mercredi 30 novembre 2011

Une journée particulière

01h00 (du matin) : je me lève. J'allume la télévision par satellite. Il est 12h00 en Nouvelle-Zélande. Je regarde les informations sportives de la mi-journée pour prendre connaissance des rumeurs au sujet du futur sélectionneur des All Blacks.
07h00 (du matin) : je me (re)lève. J'allume la télévision par satellite. Il est 18h00 en Nouvelle-Zélande. Je regarde les informations sportives de la fin d'après-midi pour prendre connaissance des rumeurs au sujet du futur sélectionneur des All Blacks
07h30 : coup de fil à la NZRU. La secrétaire filtre mes appels. Note pour plus tard : penser à choisir l'option : "numéro caché".
08h00 : j'arrive au stade. Je consulte mes mails. Rien en ".nz". Je consulte mon courrier indésirable. Un mail des ravisseurs somaliens de John Senio qui demandent une rançon de 200 000 $. 270 spam à la suite d'un hoax d'Olivier Magne qui cherche à se venger en faisant croire que l'ASM distribue des abonnements gratuits à ceux qui forwardent dix mails vers l'adresse du club.
08h02 : je décroche mon téléphone. La tonalité fonctionne.
08h03 : je vérifie que mon portable a du réseau.
08h07 : j'actualise ma boîte de réception.
08h09 : j'appelle les "dérangements" pour vérifier que les câbles sous marins entre l'Europe et la Nouvelle Zélande n'ont pas été endommagés par une éruption volcanique.
09h05 : j'actualise ma boîte de réception. Je reçois une blague de Jean-Marc. Jean-Pierre m'invite au cent cinquantième anniversaire du club. Il me demande de répondre avant 2050.
09h14 : je fais le point avec le tueur à gages que j'ai engagé pour éliminer Steve Hansen.
09h22 : je rédige la compo de l'équipe du week end prochain.
09h40 : décrochage téléphone. Tonalité. Vérification portable. Envoyer - recevoir. Appel "dérangements" : check list OK. Il est 20h40 en Nouvelle Zélande. Toujours rien aux infos.
10h05 : je mets un sac en plastique sur le combiné du téléphone et j'appelle La Montagne, rubrique "Sports". Je prends l'accent d'Auckland :
- Allo ? Allo ? Vern Cotter ? Ici John Key. Yes ! Prime Minister. New Zealand needs you. J'ai parlé de vous au président de la NZRU. C'est en bonne voie. Comment ? Faux numéro ? Désolé.
Je raccroche et me connecte au fil info de "La Montagne".
10h34 : la rumeur prend. La Montagne sort l'info.
10h34 et 30s : Jacques Delmas m'appelle pour me demander à quelle date je libère le poste.
10h35 : décrochage téléphone. Tonalité. Vérification portable. Envoyer - recevoir. Appel "dérangements" : toujours rien (enfin si : la huitième blague de la journée de Jean-Marc...).
10h36 : Simon Mannix m'appelle pour me demander à quelle date je libère le poste. Je perds l'audition du côté du combiné.
10h37 : René propose de doubler mon salaire si je décide de rester.
10h40 : j'appelle le sorcier vaudou à qui j'ai demandé de marabouter Steve Hansen.
10h47 : j'appelle l'oyabun des yakuza de Tokyo et je mets un contrat sur la tête de John Kirwan.
