Lundi matin. Retour à l'entraînement. Franck est déjà arrivé et a mis le groupe au travail. Une étrange silhouette se dresse à ses côtés. De dos, je ne parviens pas à l'identifier comme un membre du staff. On dirait qu'il porte une cagoule. Les joueurs sont en demi-cercle autour des deux hommes et paraissent perplexes. Je m'approche. L'inconnu porte effectivement une cagoule, ainsi qu'un justaucorps moulant de couleur sombre. En avançant, je distingue entre l'inconnu et les joueurs une sorte de piédestal surmonté d'une hache. Oui, c'est bien cela : un billot !
Enfin, j'arrive à hauteur de Franck. Il m'adresse un sourire et me dit :
- Vern, je te présente Charles S., bourreau.
L'homme cagoulé se tourne vers moi et me tend une main solide, mais froide. La perplexité me gagne à mon tour en envisageant le convive des dernières troisièmes mi-temps. Franck reprend :
- Charles est là dans le cadre de notre stage : "Comment tuer un match ?" Il est l'animateur du premier travail pratique de cette journée, qui sera aussi tactique que ludique.
Enfin, j'arrive à hauteur de Franck. Il m'adresse un sourire et me dit :
- Vern, je te présente Charles S., bourreau.
L'homme cagoulé se tourne vers moi et me tend une main solide, mais froide. La perplexité me gagne à mon tour en envisageant le convive des dernières troisièmes mi-temps. Franck reprend :
- Charles est là dans le cadre de notre stage : "Comment tuer un match ?" Il est l'animateur du premier travail pratique de cette journée, qui sera aussi tactique que ludique.
* * *
Le bureau de Jean-Marc : il est au téléphone :
- Non Madame, vous n'êtes pas au service "Pneumatiques pour engins agricoles". Oui, je sais, c'est le numéro qu'ils vous ont donné au standard, mais je vous assure que je ne travaille pas chez Michelin, enfin plus maintenant, enfin un peu quand même, enfin, c'est compliqué, bref ! De toute façon, je ne m'occupe pas des tracteurs !.. C'est ça. Qui je suis ? Jean-Marc Lhermet. Oui... Oui... Ah non, désolé, je ne m'occupe pas non plus des abonnements au stade. Oui... Oui, je sais, c'est dommage. Non... Voila... Oui, c'est ça, rappelez plutôt à l'occasion. Au revoir, Madame, bonne journée.
Il raccroche, excédé.
- Ah ! Vern, salut ! J'en ai vraiment marre de ce téléphone. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que notre standard est toujours raccordé à celui des usines Michelin... Quel bon vent t'amène ?
- Est-ce que tu pourrais m'expliquer pourquoi les joueurs sont en train de faire une séance tactique avec un bourreau plutôt que le debriefing vidéo que j'avais prévu ?
- Ah ! Le débriefing ? Oh, tu sais, Vern, pour s'apercevoir que le Racing ne sait toujours pas jouer des surnombres extérieurs et que s'entêter à faire des passage en force dans l'en-but adverse alors qu'on sait très bien que le ballon sera caché à la vidéo, pas besoin de démarrer le home cinéma... Non, je me suis dit qu'il serait plus utile d'apprendre aux joueurs à (il contracte son visage en un rictus effrayant) tuer les matches.
- ?
- Ne fais pas cet air étonné, tu sais très bien de quoi je veux parler, ça dure depuis la fin de la saison dernière : ça sert à rien de faire du beau rugby si on n'est pas des killers. Regarde le Stade Toulousain. Maître Guy a fait de ses joueurs des tueurs en série ! Alors c'est sûr, en ce moment, il sont plus dans une perspective d'assassinats en masse à la Manson murders que dans celle d'un psychopathe sophistiqué à la Seven. Mais, l'essentiel, c'est que la bête trépasse ! Le degré de souffrance et de torture psychologique importe peu !
- Mais enfin Jean-Marc, un bourreau ! Je ne savais même pas qu'il en existait encore...
- Tu m'étonnes, ça n'a pas été facile d'en trouver un encore d'aplomb. Un coup de chance. En plus, il avait gardé tout le matériel. D'après les rumeurs, un des tout meilleurs de sa génération. Bien sûr, pas la même expérience que ses grands anciens, plus spécialisé aussi, moins artisanal, plus pro, quoi ! Dédé Boniface le trouvait vulgaire, mais bon, qui s'en soucie ? En tout cas, Bakkies Botha m'en a dit beaucoup de bien.
- Non mais attends ! On parle de quoi, là ?
