vendredi 30 novembre 2012

Le Rugby, c'est fou !

Apprenez donc, messieurs les miroirs, à ne pas vous traiter de fous parce que vous ne recevez pas le même reflet des choses.
Anatole France

En tant que rédacteur schizophrène du Blog de Vern, je suis habilité en tant que consultant des services psychiatriques du CNR (Centre des Nerveux du Rugby) de Marcoussis. Les rugbymen et leurs entourages étant de plus en plus soumis à une forte pression psychologique, la FFR a décidé de mettre en place une cellule spécialisée dans le suivi des pathologies mentales liées à une pratique excessive du Noble Jeu et ses conséquences collatérales.
Il y a quelques jours, j'étais invité à un séminaire au cours duquel le Professeur Maso, le réputé psychiatre éponyme, nous a fait visiter ses installations, et, surtout, présenté ses plus grands malades. Le premier patient était séparé de nous par une vitre blindée : à la vue des visiteurs, il se précipita contre la cloison transparente et la percuta violemment avec un bruit effrayant qui nous fit sursauter. Furieux d'avoir rencontré un obstacle inattendu, la bête entrepris de briser la glace à coups d'épaule, faisant trembler l'ensemble, ce qui ne manqua pas d'entraîner un mouvement de recul de notre part.
- Ne vous inquiétez pas, intervint le professeur Maso. La paroi est réputée à l'épreuve des tampons les plus dévastateurs. Elle a été conçue et testée aux îles Samoa.
- Ils disaient aussi ça pour King Kong, persifla un confrère, non loin de moi.
Le professeur reprit :
- Vous avez devant vous un cas exemplaire de seconde ligne atteint de psychopathie rugbystique, autrement appelé dans notre jargon "syndrome Le Cormore". Les symptômes sont évidents à reconnaître : incapacité à maîtriser ses pulsions violentes, inefficacité des punitions et réprimandes à son encontre, absence de honte ou d'angoisse, impossibilité de modification du comportement à long terme... Parfois, cependant, la rémission est envisageable. Malgré quelques rechutes, M. Cotter obtient des résultats encourageants à Clermont avec ses sujets atteints...
Murmures d'approbation autour de moi. La visite reprit, alors que la "bête", le visage haletant collé contre la vitre, nous regardait de ses yeux fous et exorbités, tel Jack Nicholson dans Shining...
Le professeur Maso nous présenta ensuite son deuxième patient :
- Voici un cas très intéressant. Je l'ai appelé "Jacky". Jacky est un ancien président de club amateur de la région parisienne, directeur d'agence immobilière. Il est atteint de troubles de l'identité et, en particulier, de délires mimétiques. Sa jalousie envers un club voisin et concurrent a atteint un degré tel qu'elle l'a plongé dans la folie. Le sentiment de haine-fascination éprouvé par le malade est typique d'une relation maître-disciple où le modèle devient le rival et vice-versa. Naturellement, la rivalité a été savamment entretenue par les deux parties, la plupart du temps au moyen des expédients et des provocations les plus vils, dans le genre des concours de crachats que les enfants peuvent pratiquer dans la cour des écoles... C'est dire la détresse psychologique du sujet...
Hochements de tête à l'observation de "Jacky". Le pauvre homme, prostré dans un coin de sa chambre, sans égard pour son public improvisé et la tête levée vers le soupirail de sa cellule, qui laissait passer un étroit filet de lumière, lançait compulsivement des incantations pathétiques :
- C'est mon stade le plus mieux ! C'est moi que les gens préfèrent ! Rends moi mes joueurs !
Nous poursuivimes la visite, emplis de pitié.
- Voici un autre cas passionnant : je l'ai nommé "complexe du pardessus". Il s'agit d'un trouble autistique avancé et très complexe à détecter. Le sujet est réticent à toute forme de nouveauté et de changement. La contradiction provoque chez lui un stress aigu qu'il ne parvient à juguler qu'en participant, vêtu d'un imperméable, à des buffets et des banquets organisés par la FFR. La vision d'un calendrier provoque en particulier chez lui un traumatisme violent, capable de le paralyser durablement. Naturellement, il touche préférentiellement les cadres fédéraux.
Nous avions devant nous un homme d'âge mûr, d'apparence normale, assis derrière un bureau luxueux dans un fauteuil de direction. Soudain, il leva le poing vers nous et cria :