11h00 : je fais un tour à l'entraînement. Je demande à Richie McCaw ce qu'il fait là alors qu'il est blessé. Brad Thorn me répond que c'est Julien Bardy. Je réplique :
- Impossible, Brad, il est Portugais !
Brad a l'air surpris et dit :
- Non mais moi c'est Nathan.
Comme tout le monde se fout de ma gueule, je remonte dans mon bureau.
11h10 : j'actualise ma boîte de réception. Un nouveau message dans courrier indésirable ! Les ravisseurs de John Senio proposent 5 000 $.
11h18 : Phil Greening m'appelle. Il se plaint d'avoir été agressé par Jacques Rougerie.
11h30 : Jean-Marc entre dans mon bureau avec la compo. Il me dit :
- Vern, c'est quoi cette première ligne Woodcock - Mealamu - Francks ?
11h31 : René propose de quintupler mon salaire si je décide de rester.
12h00 : j'appelle l'ambassade. Aucune catastrophe naturelle n'a ravagé le pays. Je ne comprends pas : toutes les télécommunications fonctionnent là-bas.
12h30 : je déjeune avec Regan King et Kevin Senio. Tout d'un coup, je respire mieux.
13h30 : le mieux ne dure pas. Je fais une crise d'angoisse en apprenant qu'il n'y a aucune lettre pour moi au courrier postal. Le médecin du club me fait visionner France - Nouvelle Zélande 1987 pour me calmer.
15h00 : Check list. Courrier indésirable : les ravisseurs de John Senio proposent de payer pour qu'on le reprenne.
15h01 : René me propose d'entrer dans le capital de Michelin si je décide de rester.
15h05 : Henry Tuilagi m'appelle. Il se plaint d'avoir été attaqué par Jacques Rougerie.
15h08 : décrochage téléphone. Tonalité. Vérification portable. Envoyer - recevoir. Appel "dérangements" : toujours rien.
15h15 : Jean-Marc me dit qu'il vient d'organiser une conférence de presse pour démentir les rumeurs de mon départ. Il me donne le papier que j'aurai à lire.
15h16 : René propose de me céder le stade Marcel Michelin si je décide de rester.
16h00 : Conférence de presse. "Je suis Clermontois ! Je ne me fais aucune illusion, Steve Hansen a une bonne longueur d'avance. Cela fait 8 ans qu'il travaille avec l'équipe et il ne devrait pas y avoir de surprises".
16h18 : je rappelle les yakuza. Ça traîne tout ça !
16h20 : je rappelle le tueur à gages. Ça traîne tout ça !
16h22 : je rappelle le sorcier vaudou. Ça traîne tout ça !
16h24 : ma souris explose.
16h26 : la touche F5 de mon clavier est inutilisable.
16h28 : l'administrateur réseau envoie un mail pour prévenir que le club fait l'objet d'une attaque en déni de service sur son serveur de messagerie.
16h30 : mon écran implose.
16h32 : mon portable s'éteint définitivement.
16h34 : le téléphone sonne !
16h35 : c'était Jean-Pierre Romeu qui vérifiait que j'avais bien reçu l'invitation.
16h37 : le maire de Clermont me propose de se désister en ma faveur si je décide de rester.
17h00 : je quitte le stade.
18h00 : j'arrive chez moi. J'allume la télévision par satellite. Il est 05h00 du matin en Nouvelle Zélande. Je regarde Good Morning Auckland. Il paraît qu'il y a un sujet sur le futur entraîneur des Blacks...