- On parle rugby, Vern ! On parle destronchage en règle, écrasement du cartilage auriculaire et arthrose à quarante ans ! On va pas continuer à faire des demi-finales à répétitions pendant quinze ans. Alors oui, bien sûr, on joue comme le Leinster... Sauf que le Leinster, eux, ils marquent des essais et, surtout, ils tuent les matches ! Donc, je me suis dit que cette journée serait très utile pour mettre les joueurs dans les bonnes conditions psychologiques pour aborder la saison.
- C'est à dire ?
- C'est à dire : pas de quartier ! Tu sais, Vern, il faut du vice et de la cruauté pour gagner. Alors c'est sûr, vous, les Kiwis, comme les Landais, vous avez du mal à comprendre ça. Vous pensez encore que le rugby est un acte gratuit, beau, esthétique. Que la victoire vient de la qualité du jeu et de la supériorité intrinsèque de l'équipe. Mais en France, ça ne marche pas comme ça ! Ça se saurait si le plus élégant l'emportait à tout coup ! La cravate, c'est sur le terrain, pas au dîner officiel !
- Bon, d'accord, et comment tu t'y prends ?
- Ah ! Je savais que tu serais compréhensif ! D'abord, petite information générale et technique avec le bourreau, histoire de bien cerner le sujet et de se mettre dans l'ambiance. Ensuite, conférence d'un criminologue sur la meilleure façon de tuer un match : mort par sodomie arbitrale, désintégration de la mêlée adverse, réalisme glacé, etc... suivie d'une instruction par un militaire du 92è RI : "23 manières de tuer avec les mains". Puis, travail dirigé : "Comment faire disparaître le corps ?" (très important de faire ça proprement). Enfin, conclusion de la journée par la diffusion d'un reportage sur les plus grands match-winners de notre époque : Wilkinson, O'Driscoll, Amin Dada, Poutine...
Jean-Marc avait l'air particulièrement fier de son programme et me toisait, satisfait. D'une certaine manière, il m'avait tué...
- Non Madame, vous n'êtes pas au service "Pneumatiques pour engins agricoles". Oui, je sais, c'est le numéro qu'ils vous ont donné au standard, mais je vous assure que je ne travaille pas chez Michelin, enfin plus maintenant, enfin un peu quand même, enfin, c'est compliqué, bref ! De toute façon, je ne m'occupe pas des tracteurs !.. C'est ça. Qui je suis ? Jean-Marc Lhermet. Oui... Oui... Ah non, désolé, je ne m'occupe pas non plus des abonnements au stade. Oui... Oui, je sais, c'est dommage. Non... Voila... Oui, c'est ça, rappelez plutôt à l'occasion. Au revoir, Madame, bonne journée.
Il raccroche, excédé.
- Ah ! Vern, salut ! J'en ai vraiment marre de ce téléphone. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que notre standard est toujours raccordé à celui des usines Michelin... Quel bon vent t'amène ?
- Est-ce que tu pourrais m'expliquer pourquoi les joueurs sont en train de faire une séance tactique avec un bourreau plutôt que le debriefing vidéo que j'avais prévu ?
- Ah ! Le débriefing ? Oh, tu sais, Vern, pour s'apercevoir que le Racing ne sait toujours pas jouer des surnombres extérieurs et que s'entêter à faire des passage en force dans l'en-but adverse alors qu'on sait très bien que le ballon sera caché à la vidéo, pas besoin de démarrer le home cinéma... Non, je me suis dit qu'il serait plus utile d'apprendre aux joueurs à (il contracte son visage en un rictus effrayant) tuer les matches.
- ?
- Ne fais pas cet air étonné, tu sais très bien de quoi je veux parler, ça dure depuis la fin de la saison dernière : ça sert à rien de faire du beau rugby si on n'est pas des killers. Regarde le Stade Toulousain. Maître Guy a fait de ses joueurs des tueurs en série ! Alors c'est sûr, en ce moment, il sont plus dans une perspective d'assassinats en masse à la Manson murders que dans celle d'un psychopathe sophistiqué à la Seven. Mais, l'essentiel, c'est que la bête trépasse ! Le degré de souffrance et de torture psychologique importe peu !
- Mais enfin Jean-Marc, un bourreau ! Je ne savais même pas qu'il en existait encore...
- Tu m'étonnes, ça n'a pas été facile d'en trouver un encore d'aplomb. Un coup de chance. En plus, il avait gardé tout le matériel. D'après les rumeurs, un des tout meilleurs de sa génération. Bien sûr, pas la même expérience que ses grands anciens, plus spécialisé aussi, moins artisanal, plus pro, quoi ! Dédé Boniface le trouvait vulgaire, mais bon, qui s'en soucie ? En tout cas, Bakkies Botha m'en a dit beaucoup de bien.
