mercredi 22 août 2012

Nouveau départ

Bon... Corry, sur ce lancement de jeu, il me faut plus de décalage en bout de ligne. Ma'a, j'ai besoin que tu pèses dans l'axe en visant l'épaule intérieure du défenseur. C'est comme ça que j'espère créer le déséquilibre. Ensuite, Israël finit le travail.
- Vern !
- Quoi ?
- Vern !
- QUOI ? Tu ne vois pas que je suis en train de travailler une combinaison ?
Je flotte dans une brume oculaire désagréable. Mes paupières sont lourdes. Ma vue se brouille. Le visage imposant de Ma'a se dissipe dans une buée moite.
- Vern ! Réveille-toi !
J'ouvre les yeux. Je sens une main ferme qui me secoue l'épaule. Je vois le visage de Franck entre mes cils chassieux.
- Vern ! C'est moi ! L'entraînement va reprendre.
Où suis-je ? Quel est le temps ? Pendant quelques instants, j'éprouve l'étrange sensation de perte totale de repère spatio-temporel. C'est à la fois agréable et angoissant. Suis-je mort ? Où suis-je ?
Enfin, je reprends mes esprits. Je me suis endormi au soleil pendant la pause dans les travées du stade. J'entends les éclats de voix des joueurs sur la pelouse.
- Ca va ?
- Oui oui ! Ca va... Je rêvais...
- OK. On y retourne alors.
Franck s'éloigne et rejoint les joueurs qui se mettent en cercle autour de lui.
J'ai l'impression d'avoir dormi deux mois. Je me sens rouillé, j'étire mon dos, je cligne des paupières. Tout semble nouveau autour de moi.
L'entrainement...
Le cycle des saisons...
L'été rayonnant et plein de promesses...
L'automne fraîchissant et révélateur...
L'hiver glacé et sans concession...
Le printemps berceau de toutes les espérances et tombeau de toutes les joies...
Il faut s'y remettre, remonter en selle, dompter la bête, risquer de tomber à nouveau, ne jamais lâcher la bride, aiguillonner les flancs de l'étalon, ne faire plus qu'un avec lui, franchir les obstacles ou lancer le galop.
Tourner en rond dans les mêmes stades, réapprendre les mouvements mille fois appris, pousser le rocher en haut du volcan pour qu'il en dégringole aussitôt...
Soudain, malgré la chaleur, j'ai froid. Soudain, malgré l'équipe, je suis seul.
Aller à Mont-de-Marsan... Supporter les sorties de Laporte et Boudjellal... Perdre contre Toulouse, ou pire, à Biarritz... Tenter de battre le Leinster... Subir les inepties médiatiques... Répondre aux questions qui n'ont pas de réponse... Travailler, travailler, encore travailler... Partir le vendredi soir et revenir le dimanche dans la nuit... Ne pas voir ses enfants grandir... Être obsédé de la gagne, du détail, préparer tout dans les moindres détails et voir tout s'effondrer à la première action... Voir les joueurs sortir claudiquant du terrain... Rabâcher les mêmes messages, les mêmes exhortations dans les vestiaires, dans l'oreillette... Ramasser les ballons, les plots et les chasubles à la fin de la séance d'entraînement... Tout ça pour quoi ?
Pour une gloire incertaine, qui coûte tout et qui rapporte quoi ?
L'odeur du gazon fraîchement coupée... La poignée de main au gardien du stade au petit matin quand la ville dort et le Puy de Dôme a son chapeau... Les heures passées à visionner des matches et encore des matches... Inventer, deviner, innover... Opposer sa volonté et son intelligence à celles de l'adversaire... Sublimer la dialectique... S'accroupir au centre des joueurs en cercle et les rendre incandescents... Diriger une équipe de professionnels de haut niveau... Retrouver Maître Guy... Voir les jeunes se révéler, les vieux se transcender... Entrer dans le stade en fusion... Percevoir les commentaires venus de la tribune de presse mêlés aux cris des supporters... Le premier plaquage, le premier choc, la première mêlée, la première touche... Le premier essai... Les joueurs qui se congratulent ou s'aident à se relever... Le trac avant les matches, la pression qui monte... L'excitation du match... L'immense joie de la victoire...
- Oh Vern, tu viens ?
Franck m'appelle du centre du terrain.
- J'arrive, les gars, j'arrive !

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