L'ASM en 26 lettres (2)

F comme Fight
A Clermont, on aime bien le fight. On pourra toujours nous dire qu'à côté des Vincent Moscato, Alain Carminati ou Marc Cecillon, l'ASM, avec ses Cudmore, Privat ou Ménieu, pour ne citer que les plus récents, est encore loin des sommets, il est rare, cependant, que l'on s'enlève dans les regroupements en Auvergne. Et ce n'est pas un certain Olivier Mallaret, qui fut le premier challenger de Moscato, non pas sur un ring, mais sur une pelouse au cours d'un corps à corps épique qui s'est longtemps poursuivi alors que le ballon avait eu le temps de parcourir une bonne soixantaine de mètres à l'autre bout du terrain, et à côté duquel le face à face Cudmore - O'Connell à Limerick en 2008 fait figure de je-te-tiens-tu-me-tiens-par-la-barbichette, qui démentira. Et puis n'est-ce pas le grand Bernard "Dada" Chevallier qui a déclaré : "Un coup de poing, c'est pas salaud, c'est nerveux" ?

G comme Gaétan Hery
"J’ai posé la balle, regardé rapidement où étaient les poteaux et j’ai tapé aussi fort que possible." C'est ainsi que L'ASM, dans l'élite depuis 1925, a sauvé sa tête le 16 avril 1995, dans un match de la tristement célèbre "Coupe Dédé Moga" (élégante traduction française de "play down"), contre le SBUC de Bernard Laporte, à l'issue d'un match dont seul le rugby est capable de nous gratifier (un arrière-goût de ce que cela à dû être ici). L'ASM doit certainement à Gaétan Héry, auteur du coup de pied de la gagne, qui entraîne aujourd'hui les Réchappés, un bout de son bouclier de Brennus, car sans lui, nul ne sait ce qu'il serait advenu du club après une rétrogradation en division inférieure dès les débuts du professionnalisme...

H comme HCUP
La HCUP est une belle femme qui semble chaque saison (du moins depuis que Vern est là...) promise à l'ASM mais qu'un plus beau parti (en général irlandais) nous ravit invariablement. Le système est tel que, les mauvais résultats entraînants des poules compliquées et réciproquement, le speed dating se termine souvent avant la fin du premier tour... Toutefois, la coupe aux grandes oreilles (et à la gueule de pilier) permet chaque année aux supporters de l'ASM (et d'un autre club qui, après avoir terrassé la bête, va souvent au bout) de profiter au Michelin de l'un des plus beaux matches de l'année et de trouver un prétexte pour aller picoler loin de Maman en Irlande...

I comme Image
L'image de l'ASM est très particulière dans le monde de l'ovalie. Si la structuration, la politique d'investissement à long terme, les résultats du centre de formation et la régularité suscitent l'admiration, le club souffre indéniablement d'un déficit d'image, en comparaison d'autres écuries du top 14 qui n'ont pourtant pas la même constance au plus haut niveau mais dont les avanies remplissent régulièrement les colonnes des gazettes. A l'ASM, il ne se passe jamais rien. Pas de caprices de star. Pas de transferts pharaoniques. Il faut dire qu'à l'ASM, il n'y a pas de star. Non que l'on ne pourrait s'en payer, ni qu'aucun joueur ne pourrait accéder à ce statut. Non, ce n'est tout simplement pas dans l'ADN du club. De même, les intrigues y sont peut être moins passionnées, et surtout plus dissimulées qu'ailleurs. Le pire ennemi du club, c'est Olivier Magne, c'est dire... Pas de déclarations fracassantes du président, et lorsque le manager ose faire une sortie un peu provocante, les ténors de la réaction à l'emporte pièce le mouchent aussitôt. D'ailleurs, comment voulez-vous qu'un club aussi sérieux, à l'électroencéphalogramme médiatique d'une vache Salers, porte drapeau d'une ville aussi people que Davit Zirakachvili et aussi humble et discret dans la victoire que dans la défaite puisse intéresser quelqu'un désireux que faire de l'audience sur du spectaculaire à bon compte ?..