- Non mais attends ! On parle de quoi, là ?
- On parle rugby, Vern ! On parle destronchage en règle, écrasement du cartilage auriculaire et arthrose à quarante ans ! On va pas continuer à faire des demi-finales à répétitions pendant quinze ans. Alors oui, bien sûr, on joue comme le Leinster... Sauf que le Leinster, eux, ils marquent des essais et, surtout, ils tuent les matches ! Donc, je me suis dit que cette journée serait très utile pour mettre les joueurs dans les bonnes conditions psychologiques pour aborder la saison.
- C'est à dire ?
- C'est à dire : pas de quartier ! Tu sais, Vern, il faut du vice et de la cruauté pour gagner. Alors c'est sûr, vous, les Kiwis, comme les Landais, vous avez du mal à comprendre ça. Vous pensez encore que le rugby est un acte gratuit, beau, esthétique. Que la victoire vient de la qualité du jeu et de la supériorité intrinsèque de l'équipe. Mais en France, ça ne marche pas comme ça ! Ça se saurait si le plus élégant l'emportait à tout coup ! La cravate, c'est sur le terrain, pas au dîner officiel !
- Bon, d'accord, et comment tu t'y prends ?
- Ah ! Je savais que tu serais compréhensif ! D'abord, petite information générale et technique avec le bourreau, histoire de bien cerner le sujet et de se mettre dans l'ambiance. Ensuite, conférence d'un criminologue sur la meilleure façon de tuer un match : mort par sodomie arbitrale, désintégration de la mêlée adverse, réalisme glacé, etc... suivie d'une instruction par un militaire du 92è RI : "23 manières de tuer avec les mains". Puis, travail dirigé : "Comment faire disparaître le corps ?" (très important de faire ça proprement). Enfin, conclusion de la journée par la diffusion d'un reportage sur les plus grands match-winners de notre époque : Wilkinson, O'Driscoll, Amin Dada, Poutine...
Jean-Marc avait l'air particulièrement fier de son programme et me toisait, satisfait. D'une certaine manière, il m'avait tué...
Alors que je le quittais, résigné, il me tendis un livre :
- Ah ! J'oubliais. Tu donneras ça à Brock. C'est Nathan qui me l'a prêté. Morgan l'a déjà lu.
C'était le livre de Robert Merle : "La mort est mon métier"...
- Ah ! J'oubliais. Tu donneras ça à Brock. C'est Nathan qui me l'a prêté. Morgan l'a déjà lu.
C'était le livre de Robert Merle : "La mort est mon métier"...
Référence finale violente mais il faut ce qu'il faut non ? top comme d'habitude
RépondreSupprimer"Alors c'est sûr, vous, les Kiwis, comme les Landais, vous avez du mal à comprendre ça. Vous pensez encore que le rugby est un acte gratuit, beau, esthétique. Que la victoire vient de la qualité du jeu et de la supériorité intrinsèque de l'équipe."
RépondreSupprimerMon dieu, qu'est-ce qu'il ne faut pas lire!
S'il y a un peuple d'tchulés eud'batâârds qui est connu et reconnu pour se ruer sur le pitch avec pour attitude "Pas de quartier: tuez-les tous, et la fédé reconnaitra les siens", c'est bien les néozèdes!
(PS(+): Pour les landais, je ne sais pas - il faudra poser la question aux oies(°) de la région.)
(°) Je parle évidemment des volatiles.
Du coup, cette partie d'un article au demeurant fort instructif et par ailleurs excellemment bien tourné n'en serait que plus réaliste avec les ajustements suivants (suggestion):
"Alors c'est sûr, quand tu es arrivé en France, Vern, tu as laissé tous les vices et la cruauté intrinsèques du joueur de rugby kiwi derrière toi. Parce que quand tu es arrivé en France, on t'a expliqué que le professionnalisme avait éradiqué les générales, et qu'après tout, au pays du French flair on ne pouvait pas gagner en jouant dégueulasse. Mais il va falloir t'y faire, et laisser parler tes gènes parce que sinon le prochain Brennus que verra la statue de Vercingétorix ce sera bien après le bicentenaire de la première finale perdue."
Just saying - hope this helps.
Sinon j'aime beuuucou votre blog et tout ce que j'y lis!
(+) Oui, je mets mes PS directement AU MILIEU de mon commentaire.