Vous vous souvenez que j'avais débuté
une série « d'entretiens de carrière » avec mes
joueurs. J'avais naturellement reçu en premier mon capitaine, Roro,
qui m'avait fait part de sa volonté de se recentrer. Aujourd'hui, je
vais vous relater mon entrevue avec Morgan Parra.
Morgan est entré dans mon bureau avec
son air incomparable d'ingénu insolent. Sourire en coin, il
regardait partout autour de lui, avec une ostensible moue de
satisfaction.
- Salut Vernon – tu permets que je
t'appelle Vernon ? C'est la classe ton bureau...
En s'asseyant, il s'empara d'une photo
de famille encadrée qui agrémente mon plan de travail :
- C'est tes gamins ? Ils ont l'air
sympa...
Puis il reposa le cadre, se cala dans
son fauteuil et me regarda droit dans les yeux :
- Qu'est-ce que tu veux savoir, coach ?
Ah oui ! Je te mets à l'aise tout de suite, on peut se tutoyer.
Un peu abasourdi par cette entrée en
matière pour le moins cavalière, je ne me départis pas de mon
calme pour autant :
- Eh bien je pensais qu'on pourrait un
peu discuter de ton avenir...
- Alors je t'arrête tout de suite :
tout est déjà écrit, décidé !
La surprise dut marquer mon visage
habituellement impassible :
- Ben oui ! Pas la peine de faire
cette tête-là ! Il faut être lucide ! Magnéto – il
mime avec son doigt le rembobinage d'une bande magnétique – 2009,
j'arrive au club : je tâtonne, je me cherche, je m'impose.
Brock nous fait son burn-out et je décide de prendre les
choses en main. Résultat des courses, on gagne. Je te résume vite
la situation en équipe de France. 24 ans, déjà cinquante
sélections (mieux que Wilko!), un grand chelem et une finale de
coupe du monde. Et encore, celle-là, si je ne me fais pas mccawer
la tronche, on transforme la Nouvelle Zélande en Haïti après le
passage d'un nuage de criquets... Bref, je te fais pas un dessin...
En corollaire, je me suis déjà goinfré plusieurs générations de
demis de mêlée : exit les Yachvili (trop vieux), les Dupuy
(trop tuberculeux), les Tillous-Borde (trop musclé), les Doussain
(trop transparent) ... Le Machenaud a fait illusion le temps d'un
automne, mais bon, le pauvre, il joue au Racing... Je peux te dire
que le sélectionneur qui va oser se passer de moi n'a pas encore été
embauché comme consultant sur France 2... Donc... Étant donné que
je suis là pour un bail et que je suis à peu près le seul qui
réclame des responsabilités, je me donne deux ans, vue la
conjoncture actuelle, pour devenir capitaine du XV de France.
D'ailleurs, tu as pensé à l'après Rougerie ? Il va bien
falloir songer à le remplacer un jour l'ancien du gaz... Parce que
c'est sûr, c'est bien d'avoir un ambianceur de vestiaires, mais bon,
Elvis, il a fait son temps... Place aux jeunes, hein ? Comme on
dit !
Sur ce, il croisa ses jambes et posa
négligemment ses baskets vintage sur le coin de mon bureau,
précisément sur le tas de fiches de joueurs qu'on supervise avec la
cellule de recrutement. J'allais reprendre la parole mais il n'en
avait pas tout à fait terminé :
- Bon, et puis il faut voir les choses
en face : si tu veux prendre les All Blacks, il va falloir
vaincre autre chose qu'une malédiction. Regarde Joe : il frappe
déjà à la porte de la sélection irlandaise et nous on en est
encore à se palucher sur You Tube en regardant des vidéos de
2010 et des gif animés où tu chiales avec Mario. Nan, cette
année, il faut ramener quelque chose, et , de préférence, pas le
prix du meilleur public ou celui de la convivialité. Moi, je laisse
ça à Bayonne... Cette année, je veux repartir de la Nuit du Rugby
comme Gengis Khan est reparti de Samarkand et de Bagdad : tout
doit disparaître !
Maintenant amusé par la faconde du
Merdeux, je tente un trait d'ironie :
- Oui... Le doublé, sinon rien...
Il soutient mon regard avec un sérieux
qui n'est pas loin de me déstabiliser :
- Pourquoi ? Tu pensais à autre
chose ?
Il remballe alors ses jambes, et
emporte avec elles une fiche qui tombe par terre, en feuille morte.
Il s'en saisit aussitôt, la consulte avec un petit rire et me la
tend, en me disant :
- Tiens, un Lourdais, comme toi... Tu
m'excuseras, j'ai marché dessus... Allez, je te laisse, on m'attend
à Marcoussis, ils ne peuvent plus se passer de moi.
Et il me laisse là, avec la fiche de
Thierry Lacrampe imprimée de sa semelle...
mon dieu on croirait du vécu (et il y a peut être du vrai)
RépondreSupprimerEnfin !
RépondreSupprimerMerci pour votre retour et vos billets toujours aussi inspirés.
Ahh merci ! Plus de quatre semaines à attendre, à guetter, à espérer... c'est long.
RépondreSupprimerHeureusement, nos Jaunards ont bien meublé l'entracte.
Terrible, encore...!!!
RépondreSupprimerLacrampe est tarbais, pas lourdais...
RépondreSupprimerSinon, je découver et ... excellent
Il a joué au Stado, certes, mais il est né à Lourdes...
SupprimerThank yoou for this
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