J comme Joueur issu de la formation française
La formation est l'une des marques de fabrique du club, en fait depuis 1995, date des débuts de ce qui ne s'appelait pas encore "centre de formation". Sous la houlette de Alain Gaillard et de Jean-Marc Lhermet, puis de Bertrand Rioux, elle a donné des résultats exceptionnels (Domingo, Buttin...), mais aussi certainement d'autres joueurs moins talentueux qu'on ne connaît pas, justement parce qu'ils sont moins talentueux, ou dont on ne veut pas se rappeler parce qu'ils sont partis jouer ailleurs. Pourtant, les "joueurs issus du centre de formation" sont, par essence, extraordinaires, car, avec leur tatouage de l'ASM au fer rouge sur le front, ils sont les cache-sexe modernes du professionalisme qui permettent d'avoir l'illusion qu'un rugby du terroir existe encore. Et qu'importe qu'ils viennent de Dunkerque ou des Fidji... Quant à ceux qui ne sortent pas des centres de formation, on se doute bien qu'ils ont appris la passe sur un pas quelque part, mais où ? Sont-ils les produits d'une autogénèse, d'une formation spontanée ? Ont-ils appris le rugby sur le tas, jouaient-ils sur un terrain vague de la banlieue parisienne, préférentiellement du côté de Massy, lorsqu'ils ont été repérés par la BAC qui leur a dit : "Le rugby ou la prison ?" Ont-ils vu Pascal Papé leur apparaître dans une grotte et leur dire, leur montrant un ballon : "Tolle, Lude !" ? En définitive, ces joueurs-là seront peut être les derniers à avoir été éduqués plutôt que formés...

La suite à la prochaine lettre !

De A à E ici.

mardi 29 novembre 2011

La photo du jour : Nuit du rugby

Et le Marius d'Or est attribué à Thierry Dusautoir pour sa tentative manquée d'imitation de Fabien Galthié...

lundi 28 novembre 2011

Solstice d'automne (2)

La nuit dernière, s'est déroulée la huitième nuit de la cruaut... du rugby. Cette année, c'est moi qui ai supplié René de ne pas y aller. On n'a rien a y gagner, sinon des coups bas et la moquerie de nos adversaires.
Ça a très mal commencé : lorsque j'ai vu le menu, j'ai interdit aux joueurs de toucher à leur assiette. On n'allait pas gâcher le régime de cosmonaute que je leur impose depuis cinq ans en une soirée. De toute façon, je ne sais même pas ce que ça veut dire "Paleron de Boeuf". M'étonnerait pas qu'il y ait du clambutérol là-dedans. Ensuite, le dessert était une véritable provocation pour Morgan : Mont-Blanc aux Châtaignes « Souvenir de Nouvelle-Zélande ». Bref, j'étais très énervé avant même que cela ne commence.
René était plutôt content. Le pavillon d'Armenonville lui rappelait le pavillon Gabriel et il l'a encore ramené sur Eygalières et Michel Drucker. Jusqu'au moment où on a croisé Olivier Magne. Celui-ci a pris l'expression de Missoup lorsqu'il rencontre Remy Martin en soirée et a délicatement et leeeeeeeentement fait glisser son pouce en travers de sa gorge. René s'est réfugié entre Julien Pierre et Roro, n'a plus levé les yeux de son assiette de la soirée et a refusé que ses deux gardes du corps le quittent, même pour aller aux toilettes...
Après, le long calvaire s'est poursuivi. Ce genre de soirée me rappelle les mariages : tous les célibataires espèrent "pécho", mais finissent bourrés. Tout le monde aimerait être assis à une autre table et s'emmerde cordialement, en espérant que le prochain spectacle soit moins nul que le précédent. Alors ça se baguenaude d'un groupe à l'autre en serrant des paluches et en prenant des photos avec son téléphone ou en envoyant des textos. Ça occupe et ça évite d'avoir à entretenir une conversation dont on se fout avec son voisin de table qui doit être le technico-commercial en chef d'un des partenaires de la soirée et qui se fait des souvenirs pour une décennie...
La remise des prix a été nominale : on a tout paumé, comme d'habitude, sauf les Marius, où Jubon a été distingué pour son unique faiblesse de la World Cup. Même notre essai du bout du monde, le seul truc qu'on a fait à peu près correctement l'année dernière est passé à l'as... Et j'ai failli rendre tout mon quatre heures lorsque le demi d'ouverture remplaçant du XV de France a été élu meilleur joueur. J'avais déjà eu un hoquet lorsque j'avais entendu les noms des sélectionnés...
Masoe, Boutati, Vosloo, Chavancy, Ouedraogo, Bonnaire, Tekori, Servat, Dupuy, Lauaki, Gorgodze, Wilko, Papé, Harinordoquy, Qovu, Clerc... On a bien pensé à vous les gars...

