dimanche 22 avril 2012

La mort du Vosloup

 

I

Les nuages couraient sur l'ovale enflammée
Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée,
Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon.
Ils jouaient sans arrêt, sur l'humide gazon.
Depuis le pesage et dans les hautes tribunes,
Sous les blancs projecteurs dans la bruine électrique,
Nous avons aperçu les longues blondes boucles
Du Vosloup voyageur, l'homme-monstre qui plaque.
Nous avons regardé, hurlant notre engouement
Et notre emballement. -- Et la "Phlip", et "l'Auvergne"
Frémissaient de plaisir en admirant sa hargne.
Même Galthié en deuil criait au firmament...
Le match battait son plein, lorsque, dans une éclipse,
Le Vosloup se figea en se tenant la cuisse.
Tous s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient,
J'aperçois tout à coup deux yeux qui s'embuaient,
Et je vois au delà les soigneurs accourir
Au chevet du géant, qui semble pressentir,
Sous l'immense clameur, sans espoir sous nos yeux,
Que c'en est bien fini de la saison des jeux.
Il regarde le banc d'un air triste ; Bientôt,
Lui que jamais ici on ne vit en défaut,
Leur déclare tout bas qu'une douleur récente
Annonce la rechute. Et, toujours impuissante
A le guérir du mal, la faculté convoqua
L'inquiétant chirurgien pour cesser ce tracas.
Déguisant nos sanglots et leurs larmes trop blanches,
Nous fîmes ovation au guerrier qui flanche.
Le Vosloup vint s'asseoir, les deux jambes bandées,
Par leurs crampons crochus dans le pré enfoncées.
Il se relève alors et puis il nous regarde,
Ne sachant si c'est vrai, ou bien s'il cauchemarde.
La mine dépitée, planté sur le gazon,
Il voit ses équipiers distribuer les tampons.
Il nous regarde encore, ensuite il se rassoit,
Il éprouve son muscle endolori et boit,
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Regagne le couloir, part sans jeter un cri.

II

J'ai reposé mon front sur mon écharpe jaune,
Me prenant à penser, maudissant l'infortune
Éloignant du combat le plus vaillant soldat
Et parant de regret un succès dans éclat.
Hélas ! ai-je pensé, fi ce nom d'ASM !
Que j'ai peur maintenant, démunis que nous sommes !
Comment on doit quitter la gloire et ses atours,
C'est vous qui le savez, magnifiques joueurs !
Vois ce que l'on fut sur le terrain, ce qu'on laisse :
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
- Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au cœur !
Il disait : " Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans le jeu, j'ai tout d'abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler,
Puis après, comme moi, souffre et pars sans parler."

D'après La Mort du Loup, poème du comte Alfred de Vigny, 1843.

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