- Je suis ici pour et par l'intérêt supérieur du rugby, et je n'en sortirai que par la force des petits-fours !
- Étonnant, non ? reprit le professeur Maso.
Puis, celui-ci nous conduisit vers une grande pièce dans laquelle déambulaient des patients en pyjamas blancs, dont la majorité dégoisait à tue-tête, sans égard pour ses congénères.
Le professeur Maso se planta au milieu de ce trafic étrange et haussa la voix pour couvrir le brouhaha :
- Voici l'endroit que j'appelle le "Landerneau". C'est la section spécialisée dans les journalistes. Hystérie, mythomanie, affabulations, hallucinations, perte de mémoire, délires... Tout y est, tout y passe !
Une personne fit remarquer :
- C'est curieux, il y a très peu de femmes chez vos patients.
- C'est exact, répondit aussitôt le professeur. Les raisons sont simples à comprendre : d'une part, c'est un milieu d'hommes, d'autre part, les femmes y sont la plupart de temps reléguées dans des fonctions subalternes. Ceci est particulièrement vrai chez les journalistes, où les individus du sexe féminin jouent un rôle de potiche décorative. Cela, ajouté au mépris dont elles font couramment l'objet, a toutefois pour bénéfice de les protéger de toute névrose ou de toute hybris... Une sorte de vaccination en quelque sorte...
Nous continuâmes, de plus en plus pensifs.
- Et maintenant, une sorte très particulière de malade : le novesis toloserius. Difficulté à contrôler ses angoisses, exagération des problèmes du quotidien, pessimisme, peur des doublons, hypervigilance constante, tension nerveuse et musculaire... Ce patient est également atteint d'un TOC : il ne peut s'empêcher de lever la main et d'en montrer trois doigts.
Effectivement, l'homme que nous observions, le visage tendu et marqué de rides, semblant dans un état d'anxiété permanente, nous présentait mécaniquement son pouce, son index et son majeur en sifflant stridemment entre ses lèvres.
- En addition, le patient présente des troubles maniaco-dépressifs qui peuvent conduire à l'anhédonie : tout devient triste, vide, monotone...
La visite se poursuivit et nous permit de découvrir une gamme de cas très variée :
Syndromes post-traumatiques chez les anciens joueurs de l'ASM ayant joué des finales, syndrome de la Tourette chez Pierre Salviac, addictions aux réseaux sociaux, troubles de l'adaptation, aussi appelés "complexe du Baby" pour des joueurs talentueux n'ayant jamais percé, syndrome logorrhéique chez Marcel Ruffo, etc.
Nous terminâmes par le clou de la "collection" du professeur Maso :
- Voici mon patient le plus fascinant, et, par certains côtés, le plus inquiétant : je l'ai appelé "Mourad". Il présente toute une gamme de troubles, psychoses, phobies, manies, etc... N'ayant trouvé aucune définition valable dans aucun dictionnaire de psychiatrie ni aucun manuel d'exorcisme, je l'ai appelé "syndrome post-sodomie arbitrale". Il s'agit d'un cocktail détonnant de paranoïa, de mégalomanie, de besoin d'attention poussé à l’extrême, de bouffées délirantes aiguës, de théâtralisme, d'exagération du pathos, d'hyperactivité, bref, d'histrionisme extrême, et j'en passe...
La visite était terminée, et tous, nous étions frappés par la diversité et le nombre des phénomènes observés.
- Vraiment, je ne pensais pas que le rugby pouvait faire autant de mal, me confia un psychanalyste. 
Nous nous retrouvâmes, pour finir, autour d'une bonne bière : c'est l'un des avantages de la psychiatrie adaptée au rugby, il existe aussi une troisième mi-temps.
Le professeur Maso vint à ma rencontre :
- Alors, Vern, cette schizophrénie ?
- Tout ça c'est du passé, professeur. La thérapie a été un succès : depuis, nous allons beaucoup mieux et nous nous entendons très bien. Je me pose toutefois encore une question après cette édifiante visite : pourquoi n'y a-t-il aucun supporter ?
- Excellente remarque ! Effectivement, le supporter de rugby peut être con, violent, débile, affligeant, intempérant, excité... il ne tombe jamais dans la folie. J'ai une théorie là-dessus : c'est parce qu'il transfère toutes ses émotions et ses troubles sur ceux que nous avons rencontrés aujourd'hui, et, de fait, il échappe à la contamination...
- Intéressante théorie... En tout cas, je retiendrai une chose de cette journée : ce qui différencie un fou d'une personne réputée saine, c'est le degré de folie qu'ils ont respectivement atteint...

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