Nota : Pour revivre mon précédent épisode de VDM, ici.

L'ASM en 26 lettres

Pour bien écrire (sur) l'ASM, il faut un lexique.



A comme Association
Au départ et jusqu'à aujourd'hui, l'ASM est un club omnisports, dont l'un des objectifs est "d'encourager pour tous les âges la pratique la plus large et la plus longue possible" (Marcel Michelin). Les sections sont nombreuses, mettant à l'honneur sports individuels (tennis, natation...), collectifs (basket, football) et de combat (boxe, judo...). Signalons au passage que l'ASM figure parmi les plus grands clubs de lutte en France, avec un âge d'or qui débute dès la création de la section en 1920 et se poursuit jusqu'au début des années 80 (période pendant laquelle une moisson de plusieurs dizaines (!) de titres de champions de France seniors est récoltée...). Et remarquons que si nous étions Géorgiens, Tchétchènes ou Arméniens, on ne nous bassinerait pas à longueurs de saisons avec les dix finales perdues de la section rugby et le bi-hebdomadaire de référence, "Centre Olympique, le journal de la lutte", aurait son siège à Clermont-Ferrand...

B comme Bourgeois
Selon les déclarations d'un dénommé Mourad B., de Toulon, l'ASM est un "club bourgeois". Pour Flaubert, est "bourgeois quiconque pense bassement" (rapporté par Guy de Maupassant, La Revue Bleue, 19-26 janvier 1884). Pour Émile Zola, la bourgeoisie est "l'acte d'accusation le plus violent que l'on peut faire contre la société française" (citation). Quant au "Grand Jacques", il n'en pense pas moins. Bref, on s'aperçoit que le bourgeois n'est pas à la mode. Ça tombe bien, parce qu'à Clermont, la mode, on s'en fout (il suffit d'aller à la boutique pour s'en rendre compte)... Rappelons cependant que sous l'ancien régime, les bourgeois jouissaient de droits civils et politiques, en tant qu'habitants d'une ville affranchie de la justice féodale. La bourgeoisie, qui fut en grande partie à l'origine des Lumières et de la Révolution française, peut donc compter légitimement parmi les précurseurs du citoyen de nos sociétés démocratiques. Enfin, la famille Michelin, bourgeoise s'il en est, n'est pas sans incarner l'identité humble, discrète, laborieuse mais riche de talent (et riche tout court), dont les Auvergnats peuvent être fiers.

C comme Cette année c'est la bonne !
Combien de fois n'a-t-on entendu cette antienne dans les travées du Michelin, dans les comptes rendus élogieux des journalistes ou au bar des supporters ? Si bien que l'expression la plus juste aurait du être "Ce mois-ci, c'est le bon", voire "Ce match-ci, c'est le bon", tant les promesses du dimanche précédent contrastaient avec le marasme du dimanche suivant. L'ASM fut longtemps la meilleure équipe de tous les temps a n'avoir jamais gagné un championnat. Et encore aujourd'hui, l'Auvergnat, qui s'y connaît en élevage de bovidés, et qui, de ce fait, est par nature pessimiste et méfiant, a toujours des doutes, alors que le club n'a jamais semblé aussi fort, sur sa capacité à enchaîner les résultats au plus haut niveau...
Nota : on aurait pu avoir "C comme Cotter", mais à bien y penser, pour les explications, ce qui est écrit ci-dessus marche encore...

