que partie remise, pottoka ! Nous nous reverrons, je te le promets...
Et elle se redressa en époussetant ses oripeaux crasseux, ramassa sa gibecière déjà lourde et s'en fut à la recherche de nouvelles victimes...
La chasse au brennus est en général plus éprouvante que celle du daineken, du moins commence-t-elle tôt le matin et finit le plus souvent tard dans l'après midi, après une traque de longue haleine. Le plaisir procuré par une prise n'a d'égal que la frustration engendrée par un tir manqué alors que ce bel ongulé est à portée de fusil, dans la ligne de mire... Ces dernières saisons, j'en ai manqué trois, dont deux à bout portant... Si la chasse au brennus fait donc appel à la rusticité et à l'endurance, le pistage du daineken est plus sportif et intense. Il se déplace rapidement et discrètement. On le voit, et ensuite, on ne le voit plus. Pour ma part, je n'en n'ai jamais aperçu qu'à la jumelle ou empaillé dans le pavillon de chasse de Maître Guy. C'est une très belle bête, fière, puissante, intelligente. Elle ne se laisse pas circonvenir facilement. Beaucoup pensaient l'avoir capturée avant qu'elle ne leur échappe au dernier moment. Par certain côté, elle me rappelle le Brennus, mais en plus sophistiquée. Les Irlandais la chassent exclusivement et très bien et Joe Schmidt, avec qui j'ai longtemps parcouru la lande le fusil à la main, en est l'un des meilleurs spécialistes.
J'étais donc à la chasse. Je pensais être seul dans le coin lorsque j'entendis un coup de fusil et un cri déchirant venant de derrière un bosquet. Je m'approchais en silence, mu par une prudence instinctive. Je n'avais pas eu tort de me montrer circonspect : à travers les taillis, j'assistais à une scène de carnage. Une relégation ! C'est la première fois que j'en voyais une d'aussi près ! Son fusil encore fumant était ouvert et tenait en équilibre entre son bras et son torse. Une queue de loup dépassait de sa grande gibecière. Je frissonnais.
Il faut dire que nous autres chasseurs n'apprécions pas les relégations. Ce sont des êtres peu recommandables, des coureurs des bois qui ont élu domicile dans les endroits les plus reculés pour se livrer à une chasse particulièrement sauvage et injuste. Peu leur importent l'âge, l'espèce ou les mérites de leur proie, seul le meurtre les intéresse. Heureusement, ils sont d'assez mauvais tireurs et il faut vraiment que la cible soit affaiblie pour qu'ils soient efficaces. Mais ils utilisent des armes de piètre qualité qui blessent et estropient les animaux. Ceux-ci parviennent parfois à s'enfuir mais, la plupart du temps, sont voués à une mort lente et inéluctable. Car ces braconniers, qui n'ont pas grand chose à se mettre sous la dent, le gibier le plus noble étant trop malin pour eux, sont d'une infinie patience et sont capables de pister la même proie pendant de très longues périodes, quittes à la faire crever d'épuisement à force de la poursuivre.
La relégation qu'il m'était donné de contempler ce jour-là était particulièrement hideuse. On aurait dit un spectre. Elle portait d'amples vêtements sales et rapiécés de couleurs aussi disparates que le ciel et grenat, le rouge, le jaune ou le noir. Son visage émacié et creusé par la faim et la méchanceté était surmonté d'une crête hirsute. Je lisais dans son regard la joie malsaine et coupable des charognards qui tombent sur l'aubaine. Elle jetait des regards inquiets alentour mais elle était trop affairée pour m'apercevoir. J'en profitais pour m'approcher encore et je pus mettre un nom sur sa victime : un pottoka ! Une sorte de gros âne un peu pataud mais très attachant. Je me refusais à les tirer, d'autant qu'ils étaient classés parmi les espèces en voie de disparition. Lorsqu'ils venaient brouter sur mes terres, je les évacuais sans ménagement : ces bestioles-là peuvent faire beaucoup de dégâts pour les cultures, mais elles ne s'aventurent heureusement que très rarement hors de leurs territoires de pâture.
La relégation s'approcha précautionneusement de la pauvre bête, qui était à terre mais que je voyais respirer encore. Visiblement, le pottoka était depuis longtemps en sursis, si j'en croyais les nombreuses blessures à peine cicatrisées qu'elle portait sur son flanc. Je ne laisserai jamais de m'étonner de l'énergie déployée par ces gros mammifères très exposés aux prédateurs et de leur capacité de survie. Il faut dire que des amoureux de la nature bien intentionnés leurs prodiguent régulièrement des soins, sans toutefois parvenir à renforcer durablement l'espèce.
La bête ne voulait pas mourir et je la voyais qui tentait de se remettre sur ses pattes en expirant bruyamment par ses naseaux. La scène était pathétique : d'un côté, l'animal, blessé et exténué, ahanant, de l'autre, la relégation, sachant par expérience qu'elle n'était pas à l'abri d'une ruade mortelle et ne sachant comment s'y prendre pour achever son œuvre destructrice.
J'eus la tentation d'armer mon fusil pour abréger les souffrances du pottoka, mais la relégation était désormais dans le champ de tir. Il était trop tard de toute façon. Alors que l'âne s'étirait dans un dernier effort désespéré pour se mouvoir hors de portée de son bourreau, la relégation finit pas sortir un long coutelas ébréché et murmura à l'oreille du pottoka :
- Cette fois-ci, vieille carne, tu ne m'échapperas pas...
Mais soudain, la bête orgueilleuse lança un fantastique coup de pied et envoya valdinguer son chasseur quelques mètres plus loin. Sonné par le choc, ce dernier ne put que relever la tête pour voir sa proie se relever péniblement, s'enfuir en claudiquant et disparaître derrière les fourrés.
La relégation hurla :
- Ce n'est que partie remise, pottoka ! Nous nous reverrons, je te le promets...
Et elle se redressa en époussetant ses oripeaux crasseux, ramassa sa gibecière déjà lourde et s'en fut à la recherche de nouvelles victimes...
trés joliement fait
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