Lorsque mon téléphone portable sonna sur la table de nuit, je constatais qu'il était quatre heures du matin. Ma femme marmonna « Leave it ! » en se retournant et en emportant la couette. Exposé à tous les vents et définitivement réveillé, je ne pouvais que prendre le parti de répondre : je vis, à ma grande déception, que ce n'était pas la NZRU qui m'annonçait que Steve Hansen avait chu en nettoyant les vitres du plus haut gratte-ciel d'Auckland. Le visage triste du manager du Stade Toulousain, sous-titré « My Master », s'affichait sur l'écran. Je savais que j'allais avoir droit à une nouvelle crise d'angoisse du génie en plein doute... Avant de décrocher, je fis, par réflexe, une légère génuflexion. J'entendis une voix cassée qui ne m'était pas inconnue :
- Vern ? C'est Jean-Baptiste Elissalde. Cela fait deux heures que nous sommes avec le Maître. Sa femme nous a prévenus au milieu de la nuit qu'il s'était levé précipitamment après un sommeil agité, pendant lequel il avait hurlé des trucs du style : « Non ! Pas le coup de pied, Fabien ! », « En touche, Clément, en touche ! » ou encore (JBE siffla stridemment dans le combiné – je l'éloignais quelques instants de mon oreille, incrédule...) « Trois ! Trois ! Thierry, Les trois points,! ». Il a ensuite quitté sans raison son domicile. Nous l'avons retrouvé en salle de vidéo. Je te raconte pas le merdier qu'il a foutu là-dedans... Toute la collection des œuvres de Pierre Villepreux était répandue sur le sol, de même que les cassettes de la saison 1995 – 1996...
Il marqua une pause
- Attends, ne quitte pas !Il marqua une pause
J'entendis des échos de lutte et des cris :
- Attention ! Il essaie de partir avec le DVD de Montauban – Albi 2008 !
Je crus discerner la voix de Yannick Bru dans le désordre ambiant :
- Je l'ai ! Guy ! Lâche ce DVD, tu sais bien que cela te fait du mal !
J'étais dans la cuisine. J'avais eu le temps de me préparer un café. Je contemplais les photos encadrées au mur : Brock et moi en vacances sur la Gold Coast, Brock, le Brennus et moi, Brock en train de taper un drop... Je souriais sans m'en apercevoir. La voix de JBE se refit plus claire dans l'appareil et me sortit de ma rêverie :
- Mets-lui Histoires Naturelles ! C'est l'heure. Ça le calme en général ! Excuse-moi, Vern. Le président Bouscatel est arrivé pour lui parler du prochain recrutement, mais rien n'y fait. Je me suis dit que tu étais le seul à pouvoir faire quelque chose...
- C'est bon, passe le moi... fis-je tranquillement.
- Guy ? C'est Vern. J'entendais la Carmina Burana qui provenait de la télévision. Je crus reconnaître l'épisode sur l'ours des Pyrénées.
- Vern ? C'est toi ? C'est terrible ! J'ai perdu mon Mojo !
J'eus un instant d'incompréhension.
- Ton quoi ?
- Mon Mojo ! Mon truc en plus, ma gnaque, mon fétiche, mon porte-bonheur, ma grinta, ma baraka, ma chatte, quoi !
- Aaaah ! Ok ! Mais pourquoi dis-tu ça ?
- Parce que je le sens ! Plus rien ne marche comme prévu... Avant, on gagnait, même en jouant comme Biarritz. Aujourd'hui, quand on aligne trois passes de suite, c'est par accident... Ma première ligne est en carton, mes lignes arrières sont en papier, ma charnière est en fer blanc. Je me demande si tout n'a pas commencé le jour où la porte de l'avion s'est ouverte. Et depuis Édimbourg, les choses se précipitent : les mecs se blessent, passent au tribunal, Beauxis ne réussit plus un drop, on n'enchaîne plus deux matches d'aplomb... Je vois le sourire crispé de Fabien Galthié en rêve et j'entends la voix de Jacky Lorenzetti déclamer « Il faut passer au Top 16 »... On est toujours premiers du championnat mais tous les classements sur Internet vous mettent devant automatiquement. Si ça, c'est pas un signe !
- Tu sais, Guy, on en est tous passé par là... La vérité du mois d'avril n'est pas celle du mois de juin...
- Oui mais pour avoir raison en juin, il vaut mieux avoir de bons arguments en avril !
Je décidais de changer d'approche. J'allumais la télévision : c'était effectivement le documentaire sur l'ours.
- Tu regardes la fête de l'ours ?
Maître Guy me répondit d'une voix plus apaisée :
- Oui. C'est mon préféré.
- Moi aussi. Il faudrait qu'on aille chasser l'ours ensemble, un jour.
- Bonne idée, mais tu sais bien que c'est interdit.
- Ça dépend où... Mais pas avant que l'un de nous ait réalisé le doublé...
- Tu sais bien que c'est impossible...
- Tu sais bien qu'on l'a tous en tête...
Je l'entendis rire à l'autre bout des ondes.
Maître Guy me répondit d'une voix plus apaisée :
- Oui. C'est mon préféré.
- Moi aussi. Il faudrait qu'on aille chasser l'ours ensemble, un jour.
- Bonne idée, mais tu sais bien que c'est interdit.
- Ça dépend où... Mais pas avant que l'un de nous ait réalisé le doublé...
- Tu sais bien que c'est impossible...
- Tu sais bien qu'on l'a tous en tête...
Je l'entendis rire à l'autre bout des ondes.
Nous sommes restés quelques minutes à regarder la danse de l'ours, comme ça, sans rien dire, le téléphone à l'oreille. Au bout d'un moment, Guy a rompu le silence :
- Merci Vern.
- De rien, Maître...
- Arrête tes conneries !
- On en reparle en juin prochain !
- Ok ! Et n'oublie pas : ¡ No Pasaran !
- ¡ No Pasaran !
- De rien, Maître...
- Arrête tes conneries !
- On en reparle en juin prochain !
- Ok ! Et n'oublie pas : ¡ No Pasaran !
- ¡ No Pasaran !
Et nous avons raccroché de concert.
Que du bonheur...je m'y voyais
RépondreSupprimerc'est vraiment top!
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