D comme Derby
On ne sait pas trop pourquoi, mais les Clermontois n'aiment pas les Brivistes, à moins que ce ne soient les Brivistes qui n'aiment pas les Clermontois. En résulte une rivalité bon-enfant entre les supporters des deux équipes phares du Massif Central, qui tient certainement plus au besoin atavique de se trouver un ennemi proche pour s'assurer de sa virilité que d'une réelle concurrence. En effet, la Corrèze (c'est où, ça, la Corrèze ?), n'a rien à voir avec l'Auvergne, l'histoire récente des rencontres entre les deux clubs est pour le moins apaisée, les joueurs passent d'une équipe à l'autre sans soulever la vindicte de la tribune Auvergne, qui n'hésite d'ailleurs pas à reprendre l'hymne du CAB... De nos jours, notre seul vrai derby, en définitive, c'est le match contre l'USAP, dans lequel le rugby sort, il faut le reconnaître, rarement vainqueur (argument massue prouvant que c'est bien un derby)...

Addendum :
Un certain "Aurillacois Masqué" me fait justement remarquer que le derby, dans le Massif Central, est une pratique trioliste, je cite :
"Hé oui car il s'agit bien d'un derby à trois équipes, sûrement le seul. La troisième équipe ne joue plus en Top 14 depuis... Elle s'entend plutôt bien avec l'ASM, et fait front avec elle face à l'adversité Limousine. Elle fournit volontiers et régulièrement, joueurs voire entraineur. Les Brivistes EUX, viennent kidnapper des joueurs presque innocents, des traitres aussi.
Cette équipe, fit il y a quelque temps déjà, une nouvelle apparition "en 1ère division" (dixit les vieux sages du pays assis dans la tribune populaire). Mais cette année là elle fut (tenez-vous bien) Championne du monde de France d'Auvergne et du Limousin. Cette équipe vous l'aurez deviné est le Stade... (le seul l'unique) Aurillacois.
Ces matches Brive - Aurillac, étaient très souvent ponctués par un rite, qui consistait à s'offrir les fruits d'un arbre que l'on trouve dans une région du Cantal : la Châtaigneraie. Cette région est, comme par hasard, limitrophe de la Corrèze. Tandis que les supporters, eux, comparaient les qualités respectives de leur charcuterie, le spectacle était plus dans les tribunes que sur la pelouse."

E comme Espoirs
N'est-il pas symbolique que les meilleurs résultats du club soient obtenus, chaque année, par les équipes de jeunes ? Oui, l'ASM est le club de tous les espoirs. A ce titre (pas celui de champion, bien sûr), l'ASM fait se poser de graves questions métaphysiques : Vaut-il mieux être un très grand club du futur ou aurait-il mieux valu avoir été un très grand club du passé, comme Béziers par exemple ? Les plus logiques répondront que cette question est absurde, d'autant que, si nous devenons un jour un très grand club du passé, c'est que nous sommes d'ores et déjà un très grand club du futur. Les Toulousains, quant à eux, répondent : "Facile, les deux." On est libre de penser que c'est cet état d'esprit qui nous différencie d'eux...
Mais je préfère laisser le dernier mot à un autre Auvergnat :

Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé, pour l'arrêter comme trop prompt : si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient : et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent, d'ordinaire, nous, blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu'il nous afflige et s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver. (Blaise Pascal - Pensées - Pensée XVII, Chapitre deuxième, section 3, La Volonté).

Profitons donc de ce présent pas si mal qui est offert au supporter : le passé, c'est le passé et le futur n'existe pas...

La suite à la prochaine lettre !

samedi 26 novembre 2011

Si loin, si proches...

Bon on a pris l'eau pendant une semaine (ou presque...) chez les Catalans et on a failli faire de même chez les Montpellierains. A chaque fois qu'on va en stage, c'est la même histoire. On rentre avec un point qui fait notre affaire, finalement : comme Toulouse a eu la mansuétude de s'abaisser au niveau du jeu de Brive et que Castres et Toulon sont adeptes du partage, au plan comptable, on n'est pas si mal : deuxièmes, en embuscade derrière le Stade, qui préfère avoir un horizon dégagé (Maître Guy aime bien sentir le souffle chaud des poursuivants sur sa nuque, ça lui permet de conserver un bon niveau de stress et d'angoisse). De notre côté, c'est la position d'outsider qui nous convient le mieux, avec ce qu'il faut d'avance sur la meute pour ne pas non plus tomber dans la panique.
Il faut dire que derrière, c'est la WWE : après les coups de théâtre, en backstage, des limogeages de Simon "The Killer-Screamer" Mannix et de Jack "Double-Tricard" Delmas, le Top 14 ressemble à des Survivor Series totalement déjantées, où les lowcards se refont la cerise aux dépens d'anciennes gloires devenues midcards, où des mega-push sur le retour ayant perdu une grande part de leur ring-cred repointent le bout de leur nez... Bref, ça feud dans tous les sens, on ne sait plus qui est heel et qui est face, mais c'est ce qui fait la beauté de ce Smackdown Fourteen.
A part ça, quelques nouvelles du groupe :
- On a attendu Elvis une demi-heure dans le bus à la fin du match. Il faut dire qu'il marche comme si il traînait une chaîne et des boulets, alors il a un mis un peu de temps à venir des vestiaires jusqu'au parking...
- Dans le même ordre d'idée, Daniel Kotze, le boute en train, a offert à Kevin Senio "L'Eloge de la Lenteur"...
- Bonnaire a préféré se télétransporter pour rentrer à Clermont. Il prétend qu'il pourrait le faire avec le bus, mais que nous n'avons pas encore franchi assez de chambres du Shao-Lin.
- Brock avait l'air particulièrement détendu à la fin du match, au contraire de David qui n'était vraiment pas dans son assiette cette après-midi. J'ai fouillé dans ses affaires (quoi ? Je suis son père, j'ai le droit !) et j'ai trouvé une poupée vaudoue à l'effigie de David avec un clou rouillé planté dans le pied...

mercredi 23 novembre 2011

Indignons-nous !

Toujours pendant le stage au Canet, alors que je passais par le vestiaire après l'entraînement et que je croyais être seul, j'ai entendu des soupirs dans un coin. Je me suis rapproché et j'ai vu une masse informe dans la pénombre. Me rapprochant encore, j'ai surpris Julien Bonnaire, assis sur un banc, coudes sur les genoux, avec une moue dubitative. Il tenait quelque chose entre ses mains : c'était son "Oscar d'Argent Midi Olympique".
- Que se passe-t-il Julien, ça ne va pas ?
- Tout ça pour ça... me répondit-il dans un souffle.
- Ah ! Je comprends, le compétiteur que tu es est déçu de ne pas avoir reçu l'Oscar d'Or ?
- Non non ! Vincent le mérite amplement. Il est beau, il est bon, il sent bon les matériaux des fondations aux finitions, il marque plein d'essais, plaque à tours de bras, il est sympa, doué, efficace, il s'investit dans l'associatif et comme la plupart des hommes, il se sent de plus en plus concerné par l'état de sa peau (la preuve ici). C'est moi, mais avec des cheveux, en fait ! Sauf qu'en plus, il joue à Toulouse. Alors bon, je ne suis pas surpris.
Il marqua une pause.
- Non, c'est autre chose...
- Tu as du mal à te reconcentrer sur le Top 14 après la coupe du monde et la coupe d'Europe ? Je comprends, ça me fait toujours ça avant d'affronter Montpellier et Castres. Mais tu sais, ce sont d'excellentes équipes maintenant...
- Non, ce n'est pas ça... En fait, tout cela n'a aucun sens...
Je m'assis à ses côtés :
- Quoi "tout cela" ?
Il se leva soudainement en se crispant et hurla :
- Tout ! Tout ! Comment peut-on jouer au rugby, comment peut-on s'y intéresser alors que des gens sont torturés en Syrie, que d'autres sont condamnés à vingt ans de prison en Thaïlande pour avoir émis des SMS injurieux contre le roi, que des petites filles sont éventrées en Afghanistan, et que, chez nous, l'on se vautre dans le luxe le plus insolent alors que l'on crève de faim à nos portes ? Non, tout cela n'a aucun sens !
Il tremblait de rage et de dégout. On aurait dit qu'il se préparait pour le Haka. Il jeta un regard de profond mépris à son trophée.
- Où est la Têt (note : c'est la rivière qui passe non loin de là) ? Je vais m'alléger de tout cela !
Il se mit en marche. Je tentais de l'agripper pour le retenir. En fait, ce fut lui qui me traîna hors du vestiaire.
Dehors, cherchant son chemin tel un illuminé, il fulminait comme Gerhard Vosloo qui aurait raté un plaquage, mais avec l'indicible tristesse de Fabien Galthié sur le visage. J'essayais de le raisonner :
- Voyons, Julien, tu ne peux rien à tout cela. Tu es joueur de rugby. Tu donnes de la joie au public !
En vain :
- Mais grand bien leur fasse ! Regarde-les qui vont au stade comme à la messe, oublier la médiocrité et l'absurdité de leur existence ! S'ils te donnent une bonne image de toi, tant mieux. Moi je ne peux plus feindre de m'intéresser à eux, alors qu'au fond de nous, tout n'est qu'intérêt, cruauté, égoïsme. Nous ne nous intéressons qu'à nous. Parlez-moi de moi, il n'y a que ça qui m'intéresse.
Il reprit un instant sa respiration et repartit de plus belle :
- Et chaque jour, la presse entretient ce grand mythe, ce grand mensonge, fait de nous des héros, nous impose dans la vie des gens, à la radio, à la télévision, sans recul ni pudeur, file les carrières comme les Parques les destinées, et nous vivons d'eux comme ils vivent de nous, dans une symbiose écœurante de renoncement et de compromission... Il y a même des abrutis qui écrivent des blogs sur nous ! Quant à ces trophées, à quoi serviront-ils, puisque dans soixante ans, nous serons tous morts, toi, moi, celui qui me l'a remis ?
Il fit une nouvelle pause, et me regarda avec une immense détresse dans les yeux, avant d'ajouter :
- Mais ce qui me fait le plus vomir, c'est que l'on se souviendra peut être plus de moi que du jeune Birman qui se sera fait massacrer dans une cave de Rangoon... Tant que tout cela n'aura pas changé, je ne pourrais plus cautionner ce business absurde. Terminé ! Tu m'entends, terminé !
Et il s'est mis à envoyer valdinguer son trophée en donnant des coups de pieds répétés dedans. Enfin, il laissa s'échapper la pression pour s'effondrer en larmes.
Il pleurait vraiment comme un enfant désespéré. Je crois bien que je pleurais aussi, silencieusement, en le regardant. Ce désespoir dura longtemps, - il me parut prodigieusement long. Mais, pour finir, comme un enfant les larmes peu à peu eurent raison de lui.
Nous avons poursuivi notre marche jusqu'à ce que la mer nous arrête. Le crépuscule levait ses voiles successifs d'augures sombres et nocturnes. Sur la plage, des gamins jouaient au rugby. Le ballon était presque aussi gros qu'eux. Ils se l'envoyaient maladroitement, sans égard pour les en -avant, et se roulaient joyeusement dans le sable. Le monde n'existait plus qu'eux et nous, nous, deux vieux cons sentimentaux, et eux, totalement pris par leur jeu et indifférents à la beauté du spectacle qui les entourait.
Les regardant dans leur innocence, réfléchissant à tout ce que Julien venait de me dire, ne sachant s'il fallait traiter la vie de chienne ou de fée, je ne pus m'empêcher de les imaginer dans quelques années et je me suis alors demandé à quel âge on devenait un salaud.

Nota : très librement et humblement inspiré de "L'impuissance" (juillet 1944), nouvelle de Vercors, dont la citation en italique est issue.